L'attaque a d'autant plus de force qu'elle vient du secrétaire national socialiste Emmanuel Maurel. Dans une interview au site de France Télévisions, ce membre de l'aile gauche du Parti socialiste estime que l'accord sur l'emploi signé en janvier par les partenaires sociaux "reprend les fameux accords compétitivité-emploi de Sarkozy, que François Hollande avait condamnés il y a un an avec beaucoup de force". Une idée partagée par beaucoup à gauche du PS, où l'on s'agace de plus en plus fortement d'un "virage libéral" de François Hollande et de son gouvernement. Alors, l'accord sur l'emploi a-t-il copié les propositions de Sarkozy ?
Deux précisions tout d'abord : d'une part, l'accord "compétitivité emploi" de Sarkozy ne correspond qu'à une partie de l'accord national interprofessionnel (ANI) signé par les partenaires sociaux. Ensuite, ce sont ces derniers qui ont conclu cet accord, signé par les organisations patronales et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC et CFTC). FO et la CGT n'ont pas souhaité les signer, les jugeant trop favorables au patronat. Mais ce ne sont pas des accords directement négociés par le gouvernement ni par la majorité, même si celle-ci en a lancé les débats, et doit désormais les transformer en loi.
Que proposait Nicolas Sarkozy ? L'idée phare avancée par l'ancien chef de l'Etat, parmi d'autres propositions choc, début janvier 2012, est de permettre aux entreprises de négocier le temps de travail de leurs salariés en fonction de l'activité économique. En cas de charge de travail forte, les salariés pourraient travailler plus et ils travailleraient moins lors des périodes difficiles, en échange de garanties concernant les emplois (article 40 de la loi Warsmann). Aux salariés et à l'entreprise de négocier les autres conséquences possibles, maintien ou non du salaire notamment.
Négocier un tel ajustement était en fait déjà possible en droit, mais requerrait l'accord individuel de chaque salarié. La négociation que Nicolas Sarkozy demande aux syndicats d'ouvrir, les menaçant de le faire par la loi si elle n'aboutit pas, vise à permettre des accords collectifs au sein de toute entreprise. Sans surprise, le projet échoue, et la présidentielle survient avant que syndicats et patronat ne parviennent à s'entendre.
Que disait François Hollande ? Lancée en pleine campagne présidentielle, la proposition n'a pourtant pas rencontré une opposition farouche de l'ensemble du PS. Si Benoît Hamon menaçait — "Il faut que les salariés le sachent, il n'y aura plus de code du travail, il n'y aura plus de loi qui les protégera" —, François Hollande bottait plutôt en touche.
Plus que le fond, le candidat socialiste avait critiqué la méthode et le fait que les partenaires sociaux négociaient sous la menace d'une loi en cas d'absence d'accord. "Je ne peux même pas imaginer qu'il puisse y avoir une loi sur ce sujet avant l'élection présidentielle", jugeait M. Hollande fin janvier 2012, promettant : "Nous aurons à cœur de faire en sorte que les syndicats puissent négocier dans de bonnes conditions des accords sans avoir à remettre en cause la durée légale du travail, parce qu'en l'occurrence, c'est ça qui est recherché".
Il faut dire que dans une tribune publiée à l'été 2011 dans Le Monde, le candidat du PS avait vanté les mérites de la démocratie sociale et jugé que des accords collectifs signés entre syndicats et patronat puissent le cas échéant déroger au droit du travail.
Quand ces accords sont-ils revenus sur la table ? Mise officiellement en "pause" après la victoire de M. Hollande, la négociation entre partenaires sociaux reprend à l'été, en marge de la "conférence sociale" qu'organise le nouveau chef de l'Etat. Le gouvernement réunit les partenaires sociaux pour leur demander de négocier sur six chantiers différent (emploi des handicapés, épargne salariale, parcours syndicaux, etc). En préambule, dans sa déclaration, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, lâche : "La négociation compétitivité-emploi, mal engagée, n'est plus à l'ordre du jour. Un acte II de la négociation sur le marché du travail, ce n'est pas non plus mon état d'esprit".
Mais le Medef ne l'entend pas de cette oreille. Laurence Parisot et les autres représentants du camp patronal exigent le retour de cette négociation dans le programme. Et sont entendus. Le soir même, le texte envoyé aux partenaires sociaux indique qu'il faudra négocier sur des "leviers plus efficaces de maintien de l'emploi et de l'activité dans les entreprises rencontrant des difficultés conjoncturelles et ayant besoin d'adaptations". Revoilà les accords !
Qu'ont négocié les syndicats ? La négociation reprend donc à l'automne, notamment autour de la même proposition : des accords collectifs pour s'abstraire des lois sur le temps de travail en cas de difficulté de l'entreprise. Mais plus question d'employer le terme d’"accords compétitivité-emploi". On parlera désormais de "négociation sur la sécurisation de l'emploi". Le front syndical est divisé. D'un côté, la CFDT, la CFTC et la CGE-CGC, ouvertes à la discussion sur cette question, sous certaines conditions; de l'autre la CGT et FO, qui refusent officiellement de reparler de cette proposition.
La négociation dure longtemps, jusqu'au 11 janvier et à la signature de l'accord par le Medef et trois syndicats. Au titre III de l'accord, "Donner aux entreprises les moyens de s'adapter aux problèmes conjoncturels et de préserver l'emploi", il est évoqué "la possibilité de conclure des accords d'entreprise permettant de trouver un nouvel équilibre, pour une durée limitée dans le temps, dans l'arbitrage global temps de travail/salaire/emploi, au bénéfice de l'emploi". Il est précisé que ces accords ne devront pas dépasser certaines bornes légales (le Smic, la durée maximale de travail prévue par la loi…) et ne pourront être conclus pour une durée supérieure à deux ans. L'entreprise devra fournir des garanties de maintien dans l'emploi et de "partages des bénéfices économiques" éventuels. Un salarié peut refuser cet accord, auquel cas l'entreprise a le droit de le licencier pour "cause réelle et sérieuse".
Le texte intégral de l'accord
Quelles sont les différences ? La réponse est simple : aucune. En réalité, Nicolas Sarkozy et le gouvernement Fillon avaient défini un principe général sans entrer dans les détails précis de l'accord. Et ce principe général — un accord collectif pour diminuer ou augmenter le temps de travail en cas de besoin pour l'entreprise — reste totalement le même. En ce sens, Emmanuel Maurel a raison : le gouvernement Ayrault a laissé les partenaires sociaux valider les "accords compétitivité-emploi" de Nicolas Sarkozy, rebaptisés en "accords de maintien dans l'emploi". Une sémantique différente pour un même principe. […]
(Source : Le Monde)
A (re)lire :
• Tensions et démissions chez les syndicats signataires de l'accord
• Les femmes, grandes perdantes de cette réforme
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