(...) En effet, il y a bien désormais une partie de la France qui est exaspérée. Et c’est tout le problème de notre pays. Bien plus qu’à une fracture sociale, nous sommes confrontés à la formation d’une véritable faille sociétale. Conséquence, la séparation grandissante entre d’une part une France qui encaisse bien les chocs externes, les nouvelles forces à l’œuvre et leurs incidences sur l’emploi et leur quotidien, qui vit bien car elle a les moyens de s’adapter aux nouveaux défis issus de ce nouveau monde qui se met en place et dont il serait illusoire vouloir se protéger sous peine de se pénaliser soi-même. D’autre part, une France qui prend tous les mauvais coups que ce soit dans la figure ou dans l’estomac, et qui, à force, se remet debout avec de plus en plus de difficultés. C’est cette France, groggy, qui inquiète. Car c’est d’elle que tous les dangers peuvent venir.
Cette France est confrontée à la montée de la violence sous toutes ses formes. Pour la violence dite "gratuite", atteinte à l’intégrité des personnes, dégradation de biens, la situation est de toute façon pire qu’il y a vingt ans. Savoir si les chiffres sont en régression d’une année sur l’autre est l’affaire de spécialistes et de préoccupations "politiciennes" de ministres ou politiques en campagne électorale. Car l’important est de constater que le tableau d’aujourd’hui non seulement effraie mais est loin d’être rassurant pour le futur.
La précarisation est réelle et gagne de l’ampleur. Ainsi, sur les 250.000 postes créés au cours des douze derniers mois, les trois quarts sont précaires ! Sur l’année écoulée, trois embauches sur quatre se font en contrats de courte durée (emplois aidés, contrats à durée déterminée) ! Pour finir, 10% des embauchés connaîtront une période de chômage dans les trois ans qui suivront leur recrutement. Ils étaient 4% il y a vingt ans !
La précarisation affecte à la fois les personnes mûres, car leur qualification ne correspond plus aux profils recherchés par les entreprises, et, c’est la grande nouveauté, les jeunes, qui se précipitent dans des filières sans débouché. Une tendance inquiétante, car la place des nations dans cette économie du savoir et de l’intelligence est de plus en plus corrélée au niveau et à la pertinence de formation des jeunes générations. D’où, faute d’être en phase avec une réalité, ils vivotent, se raccrochent aux miettes du marché, ce qui conduit à une trappe ou à une spirale sans fin.
Enfin, n’oublions la terrible paupérisation de cette France. Selon un récent rapport, sans les aides et les revenus de transferts, une personne sur cinq en France vivrait en dessous du seuil de pauvreté ! Une situation qui là aussi s’aggrave. Autre preuve à l’appui : le nombre de titulaires du RMI (revenu minimum d’insertion) a augmenté en dix ans de 30% ! Sans parler du nombre d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté, estimé à un million par le CERC (Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale). Et deux millions selon le seuil fixé par l’Union européenne !
Nous assistons bien à la composition d’un cocktail explosif. La seule incertitude est la suivante : comment, à long terme, cette exaspération peut-elle se manifester ? Deux options.
La première est la façon violente, comme en témoigne une ultraminorité de cette population désœuvrée. Mais imaginez qu’on assiste à une réaction en chaîne incontrôlable. Autrement dit, un passage à l’acte généralisé ! Un véritable cauchemar !
La deuxième, pacifique et légitime, est un défoulement au moment des élections. Autrement dit, le vote pour des extrêmes, et son pendant, la sanction systématique des représentants appelés en général démocrates. C’est le cas de figure de la France. Toute l’incertitude, là encore, est de savoir si on peut assister à un effet de boule de neige combiné à un vote décomplexé. Toute la question, là aussi, est de savoir si 10% aujourd’hui peut faire 25% demain.
Or, cette configuration sociale et ses effets politiques dévastateurs pour la démocratie rappellent, non sans glacer le sang, un passé pas si éloigné. Suivez mon regard...
Est-ce donner dans le catastrophisme ? Absolument pas. La France est en effet un pays riche (la France, et non l’Etat !), fort d’atouts (leaders mondiaux, entreprises performantes, innovantes, infrastructures et services d’excellent niveau...) qui lui permettent encore de porter la tête haute, dotée qu’elle est d’une population qualifiée et compétente. Cependant, cette France ne devrait pas occulter la seconde. Or c’est ce qui a été fait jusqu’à présent. Le coup d’arrêt a été donné par les émeutes de l’année dernière.
Pire, il serait dangereux de vouloir diviser, voire opposer ces deux France, comme certains le font par pure démagogie ou populisme (décidément, quand le passé nous tient). Au contraire, la clé du succès est de faire preuve de volontarisme (remettre la politique au centre du jeu), de courage (engager les vraies réformes), de pédagogie (expliquer les enjeux) et de civisme (apprendre à respecter l’autre, et les règles de société sans lesquelles il n’existe de paix sociale). Qu’attendons-nous ?
(Source : AgoraVox)
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