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Ainsi, 75 milliards sont dévolus à près de 500 niches fiscales — qui profitent essentiellement aux contribuables les plus aisés — tandis que 40 milliards vont à des niches sociales consistant en diverses exemptions de cotisations salariales et patronales. (Rappelons d'ailleurs que depuis son élection, Nicolas Sarkozy n'a eu de cesse de multiplier les régimes fiscaux dérogatoires.)
La plus grosse, la plus coûteuse de toutes est une niche sociale : constituée des allègements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires — qui n'incitent pas à la création d'emplois qualifiés et bien rémunérés —, à elle seule, en 2009, elle a privé l'Etat de 26,5 milliards d'euros de recettes. Par ricochet, c'est la Sécu qui en pâtit, puisque l'Etat traîne des pieds pour lui reverser l'intégralité des sommes. Mais François Baroin, notre ministre du Budget, a précisé que le gouvernement ne toucherait pas aux niches "qui soutiennent l'économie. Tout ce qui est créateur d'emploi, tout ce qui est pertinent" sera épargné, a-t-il assuré. Ces cadeaux aux patrons, dont la pertinence est régulièrement contestée par la Cour des comptes, ne risquent donc rien.
Vous avez dit "substantiel" ?
Pour François Baroin, cette coupe de 10 milliards — sur une manne de 115, soit même pas 10% — est "un effort très substantiel"... Sur ce point, le sénateur UMP de l'Oise Philippe Marini, rapporteur du budget au Sénat — qui prône un rabotage de l'ensemble des avantages fiscaux "sans aucun état d'âme", "quelles que soient les catégories concernées" —, ironise : "François Fillon a été le premier à employer le terme de rabot. Or, je crains que la main qui tenait le rabot n'ait été prise d'un accès de faiblesse".
Et le sénateur d'ajouter : "C'est aujourd'hui qu'il faut donner l'exemple et prendre dans le budget 2011 les décisions qui s'imposent pour réduire nos déficits. Il en va de notre crédibilité vis-à-vis de l'ensemble du monde et des marchés". Ça y est, le mot est lâché : les "dieux invisibles" sont invoqués.
Dictature des marchés et sacrifices humains
Justement, dans les colonnes du New York Times, le prix Nobel d'économie Paul Krugman dénonce : "L’élite des responsables politiques (les banquiers centraux, les ministres des Finances, ceux qui se dressent en défenseurs de la vertu budgétaire) agissent comme les prêtres d’un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humains pour apaiser la colère de dieux invisibles". Paul Krugman pèse ses mots : "Oui, on parle de sacrifices. Il faudrait que ceux qui doutent de la souffrance causée par les coupes claires dans les dépenses regardent les conséquences catastrophiques des programmes d'austérité en Grèce et en Irlande". Après avoir mis des millions de gens sur la paille — salariés qui ont perdu leur emploi, petits propriétaires qui se sont retrouvés à la rue… —, ces dieux invisibles semblent toujours plus assoiffés de sang.
Comme l'a déjà dit Charles Wyplosz, professeur d'économie à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, les politiques d'austérité qui se succèdent dans les pays occidentaux sont une "danse du ventre" devant les marchés. C'est l'histoire de la grenouille et du scorpion : les Etats, qui ont sauvé la finance d'elle-même, se retrouvent accusés de mauvaise gestion et, depuis septembre 2008, les marchés profitent de la crise qu'ils ont provoquée pour asservir ceux qui les ont tirés d'affaire. Ainsi la finance prospère à nouveau, assoit sa domination sur le monde en œuvrant contre l'intérêt des populations (qui devront payer la facture et renoncer à leur protection sociale), avec la complicité de responsables politiques totalement inféodés.
Vingt années de baisse générale de la fiscalité
Sous le joug du dogme ultralibéral, depuis les années 80, les responsables politiques — de gauche comme de droite — se sont employés à discréditer l'impôt, instaurant moult dispositifs visant à le réduire au nom du "pouvoir d'achat" ou de la "compétitivité". Résultat : Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, estime qu'en France, entre 2000 et 2009, le budget général de l'Etat aurait perdu entre 100 et 120 milliards d'euros de recettes fiscales, soit environ 6% de PIB. Selon lui, c'est cette "accumulation de baisses d’impôts depuis 2000" qui a "conduit à un accroissement du déficit structurel". Et le déficit conjoncturel provoqué par la crise de la finance privée a enfoncé le clou.
Parallèlement, l'injustice fiscale n'a cessé de s'installer : les revenus du travail sont deux fois plus taxés que ceux du patrimoine ou de la rente; l'impôt le plus inéquitable qui soit — la TVA — est celui qui rapporte le plus (136 milliards d’€ soit 7% du PIB); et les contribuables les plus fortunés sont, proportionnellement, moins imposés que les autres (l'affaire Bettencourt nous l'a démontré…), le Smicard, dindon de la farce, étant le plus saigné.
