Dans la novlangue du libéralisme économique, le mot «charges» (si pesant) a subrepticement remplacé le mot «cotisations». Or ces cotisations, issues du travail et versées conjointement par les salariés et les employeurs, contribuent au financement d'un système solidaire que nous envie le monde entier : assurances chômage, vieillesse, maladie et famille. Ces salaires différés, que l'on nous vend de plus en plus comme des «privilèges», sont autant d'amortisseurs qui contribuent à la paix sociale, surtout en période de crise.
Le mot «charges» (si accablant) s'est aussi étendu à la fiscalité : les taxes et autres impôts sont devenus insupportables pour les entreprises «trop fragiles» et qui prennent des risques «mortels», dixit Laurence Parisot. Même celles qui font des bénéfices tout en licenciant, nous bassine-t-on : on se demande, dans l'affaire, qui est le plus fragile et qui risque le plus sa peau...
Toutes ces contributions fiscales et sociales étaient censées engager, fut une époque pourtant difficile, la responsabilité des entreprises en tant que «forces vives de la Nation». Petit à petit, bien que la France se soit considérablement enrichie, est devenu «charge» tout ce qui pèse financièrement sur leur sacro-sainte «compétitivité», qui ne s'embarrasse plus de responsabilité ou de déontologie : sacrifiant au contrat social, le coût du travail et la redistribution des richesses doivent être réduits à la portion congrue. Quant à l'Etat, il est prié de se taire et servir de vache à lait. Quoiqu'on en dise, la lutte des classes existe toujours : mais ce sont les entreprises, et surtout celles du CAC40, qui la mènent et leurs revendications sont proportionnelles aux oursins qui naissent dans leurs poches.
«Charges» : bilan non exhaustif
De quoi se plaignent-elles ? Actuellement, c'est le contribuable ordinaire qui fournit à l'Etat l'essentiel de ses recettes fiscales grâce à son plus grand pourvoyeur, l'injuste TVA (pour moitié, soit 175 milliards d’€) qu'assume l'ensemble des consommateurs, qu'ils soient riches ou pauvres. Le gain de l'impôt sur le revenu acquitté par les salariés (57 milliards) reste légèrement supérieur à l'impôt sur les sociétés (55). Quant aux 29 milliards de la taxe professionnelle, impôt «imbécile» qui doit disparaître l'année prochaine, ils ne pèsent pas lourd au regard de ce qu'assume l'ensemble des Français.
Côté cotisations, elles n'ont cessé d'être rognées, que ce soit en allègements ou en exonérations (32 milliards d’€ en 2008, dont les trois quarts sur les bas salaires). De plus, grâce à cette aubaine qu'est le chômage de masse, les rémunérations n'ont cessé de baisser et la proportion de salariés bradés au Smic fait de la France la championne européenne du salaire minimum. Rappelons qu’ainsi, depuis les années 80, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée des entreprises a chuté de 10% au profit des revenus du capital. Et qu'a fait le capital de ces 160 milliards d’€ siphonnés chaque année au salariat et à sa protection sociale (aujourd'hui déficitaire : 15 milliards pour la Sécu et 5 milliards pour l'Unedic) ? Outre l'avoir dilapidé dans la bulle financière, il l'a distribué à ces rentiers du système que sont les actionnaires.
Les dividendes sont aussi des «charges»
La rémunération des actionnaires, qu'ils soient fidèles ou opportunistes, à des taux qui dépassent l'entendement est une obligation pour toute entreprise cotée en Bourse. Pour mieux les séduire, les retours sur capitaux pour les gros porteurs doivent être de plus en plus juteux. La loi Sarbanes-Oxley, votée en juillet 2002 par le Congrès américain, stipule que toute entreprise dans le monde détenant plus de 20% de capitaux d'origine US se doit de reverser 10 à 15% par an de plus-values à ses actionnaires, principe qui, de fait, concerne plus de la moitié des entreprises du CAC40 ! Quand on sait que le taux de croissance mondial annuel est de 3% maximum, on mesure son aberration.
Aujourd'hui, celles qui font des bénéfices en consacrent près de la moitié aux paiement des dividendes, stock-options et autres bonus. Le solde allant aux investissements et, en infime proportion, à l'intéressement des salariés qui, par leur travail — dont la «valeur» était le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy —, ont contribué à cet enrichissement. On est loin de la «règle des trois tiers» hypocritement suggérée par le président.
C'est donc une «charge» très lourde mais qui, visiblement, ne dérange personne ! Au contraire : tout le monde s'en félicite. Que la satisfaction des actionnaires mine l'emploi et l'investissement est considéré avec légèreté. Pourtant, il faut appeler un chat un chat : ces rémunérations abusives, mues par un esprit de rente, le plus souvent spéculatif et de courte vue, sont un vrai boulet financier qui non seulement menace leur pérennité mais discrédite la notion même d'entreprenariat.
Il faut le dire : la rémunération des actionnaires est bel et bien une «charge» qui, elle, sert une très mauvaise cause.
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