Ils ont été 5.000 petits entrepreneurs et stars du CAC 40 à se presser, cette année, à l’université d’été du Medef qui, depuis sa création, se veut atelier de réflexion sur la société. Au programme des débats : La spiritualité ou le déluge !
«On est en quête de sens, avoue-t-on au Medef, car plus on est riche de biens, plus on est pauvre de liens.» Cette perle, je l’ai pêchée dans les couloirs de l’université d’été du Medef, le 3 septembre 2009. Vous en voulez d’autres ? «Quand les bourses craquent, il faut réaffirmer la fidélité aux valeurs ancrées dans notre histoire, y compris religieuse» ; «Le respect des droits de l’homme est norme de religiosité»…
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Ainsi, du chômeur au patron, on se gratte la tête : Qui suis-je ? Où cours-je et dans quel état j’erre ? Attention danger, a affirmé Lech Walesa, invité d’honneur présenté comme «le plus grand syndicaliste du siècle» mais qui a surtout été applaudi en tant qu'icône de la lutte contre le communisme : «Les démagogues sont à l’affût. Aujourd’hui on dit : Dieu n’existe plus, on peut faire ce qu’on veut. Ça, c’est inquiétant.»
Ni une, ni deux, le Medef a donc invité Dieu. Il était à l’honneur d’un débat de deux heures sur le thème : La crise actuelle peut-elle provoquer un choc spirituel ? Les réponses ont été feutrées. Personne n’a dit que, dans une vieille outre, il fallait mettre le vin nouveau; non, non… Ecoutez plutôt :
Monseigneur André Vingt-Trois, cardinal-archevêque de Paris : «Une crise, ça provoque des redistributions, des interrogations mais tout le monde ne va pas pour autant se précipiter dans les églises. Pourtant, l’homme ne se suffit pas à lui-même, on le voit aujourd’hui, car le mythe de l’économie comme source de salut est en balance.»
Henri de Castries, président du directoire d’Axa : «Le futur incertain déstabilise, les gens sont en recherche d’exemplarité, de redistribution. L’entreprise, elle, pour sa pérennité, doit partager la recherche du bien commun.»
Eric Besson, ministre de l’Immigration : «Un besoin de sens peut être un besoin collectif. Le besoin de civilisation est une question pour nos politiques.»
Delphine Horvilleur, rabbin MJLF : «C’est une chance pour la société que d’être poussée par un questionnement. Le monde n’est plus prévisible, c’est la remise en question des modélisations, on revient à la réflexion métaphysique.»
René Guitton, auteur de "Ces chrétiens qu’on assassine" : «Cela renvoie aux valeurs morales au plan humain dévoyées par le matérialisme et pas forcément au religieux.»
Jacques Voisin, CFTC : «La CFTC a son existence syndicale garantie au XXIe siècle par les valeurs sociales chrétiennes qu’elle porte.»
Mohammed Moussaoui, président du Conseil Français du Culte Musulman : «La spiritualité étant une espérance au-delà des activités terrestres, le désir de se relier au divin, pour vaincre des peurs intérieures est renforcé et le religieux est sollicité. Mais il y a un retour de l’exploitation de la quête spirituelle pour s’assurer du pouvoir sur des adeptes fragiles.»
Et que pensent les religions des licenciements ? Est-ce casher ? Catholique ? Ethique ? Moral ?
«Nous prêchons que tous nos actes doivent s’élargir aux questions sociales et éthiques», a commenté Delphine Horvilleur. Ainsi en va-t-il des plans sociaux. «A tout pécheur, miséricorde !» a supplié Eric Besson.
De toute façon, pas de mauvaise conscience : le ciel lit les CV ! Nathalie Rodary, coach de dirigeants parmi le public présent au débat, le dit dans son "livre qui éclaire". Ha ! Si seulement vous aviez confiance dans la main invisible qui régule tout...
Patricia Sudolski
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Commentaires
Et pour ce faire les religions on fait leurs preuves puisque justement elles furent créées pour cela… Répondre | Répondre avec citation |
Et la religion fait partie de l'arsenal des conservateurs pour soumettre le bon peuple à ses principes, jouant sur ces puissants leviers que sont l'ignorance et la peur : ordre, obéissance, "valeur travail", lois de l'espèce… darwinisme social, compétitivité, racisme, communautarisme , guerres. On est en plein dans le combat entre nature et culture, valeurs de droite et valeurs de gauche.
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Là où ça va plus loin c'est qu'en cette période de crise, alors que le système capitaliste - instauré par les conservateurs, y compris ceux qui se prétendent à gauche - est en faillite, il devient urgent de REMOTIVER le bon peuple afin que la machine (l'économie et sa société de marché) continue à tourner et surtout que rien ne change.