Une fraude peu combattue
La lutte contre la fraude fiscale, dont le manque à gagner est évalué à 40 milliards d'euros par an, n'est pas la priorité d'un gouvernement qui, lui même mouillé par bien des aspects (n'est-ce pas, Monsieur Woerth ?), préfère communiquer sur la petite fraude des miséreux allocataires de la CAF : un vrai marronnier alors que la fraude sociale exercée par les employeurs, nettement plus préjudiciable, n'est évoquée que du bout des lèvres... Quant à l'abolition des paradis fiscaux qui nuisent à la Terre entière, elle ne fut que l'effet d'annonce d'un G20 collabo.
Recruter et former des contrôleurs & inspecteurs pour ramener tout ce pognon dans les caisses de l'Etat ? Inutile d'y songer. Bizarrement, année après année, les contrôles fiscaux rapportent de moins en moins. Selon les chiffres de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), en 2007, ils avaient permis de "récupérer" 16,4 milliards. En 2008 : 15,2 milliards. En 2009 : 14,7 milliards. Cerise sur le gâteau, le taux de recouvrement réel de tous ces contrôles n'est que des deux tiers. Quant à la fraude à l'Urssaf, le montant des redressements effectués n'atteint pas le milliard.
Il faut prendre l'argent où il est !
Le gouvernement s'entête à réduire les dépenses en dépit du bon sens, détruisant des emplois, lésant les plus modestes au risque de compromettre la reprise, sans chercher à augmenter ses recettes : faire payer davantage les plus riches, particuliers ou entreprises, est un tabou absolu. Le dernier barème de l'impôt sur le revenu — établi par Dominique de Villepin en 2005 — les favorise encore plus, les évadés s'en tirent à bon compte, et pas question de revenir sur le bouclier fiscal !
Pourtant, au lieu d'empiler les niches, multiplier les taxes et autres contributions proportionnelles (TVA, CSG…), seule la mise en place d'une fiscalité progressive sur les revenus et le capital pourra améliorer l'état de nos finances publiques de manière simple et significative => Lire l'excellent dossier d’Alternatives Économiques.
Ras-le-bol du bricolage qui dédouane les mieux lotis et fait passer les autres pour des assistés ! Il faut réhabiliter l'impôt, le rendre lisible, efficace et, surtout, plus juste.
Et il faut en finir avec la dictature des marchés.
SH
Réduction du déficit public : Taxer davantage le capital est la piste la plus sérieuse
(C'est L'Expansion qui le dit !)
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Commentaires
Et on nous parle de la toute puissance des marches alors que ces premiers profitent de politiques d'Etat genereuses depuis le debut des annees 1970s! Comme on dit : ''si tu fais une merde, tu dois etre capable de la nettoyer''. Rien n'est irreversible. Répondre | Répondre avec citation |
Le ministre du Budget François Baroin assure lundi dans Le Figaro que "les publics fragiles" ainsi que la politique familiale seront "épargnés" par le coup de rabot de 10 milliards d'euros de niches fiscales décidé vendredi dans le cadre de la lutte contre les déficits.
Les décisions définitives sur le choix des niches à réduire, "exercice subtil et difficile", seront prises "à la mi-septembre", annonce M. Baroin qui parle d'un "effort substantiel" à partager "entre les entreprises et les ménages".
"Certaines niches seront supprimées. D'autres réductions d'impôts seront recentrées ou verront leur modalité de calcul révisée", explique-t-il en assurant vouloir "protéger le pouvoir d'achat des Français".
Pour François Baroin, ce coup de "rabot" de 10 milliards d'euros ne s'apparente pas à une hausse d'impôt car "nul n'est obligé d'utiliser une niche fiscale pour réduire son impôt". "En revanche, une augmentation générale de la fiscalité pénaliserait tout le monde" et "il n'est pas question de procéder ainsi", ajoute-t-il, conformément à la promesse du président Nicolas Sarkozy de ne pas augmenter les impôts.
Disant vouloir bâtir un budget de la Sécurité sociale 2011 sur "des bases solides et sincères", il annonce que "les recettes fiscales sont en ligne avec nos prévisions". Il précise que la "reprise du marché du travail" au premier semestre "devrait rapporter environ 2 milliards de cotisations sociales supplémentaires ".
La "reprise du marché du travail" au premier semestre ? Quelle reprise ??? Répondre | Répondre avec citation |
C’est une vieille histoire que celle de l’impôt. Celle de "l’impôt-phobie" également. Et celle de l’inégalité face à l’impôt.
Cette roue des privilèges, on la voit tourner, mais on ne s’y intéresse pas toujours. Pourtant, il existe un lien entre ces infirmières qui se font licencier et les millionnaires qui ne paient pas leurs impôts. Il y a un lien entre les 13% de la population française qui vivent sous le seuil de pauvreté et l’argent que Liliane Bettencourt ne reverse pas au Fisc.
Vive l’impôt ! Un reportage de François Ruffin à écouter chez Daniel Mermet Répondre | Répondre avec citation |