On a eu Thierry F., «chômeur professionnel» revendiqué qui, avec l'aide d'un journaliste du Point (crapoteux magazine connu pour son racolage idéologique), savoura son quart d'heure de gloire en publiant fin 2006 un livre qui fit passer ses congénères pour des parasites assistés. Ainsi a-t-il servi — avec succès — la cause du candidat Sarkozy en entretenant la haine sociale.
On a eu aussi Patrick Mayo (1.000 km à pied) ou Eric Fournier (2.300 km à vélo), symboles auto-proclamés du «chômage des seniors» qui ont parcouru la France pour atterrir au Medef… ou à l'UMP, le second ayant pris sa carte dans l'espoir de se faire pistonner. A cette occasion, chacun a utilisé les médias et le soutien de citoyens solidaires ou d'associations de chômeurs à des fins strictement personnelles.
On a eu également Yannick Miel qui s'est soldé sur eBay, symbole auto-proclamé du «chômage des jeunes diplômés» alors que sa démarche était, elle aussi, purement individualiste (et ridicule).
«Se battre», désormais, c'est se vendre aux enchères !
Une tendance lourde confirmée par l'initiative de Jean-Pierre Le Floch qui, au bout de neuf mois de chômage et 200 candidatures, proposait sur son blog un «bon de réduction» d'un montant de 50.000 € sur son embauche «à toute personne [lui] permettant de trouver un emploi de direction financière en entreprise ou direction de filiale». Ainsi, par cette «démarche marketing», ce cadre de 51 ans s'engageait à reverser 500 € par mois à son futur employeur pendant dix ans. Un sacrifice aussi indigne que dérisoire puisqu'à cause de «la crise», un nouveau gel massif des salaires est d'ores et déjà acté par une majorité d'entreprises (qui n'ont que faire de l'audace ou des compétences de candidats motivés voire expérimentés) et que, de toutes manières, le dispositif de «l'offre raisonnable d'emploi» le mènera tout aussi sûrement au déclassement...
Autre cas d'une crétinerie manifeste : celui d'Alain Canovaro, RMIste toulousain de 43 ans qui proposait de faire un don d'organe contre un emploi en CDI. Son «quart d'heure de gloire» fut en réalité désastreux. Donnant dans la pièce détachée, il a hélas montré qu'il avait plus de rein… que de cervelle. Primo, il ne s'est même pas renseigné avant d'agir car sa démarche était illégale. Secondo, il a éludé le fait qu'après l'ablation d'un rein on ne peut pas retravailler avant des mois : comment comptait-il se faire embaucher dans ces conditions ? Heureusement que la connerie ne tue pas.
Mais le «crétin du jour» est, de surcroît, un récidiviste
Il s'appelle Robert Thiel. Ce brave Mosellan de 45 ans, père démuni de trois enfants, est à la recherche d'un emploi depuis deux ans. Au lieu de se battre au côté des associations de chômeurs, inspiré par Patrick Mayo il a préféré, en juin dernier, jouer les Forrest Gump en parcourant 400 km à pied de Sarreguemines à Paris bardé d'un sac à dos où il avait accroché cette pancarte : «Moselle/Paris-L'Elysée. Chômeur en colère», comptant sur la médiatisation de son initiative (et sur la solidarité des personnes qu'il a croisées en chemin pour de se faire héberger chaque nuit) afin d'interpeller notre hyper-Président. Qui s'est contenté de l'inviter à sa garden party du 14 juillet. Pour un résultat complètement nul.
«Si Sarkozy ne me trouve pas de travail, qui pourra m'en trouver ?» s'était-il alors interrogé. Réponse : visiblement personne ! Du coup, Robert Thiel remet le couvert en réactivant le filon médiatico-individualiste. Inspiré cette fois par Jean-Pierre Le Floch, il offre un an de Smic, soit «une prime de 11.957 € contre un contrat à durée indéterminée», partant du principe que «le gouvernement propose des primes à tout va» (quel humour corrosif !). «Comme il me reste à peu près 20 ans à travailler à deux mois près, a-t-il déclaré à l'AFP, je propose à celui qui voudra m'employer de retirer 50 € sur mon salaire chaque mois. Comme ça, à la fin, ça fait 11.900 €», les 57 € supplémentaires étant un clin d'oeil au numéro de son département (trop subtil, le mec !).
Les esclaves à l'honneur
On a là une «totale» : organiser une performance pour prouver — en vain — ce que l'on vaut, puis se résoudre à se brader publiquement... Beau spectacle de la soumission et de l'abdication face à l'intolérable. Tels sont les deux nouveaux piliers de notre société, qui ne tiennent que parce qu'il y a autant de crétins consentants qui renoncent à se battre collectivement afin d'arracher des droits et contrer les attaques gouvernementales à leur égard, participant ainsi à la déstructuration des dynamiques sociales.
Ces chômeurs serviles, qui endossent sans sourciller le rôle du coupable et, tels des robots, ont pour unique préoccupation de montrer à leurs enfants qu'ils sont prêts à tout pour se faire exploiter (bel exemple de dignité humaine !) plutôt que de s'asseoir et prendre le temps d'analyser le monde qui les entoure, n'ont toujours pas compris qu'on se paie leur tête depuis des lustres et qu'aux yeux d'une société dominée par des médias à la solde des puissants et par la sacro-sainte économie de marché, le travail est d'abord un «coût» avant d'être une «valeur»... L'emploi n'étant, dans ce contexte, qu'une variable d'ajustement et eux des victimes sacrifiées, quoiqu'en dise nos bateleurs sarkozystes.
Et ce sont ces décérébrés que l'on médiatise, jamais ceux qui luttent sur le terrain pour faire, ensemble, valoir leurs droits. Des décérébrés érigés en «pères courage» alors qu'ils n'ont absolument pas conscience de jouer non seulement contre eux-mêmes, mais contre les chômeurs et le salariat tout entier. Affligeant !
Sophie HANCART
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