Suivez le guide pour une «Visite de la précarité». Telle est l'invitation lancée jeudi par les syndicats de Radio France internationale (RFI). Depuis mardi, et dans la foulée du mouvement de grève anti-CPE, ils dénoncent, outre l'absence de projet d'entreprise de la direction, l'abus de salariés précaires. Pigistes, CDD, cachetiers payés au cachet, comme des intermittents du spectacle ou stagiaires représentent, selon le rapport d'un cabinet d'expert-comptable indépendant, 30% de l'effectif total de la radio.
Sixième étage de l'immense tour ronde de Radio France : «On est aux langues.» A RFI, on émet en 20 langues. Une femme du département «Amérique latine» s'énerve, pointe du doigt un bureau. «Là, c'est un précaire. Là, encore un pigiste...» Dans le service, on recense 17 CDD et pigistes contre 21 postes en CDI. «C'est très grave quand on sait que la carte de séjour de certains journalistes étrangers dépend de leur statut professionnel», rapporte Daniel Brown, du SNJ-CGT.
Alexia (1) est précaire depuis douze ans. «Les 19 langues étrangères de RFI, ce sont 19 plantations. Ils y font ce qu'ils veulent.» Sa collègue, dix ans de piges : «Ils acceptent de plus en plus de pigistes pour que le travail soit morcelé et qu'aucun d'entre nous ne puisse en faire assez pour pouvoir jamais justifier sa place.» A presque 40 ans, elle touche 600 euros «les bons mois». Une pige d'une journée rapporte 81 euros brut.
«A l'écart». Selon les syndicats, les pigistes ne sont pas de simples forces d'appoint mais occupent des emplois permanents. Une précaire du service «anglais» montre le planning : «En rouge les CDI, en vert les pigistes, en bleu les CDD. En tout, un tiers de précaires chaque jour.» Elle-même arrive à la fin de son CDD de quinze mois. Elle partira donc «en carence» pendant cinq mois, pendant lesquels elle touchera les Assedic. «La direction respecte des carences d'un tiers du contrat pour éviter qu'on aille aux prud'hommes pour requalifier nos CDD en CDI.» Ziad Maalouf, délégué du personnel CFDT, traduit : «Le mérite n'existe plus : bon ou pas, ton CDD s'arrête et tu reviens dans six mois.»
Les «Serbo-croates» ont rejoint le cortège. Même complainte. Au service «persan», Nasser Etemadi alterne les piges et les CDD depuis 2001 : «L'an passé, j'ai travaillé 320 jours, pour 1 200 euros brut mensuels en moyenne. Un journaliste en CDI travaille seulement 190 jours par an.» Un membre des «Sans pige fixe», le collectif des pigistes de RFI, parle du «sentiment d'être bloqués, tenus délibérément à l'écart». La situation n'est pas nouvelle, mais elle s'aggrave, pourrit le quotidien. «Nos collègues en CDI ont enfin pris conscience du problème, glisse un précaire. Ils ont l'impression d'être "ceux qui savaient", ceux qui n'ont rien fait, et ça les gêne de plus en plus...» Une pigiste ajoute que c'est aussi la première fois que les syndicats de la radio engagent une vraie lutte contre la précarité : «C'est dans l'air du temps avec les manifestations anti-CPE, c'est politiquement correct.»
Couloir courbe à nouveau, carrelage gris. On passe à l'étage des techniciens et des administratifs. «Tu rentres dans un studio, tu as deux chances sur trois pour que le technicien soit en CDD, rapporte l'un d'eux. Cet été, des techniciens précaires dormaient dans le studio et se douchaient à la radio, faute de pouvoir trouver un logement à Paris sans CDI...»
Complément des Assedic. Les sujets magazines (consacrés à la santé, aux médias...) représentent 48% de l'antenne de RFI. Et sont préparés par 40% de «cachetiers», soumis au régime de l'intermittence du spectacle. Ziad Maalouf est reporter. Mais, sur sa fiche de paie, on peut lire «intervenant concepteur». Un intitulé qui correspond à la grille de l'intermittence. Il dit toucher en moyenne 1.000 euros net par mois de RFI... compensés par les Assedic du spectacle qui lui versent entre 1.000 et 1.200 euros mensuels. La plupart des journalistes du magazine ne pourraient vivre en travaillant à RFI sans ce «complément de salaire» versé par l'assurance chômage. «J'ai été au Congo pour un reportage sur les viols de guerre, raconte Ziad Maalouf. Officiellement, j'étais intermittent du spectacle... Drôle de spectacle.»
(1) Le prénom a été changé.
(Source : Libération)
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