La "spiritualité" est donc remise au goût du jour pour tenter de redonner du sens à un mode de vie, exclusivement axé sur le travail et la consommation, qui n'en a plus désormais et, au contraire, semble générateur de dangereuses frustrations…
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La "spiritualité" est donc le dernier lapin que le magicien Medef tente de nous sortir de son chapeau afin de perpétuer son fonctionnement inégalitaire et pathogène. Répondre | Répondre avec citation |
Economiste, chercheur au Fonds national belge de la recherche scientifique et professeur à l'Université catholique de Louvain, Christian Arnsperger publie "Ethique de l'existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel" (Ed. du Cerf, 316 p., 23 €). Entretien.
La crise actuelle confirme, selon vous, l'impératif absolu de sortir du capitalisme. Pourquoi estimez-vous que, au-delà de la dimension technique, la clé du problème est "anthropologique " ?
Le capitalisme fonctionne selon une règle simple : tout capital investi doit être rendu aussi rentable que possible. On en voit quotidiennement les conséquences sur nos manières de vivre ensemble et de nous définir comme humains. Ce système a sécrété un Homo capitalisticus dont le niveau de conscience et même le fonctionnement psychique et corporel sont marqués par la logique de rentabilité - qu'on pense aux effets de la mentalité concurrentielle ou aux dégâts causés par l'alimentation agro-industrielle. Ce que nous devons d'abord laisser derrière nous, c'est un certain type d'humanité. Il y a donc bien un enjeu anthropologique . Le capitalisme s'enracine dans nos angoisses existentielles les plus profondes, mais offre à nos inquiétudes des réponses perverses. A nous de comprendre ce mécanisme et d'en tirer les implications si nous voulons être plus pleinement humains.
Votre essai prône un "militantisme existentiel" pour sortir du capitalisme, renouant avec les "exercices spirituels" qui remontent à l'Antiquité. Un projet anticapitaliste sérieux implique-t-il un renouveau de la spiritualité ?
Que nous soyons croyants ou pas, nous sommes tous fragiles et mortels. Notre spiritualité, c'est notre réponse à cet état de fait. Le spirituel n'est donc pas optionnel, même s'il peut prendre des formes très diverses. Spiritualité ne veut pas nécessairement dire religion ! Les spiritualités athées et les philosophies - y compris antiques - ont énormément de ressources à apporter au militantisme politique. En réalité, le capitalisme est déjà une forme de spiritualité, mais tronquée, tordue, et même dangereuse. Il faut en combattre les mensonges, notamment dans la sphère du "développement personnel", qu'il a si bien confisquée. Les militants existentiels sont ceux qui, ayant vu que le capitalisme ne fait qu'attiser nos angoisses alors qu'il promet de les alléger, cherchent à se soutenir mutuellement pour promouvoir une triple éthique : la simplicité volontaire, un revenu de base égal pour tous, et une démocratie radicale étendue à l'économique. Ces militants œuvrent à une refondation profonde de nos existences personnelles et collectives. Il s'agit de modifier toute notre façon de penser l'économie, donc de concevoir nos institutions éducatives et les idéaux qu'elles transmettent aux jeunes générations. Nous en sommes loin ces temps-ci…
Vous pointez les limites de la social-démocratie tout en vous réclamant d'un "libéralisme existentiel". Pour beaucoup, à gauche comme à droite, se dire à la fois libéral et anticapitaliste serait incohérent. Pas nécessairement, pour vous ?
Non, pas du tout. Mon livre propose bel et bien une critique libérale du capitalisme. Le libéralisme prône la libération humaine dans toutes ses dimensions. L'idéal moderne de liberté est le bon, mais le capitalisme a fini par aller à son encontre. Il nous empêche de réfléchir sur le sens même de notre libération. La logique actuelle étouffe d'immenses potentiels humains. C'est pour libérer ces potentiels que nous devrions remplacer la croissance par l'approfondisseme nt, la surconsommation par la simplicité choisie, la rentabilisation du savoir par la quête de soi. Ne poursuivons pas seulement l'égalité des chances de "réussir" en tant qu'Homo capitalisticus aliéné ! Militons dans nos écoles et nos universités pour une vraie égalité d'accès au sens critique et à la lucidité existentielle, exigeons un soutien public pour pouvoir créer librement des façons non capitalistes de consommer et de produire, et descendons dans la rue pour demander, sur cette base toute neuve, des institutions libératrices. C'est ça, le vrai libéralisme !
(Source : Le Monde) Répondre | Répondre avec citation |