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Les salariés n’ont plus les moyens de se payer la mobilité

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Peut-on exiger toujours plus de flexibilité géographique ? L'avis du sociologue Eric Le Breton, maître de conférences à l’Université Rennes-II, pour Libération.

La mobilité géographique, c’est un des versants de la flexibilité : salariés et demandeurs d’emploi ne doivent plus hésiter à changer de travail, de bassin d’emploi voire de pays… On l’a vu récemment avec le concept d’«offre valable d’emploi», celle que le chômeur risque de ne plus pouvoir refuser, après 6 mois de chômage, au bout de la deuxième proposition rejetée. Une offre serait jugée «raisonnable» dans un rayon d’une heure de transport ou de 30 kilomètres du domicile. Le sociologue Eric Le Breton commente cette injonction permanente à la mobilité.

Contraindre les chômeurs à accepter des emplois de plus en plus loin, est-ce une bonne idée ?

En réalité, ils le font déjà ! Dans la grande distribution, la logistique, les services à la personne, l’hôtellerie-restauration, la sécurité…, les contraintes de mobilité géographique sont de plus en plus fortes : longs trajets du domicile au travail, allers-retours nombreux, horaires désynchronisés… Cette mesure va surtout défavoriser les salariés les plus démunis qui habitent loin des centres-villes, dans des zones mal desservies. Jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, pour faire simple, les salariés ont profité de la voiture pour aller s’installer là où ils le voulaient, notamment dans le périurbain qui émergeait alors. Mais nous avons aujourd’hui franchi un seuil : les distances sont devenues telles que nombre de salariés n’ont plus les moyens financiers de se payer la mobilité. Certains ménages dépensent un quart, voire un tiers de leurs revenus dans les transports… Et ceux qui croyaient être à l’abri ne le sont plus. J’ai rencontré des fonctionnaires de la Poste qui tenaient le même discours que les allocataires du RMI des années avant : ces femmes expliquaient que, pour elles, les vacances c’était fini. A cause du coût des gardes d’enfants et des transports… Car la mobilité n’est pas qu’une question de transports mais aussi d’organisation de la vie quotidienne. Et cette question n’est prise en compte ni par les syndicats ni par le patronat dans les débats sur la flexisécurité, qui regardent uniquement ce qui se passe au sein de l’entreprise.

Dans les années 70, on parlait déjà de métro-boulot- dodo, les gens se sentaient écrasés par les distances pour se rendre au travail. Qu’est-ce qui a changé ?

Jusqu’en 1975, pour se rendre au travail, les salariés parcouraient quelques dizaines de kilomètre, du centre-ville à la première couronne… Ils vont à présent jusqu’à 120 kilomètres du centre de Paris, 50 km autour des villes de province. Surtout, depuis les années 70, les formes de travail ont changé. La «routine» du métro-boulot-dodo - désespérante mais qui avait le mérite du confort - a disparu. Aujourd’hui une caissière commence le lundi à 8 heures, le lendemain à 10 heures… c’est une vie tout à fait inorganisable !

Est-ce que l’exigence de mobilité crée de nouvelles inégalités sociales ?

Oui, pour deux raisons. La première : tout le monde n’a pas les mêmes moyens de mobilité. Nous sommes dans une société où la voiture est une évidence absolue… sauf que, dans la France de 2008, un ménage sur cinq n’en a pas. D’autres ont une voiture mais n’ont pas les moyens de payer l’assurance ou l’essence… Deuxième inégalité : le travail se précarise, mais pas de la même manière pour tout le monde. Les cadres continuent de travailler dans des territoires et des horaires qui sont ceux des transports collectifs, contrairement aux salariés en bas de la hiérarchie professionnelle. En moyenne, les actifs sont plus éloignés des emplois auxquels ils peuvent prétendre à mesure qu’on descend dans la hiérarchie professionnelle : en une heure de voiture, un cadre dispose de 65% de son marché d’emploi, un ouvrier de 51%.

Les entreprises en sont-elles conscientes ?

Dans un certain nombre de secteurs on observe des problèmes de recrutement majeurs : la logistique, le BTP, la grande distribution… On parle souvent de métiers qui ont une mauvaise image, qui offrent de mauvaises conditions de travail, mais le facteur mobilité est à mon avis déterminant dans ces problèmes de pénurie. L’ANPE a étudié un certain nombre d’annonces d’emplois qui n’avaient pas trouvé preneur. La moitié imposait des déplacements chez les clients ou les fournisseurs. Une grande partie de ces entreprises étaient situées dans des zones excentrées et nécessitaient une voiture. Et les horaires de travail étaient atypiques.

Il existe des pratiques innovantes pour pallier ce manque de mobilité ?

Des entreprises commencent à réfléchir au covoiturage, à la voiture partagée, ou, assez discrètement, mettent en place des systèmes de ramassage des salariés - une vieille solution des années 70.

Et les pouvoirs publics ?

Ils pourraient s’emparer de la question en réfléchissant aux déplacements dans le périurbain. Aujourd’hui, les élus des agglomérations ont surtout les yeux rivés sur les beaux tramways et les beaux métros qu’ils construisent en centre-ville… Or la majorité des emplois est en périphérie. C’est là le territoire des enjeux de la mobilité. Il ne suffit pas de construire des tramways aux bobos.

(Source : Libération)

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Mis à jour ( Lundi, 19 Mai 2008 10:49 )  

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