[...] • Près d'un Français sur deux craint de basculer dans l'exclusion. Cette inquiétude vous paraît-elle justifiée ?
Il faut distinguer deux notions : le déclassement (le fait qu'un individu réussisse moins bien que ses parents) et le descenseur social (un individu qui, à l'échelle de sa propre vie, bascule dans une situation plus défavorable qu'avant). Ces deux réalités alimentent un sentiment d'anxiété fort. Ce dernier est en partie exagéré, mais il renvoie à une vulnérabilité plus grande qui, elle, est bien réelle. Ce qui tend à la généraliser, c'est la diffusion d'un type d'emploi qui ne protège pas de la pauvreté, qui ne donne pas aux gens les marges de manœuvre dont ils ont besoin pour faire face aux coups du sort (chômage, maladie, divorce…).
• Que pensez-vous de l'obligation qui va être faite aux chômeurs d'accepter toute offre "raisonnable" d'emploi ?
Cela relève d'un schéma mental qui consiste à rechercher la faute toujours du côté de celui qu'on appelle la personne démunie ou hors emploi. Il y a une présomption d'«assistanat», de paresse et de culpabilité qui pèse sur tous les individus qui, à un moment, ont besoin, un peu plus que les autres, du soutien de la collectivité. Comme si les gens organisaient volontairement leur inemployabilité. C'est infondé statistiquement, et ça ne correspond à rien de ce que les études qualitatives peuvent montrer. Il peut y avoir ponctuellement des abus. Mais il ne s'agit pas de fonder une politique sur les cas marginaux.
Le discours qui vilipende les fraudeurs et les assistés est une manière de ne pas s'occuper du vrai problème. Le vrai problème, c'est que les emplois qui sont produits ne sortent pas les gens de la pauvreté, pour une part trop importante. Et de ce point de vue, il n'est pas évident que le RSA soit une solution car il pourrait contribuer à maintenir une certaine pression sur les bas salaires : pour des employeurs mal intentionnés, le RSA pourrait se substituer à la part des salaires qu'ils se dispensent de verser.
• Les réformes mises en œuvre sont-elles cohérentes avec les discours ?
Les réformes sont cohérentes et inégalitaires. Nombre de mesures mises en œuvre avaient été annoncées. En revanche, pendant la campagne, Nicolas Sarkozy a pris une posture laissant entendre que les plus vulnérables, les travailleurs, ceux qui se lèvent tôt et en bavent, avaient grand intérêt à ce qu'il soit élu. La seule lecture de son programme le démentait. La suite l'a confirmé. Le «paquet fiscal» voté en août 2007 a surtout eu pour effet de soustraire encore davantage à l'impôt les foyers les plus privilégiés (réforme des successions, bouclier fiscal, régime des donations…) et a privé la collectivité de ressources fiscales importantes. Au contraire, certaines mesures défavorisent les plus modestes et les vraies classes moyennes : par exemple, les franchises médicales ou la réforme à venir des seuils de majoration des allocations familiales.
En même temps, certains reprochent à Nicolas Sarkozy de jouer la rigueur sans le dire, je crois que de ce point de vue il y a beaucoup d'hypocrisie. Il est légitime qu'un responsable politique ajuste ses propositions en fonction du contexte économique. Une fois dit cela, il faut être attentif aux choix faits et qui sont, pour une part, entrés dans la définition des contraintes budgétaires. Et l'on peut également critiquer la manière injuste de gérer ces contraintes.
• Iriez-vous jusqu'à dire que ces réformes menacent la cohésion sociale ?
Non, c'est une accusation trop grave. La cohésion sociale n'a besoin de personne pour se dégrader. Ce sont les circonstances et certaines dynamiques économiques et sociales qui la délitent. Ce dont nous avons besoin en revanche, c'est d'un gouvernement qui lutte activement contre les processus de «décohésion sociale» en cours.
(Source : Le Monde)
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