Actu Chômage

Les seniors ne sont pas des juniors comme les autres...

Ici comme ailleurs, on le répète depuis assez longtemps : le chômage des seniors est inacceptable. Depuis le temps que l’on se plaint de voir la France se traîner en queue de peloton européen avec seulement 37,9% de personnes de 50 ans et plus en activité, il serait malvenu de trouver à redire quand le gouvernement prend une bonne initiative, aussi tardive soit-elle.
Alors, lorsque le ministère de l’Emploi et de la Cohésion sociale décide de lancer, à la suite d’un plan national (1), une grande campagne de communication télévisée, radiodiffusée et internetisée pour faire évoluer les mentalités, on se lève tous pour Jean-Louis Borloo, on tape dans les menottes et on encourage la manœuvre. D’autant que les spots diffusés ces temps-ci sont réalisés par le photographe et cinéaste le plus respectable qui soit : Raymond Depardon.

On applaudit donc. Et on visionne les trois films du maestro sans sourciller. On y découvre les pensées de femmes et d’hommes âgées de 51 à 62 ans. L’un est persuadé de battre à peu près n’importe qui aux jeux vidéo, un autre a créé un site internet, un troisième est capable de courir un marathon, un autre encore est capable de «faire l’amour plus longtemps que vous» (sic) et le dernier affiche un QI de 145. A la fin de ces pensées limpides, on nous apostrophe d’un «Alors ? Qu’est-ce qui vous fait croire que nous sommes trop vieux pour travailler avec vous ?», suivi de la sentence, la «base line» comme en dit en langue de pub : «Notre avenir se construit à tout âge». On applaudit derechef à ces seniors vigoureux, drôles, superintelligents et rompus aux NTIC.

Mais voilà que, sans y prendre garde, une pensée parasite s’insinue dans notre positivisme va-t-en-guerre. Un ange à l’allure d’un recruteur passe devant nos yeux pour persifler que «ces quinquas ont pile-poil les qualités des cadres que je veux embaucher. Et ce sont toutes celles que je trouve chez les jeunes. Alors autant continuer à embaucher des jeunes.» D’autant qu’ils sont moins chers et souvent plus dociles car beaucoup moins rompus aux manœuvres de l’entreprise.

Les seniors sont-ils quand même des juniors comme les autres, comme le suggère cette campagne nationale ? La réponse figure dans la dernière note trimestrielle de l’APEC (Association pour l’emploi des cadres) sur l’emploi cadre publiée ces jours-ci. Elle confirme que c’est vraiment reparti. D’ici à fin 2006, 46% des entreprises veulent embaucher au moins un cadre. Mais en se penchant sur les intentions de recrutement selon l’expérience, on se rend compte que le cadre actif depuis 5 ans au maximum est le plus courtisé, par 76% des entreprises. Il est suivi de celui qui ne dépasse pas 10 ans au compteur. Juste derrière, se trouve le jeune diplômé. Quant au senior, devinez quoi ? Les entreprises lui ouvrirait la porte en dernier.

Alors on se dit qu’encourager l’embauche des quinquas, c’est bien, mais pourquoi occulter de la sorte les qualités qui les différencient des cadres plus jeunes ? L’expérience du métier et de l’entreprise ne sont pas rien. Maîtrise de soi, expertise métier et réseau travaillé depuis 20 ans voire plus encore, seraient donc des arguments qu’il vaut mieux bémoliser dans les pubs du XXIe siècle.
On aimerait avoir tort, on aimerait vraiment que les recruteurs apprécient la campagne et adhèrent au slogan en abandonnant leurs représentations éculées du senior cher et ingérable. Cela prouverait, au minimum, que le subtil travail du sexagénaire Raymond Depardon a porté ses fruits. Et les changements provoqués mettraient surtout fin à l’un des scandales les plus absurdes de ce début de siècle.

(1) Sur http://www.emploidesseniors.gouv.fr, rappel des principaux objectifs et mesures du plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors (2006-2010) lancé le 6 juin 2006.

(Source : Cadremploi)