D'abord, à juste titre, 61% des personnes interrogées ne pensent pas qu'elles auront la garantie de bénéficier, le moment venu, d'une pension de retraite satisfaisante par rapport au revenu. Alors que 45% des 55 ans et plus ne semblent pas trop inquiets, chez les jeunes c'est carrément l'angoisse : 75% des moins de 35 ans ne sont pas du tout confiants.
Ensuite, alors que des millions d'actifs aimeraient déjà avoir un emploi qui leur permette de vivre, 33% des sondés expriment le désir de quitter le monde du travail entre 50 et 55 ans, 41% entre 56 et 60 ans : seulement 15% voudraient partir entre 61 et 65 ans, et 2% au delà de 66 ans. L'âge moyen souhaité de départ à la retraite est donc de 57 ans, ce qui colle avec la réalité puisque cet âge moyen réel est actuellement de 57,5 ans. Pour autant, face au déficit croissant des caisses d'assurance vieillesse qui justifierait qu'on cotise de plus en plus longtemps, 48% pensent qu'ils partiront entre 61 et 65 ans, et 18% «après 66 ans», l'âge moyen estimé de départ étant de 63 ans.
Selon l'Ifop, pour avoir une bonne retraite, les Français seraient prêts à travailler jusqu'à 62 ans. Mais en ouvrant des vannes au travail des «seniors» (considérés comme tels et exclus des entreprises dès l'âge de 40 ans), que ce soit par la possibilité de continuer à exercer «volontairement» jusqu'à 70 ans ou avec la promotion du cumul emploi retraite, le gouvernement nous prépare à des choses bien pire.
Inévitablement, ce sondage évoque la réforme de notre système de retraite par répartition... Le modèle actuel n'est jugé «équitable pour chacun, quels que soient ses revenus» que par 42% des sondés, tandis que 47% l'estiment encore «solide et fiable». Seuls 9% pensent qu'il faut l'abandonner au profit d'un système d'épargne individuel. Même si ce message est patiemment distillé dans la tête de nos concitoyens, le système de retraite par répartition n'est toujours pas remis en cause par la grande majorité des Français.
Mais l'Ifop avance que, si 21% des personnes interrogées considèrent qu'il faut le conserver en l'état, 70% pensent tout de même qu'il faut le «réformer» pour «mieux le préserver» : nous y voilà ! Et parmi les solutions «souhaitées», on trouve : cotiser davantage (54%), travailler plus longtemps (50%, mais 38% chez les ouvriers) ou percevoir une plus petite retraite (19%). On imagine que les options de réponse proposées aux sondés se sont limitées à quelques «solutions» prédigérées et inspirées de l'UMP, l'Ifop ne souhaitant pas élargir le débat aux raisons profondes du malaise. Encore moins s'aventurer sur le terrain de la répartition des richesses, qui est de plus en plus inégalitaire dans nos pays riches et se situe, pourtant, au cœur du fonctionnement de toute la protection sociale.
Entre 1980 en 2006, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée des entreprises est tombée de 67% à 57% en moyenne dans les quinze pays les plus riches de l’OCDE. On le rappelle : cette chute de 10 points qui a été mesurée en France, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Finlande, en Grèce, aux Pays-Bas, en Espagne et en Suède, équivaut à 10 points de PIB; en France, cela représente 160 milliards d’€ issus des salaires — et donc de la protection sociale (retraite, chômage, santé, famille) — qui ont été siphonnés par le grand Capital. Pour l'usage particulièrement délirant et malhonnête qui a été fait de cette manne financière, ainsi spoliée à ceux qui participent à l'économie réelle à grands coups de salaires gelés et de conditions de travail toujours plus dégradées, on que peut qu'être révolté.
Un point de masse salariale en moins correspond à environ 2 milliards d'euros de recettes en moins pour la protection sociale. Or, on rappelle que depuis plus de vingt ans notre masse salariale a été constamment malmenée et réduite grâce au chômage de masse, outil économique par excellence institué par un capitalisme financier qui, loin de considérer «la valeur travail», s'est servi de l'emploi comme variable d'ajustement et ambitionne sa précarisation — pardon… sa flexibilisation — complète. La masse salariale est également tributaire des ralentissements économiques, qu'ils soient organisés ou non. Dans ce contexte de crise dont les racines battent, cette fois-ci, des records d'immoralité, elle va encore être sacrifiée et reculer dangereusement.
Avec ces 160 milliards d’€ captés depuis les années 80, il n'y aurait pas aujourd'hui de «problèmes de pouvoir d'achat», de «trou de la Sécu» (15 milliards en 2008 pour son régime général, dont 8 milliards pour la branche vieillesse) ni de «déficit de l'Unedic» (assurance chômage, 5 milliards), et il ne serait pas nécessaire de «réformer» toujours plus à la baisse un système de protection sociale qui s'appuie exclusivement sur les revenus du travail. Les financiers et les spéculateurs ont volé l'argent de ceux qui triment : ils l'ont même dilapidé. Tant que le discours ambiant — qui émane des politiques, des médias et… des instituts de sondage — taira soigneusement cette vérité, les Français croupiront dans une logique d'acceptation et ne se mobiliseront pas afin de récupérer ce qui leur appartient.
En attendant, pour les années à venir, ce sont des légions de pauvres qui vont réapparaître, qu'ils soient retraités ou dans la force de l'âge. Et leur mobilisation, si elle surgit un jour, aura la violence du désespoir.
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