Mardi, au cours de sa conférence de presse mensuelle, la patronne du Medef a encore fustigé nos coûts salariaux, répétant que, depuis dix ans, l'écart entre la France et l'Allemagne s'est accru de "10%" au détriment de la France. Or, Laurence Parisot a régurgité des statistiques de l'Insee parfaitement erronées et reconnues comme telles...
L'Insee vient de reconnaître qu'il avait surévalué les coûts horaires dans l'industrie manufacturière française. Une erreur qui avait déclenché une pluie d'attaques contre les «charges» sociales, qui seraient trop élevées en France par rapport à l'Allemagne.
L'Insee s'était planté. Une fois de plus, diront les critiques. Et, de fait, on se souvient peut-être de la polémique autour des chiffres du chômage qui avait occupé la scène en 2006-2007. Plutôt que de mettre en cause les chiffres mensuels publiés alors par le ministère du Travail qui faisaient apparaître une décrue importante du nombre de demandeurs d'emploi qui n'était sans doute due qu'à des opérations de radiations massives, l'Institut avait préféré ne pas publier les chiffres de son Enquête Emploi qui démentaient l'optimisme officiel, et il avait fallu attendre huit longs mois pour que, après refonte complète du dispositif d'enquête, l'Insee livre enfin son diagnostic : oui, le taux de chômage publié par le ministère à partir des données de ce qui était alors l'ANPE était sous-estimé de près d'un point. Mais les critiques auraient tort de ricaner. Car l'Insee a toujours su regarder de près les arguments des contestataires pour juger de leur validité puis, le cas échéant, à reconnaître ses torts.
C'est ce qu'il vient de faire à propos de l'enquête sur les coûts salariaux. En décembre dernier, l'Insee transmettait à Eurostat les résultats de cette enquête réalisée tous les quatre ans dans un cadre européen. Il en ressortait que les coûts horaires dans l'industrie manufacturière française avaient fait un bond de 28% entre 2004 et 2008, dépassant désormais largement l'Allemagne, avec une moyenne de 37,50 € contre 33,30. Alors que, quatre ans auparavant, la France se situait à un niveau inférieur à celui de l'Allemagne (29,30 € contre 30,80). Ayant eu connaissance de ces chiffres, Rexecode, un institut de conjoncture proche du patronat chargé de réaliser une étude sur la compétitivité de l'industrie française par rapport à l'industrie allemande, en faisait la clé de voûte de ses explications : nous perdons des parts de marché en raison de cette dérive des coûts salariaux par rapport à notre principal concurrent, concluait Rexecode. Et immédiatement, le patronat, Mme Parisot en tête, montait au front, en dénonçant le poids excessif des charges qui plombent l'économie française.
En fait, le 15 février, l'Insee reconnaissait s'être trompé dans le décompte des heures travaillées en 2008, majorant ainsi de façon importante le coût horaire moyen, lequel était en réalité de 33,26 € et non de 37,50 €. Et, avec ces nouveaux chiffres, l'Allemagne continue de dépasser − de peu, il est vrai − la France avec 33,34 €. Certes, la progression a été plus rapide de ce côté-ci du Rhin (+14%) que de l'autre côté (+8%), ce que ne manque pas de dénoncer le Medef. Mais aussi Les Echos du 1er mars qui, par la plume d'un de ses éditorialistes, Jean-Francis Pécresse, dénonce le poids croissant des cotisations sociales (les «charges») et parle d'une «fuite en avant vers le social». En bref, nous disposons d'une protection sociale qui excède nos moyens et qui, de ce fait, contribue à plomber notre productivité.
Pas un mot, bien entendu, du retard également croissant que prennent les investissements industriels de la France comparés à ceux de l'Allemagne (+5% entre 2000 et 2008, contre +11% en Allemagne). Les pertes de compétitivité ne peuvent venir que des salariés, forcément. Et si l'on se demandait également si l'on peut à la fois gâter les actionnaires et investir…
Denis Clerc - Alternatives Economiques
Sur la base de ce grossier mensonge, Laurence Parisot a donc justifié la nécessité d'aller vers une réduction des cotisations sociales et un inéluctable recul de l'âge de départ à la retraite, tel que préconisé dans le "pacte de compétitivité" signé vendredi par les dirigeants de l'Eurozone... Bref, une dégration programmée de notre protection sociale. Dogme que dément l'un de ses anciens collaborateurs :
Avant la crise, les économistes bien-pensants justifiaient les allégements de cotisations sociales par «l'enrichissement de la croissance en emplois». On nous expliquait que le chômage ne diminuait pas parce que le travail des gagne-petit coûtait trop cher. Pour que le chômage baisse, il fallait encourager les employeurs à recruter davantage de personnes peu qualifiées en allégeant les cotisations sociales à proximité du Smic.
Dès 1993, la France s'était lancée dans cette politique qui coûte, bon an mal an, de l'ordre de 25 milliards d'euros au contribuable. Ou, plus exactement, qui explique 25 milliards de dettes annuelles supplémentaires, puisque cette politique n'a jamais été financée autrement que par des emprunts d'Etat.
Alors que l'efficience de ces allégements de «charges» reste largement à prouver, on nous remet le couvert au nom, cette fois, de la compétitivité. Pour retrouver cette fameuse compétitivité, il faudrait en effet diminuer de nouveau et de manière significative les cotisations sociales. Mais de façon révélatrice, plus personne n'ose dire que ce serait là un remède au chômage : aucun employeur ne se risque à évoquer des embauches massives si le coût du travail diminue. Il s'agirait d'être «compétitif» pour simplement avoir une chance de conserver les emplois existants.
Et quelles seraient les conséquences pour les salariés et le bien-être collectif ? Si on veut diminuer les cotisations sociales de façon significative, il n'y a pas 36 solutions. Soit on privatise une partie de la Sécurité sociale et les salariés devront amputer leur pouvoir d'achat à hauteur des nouveaux allégements qui seront consentis aux employeurs, pour s'assurer eux-mêmes sur le marché concurrentiel qui se substituera à la Sécu. Et cette ponction pèsera encore un peu plus sur la consommation et sur la reprise. Soit l'Etat continue de prendre à sa charge le cadeau fait aux employeurs. Cela peut se faire par le biais d'un endettement accru, mais celui-ci pèserait aussi sur la croissance dans les conditions actuelles de défiance des acteurs financiers. Soit par d'autres prélèvements supplémentaires qui nous ramèneraient immédiatement au premier cas de figure.
Dans tous les cas, ce gain de compétitivité serait d'ampleur beaucoup trop faible pour engendrer un boom spectaculaire des exportations compte tenu des écarts de coûts du travail avec la Chine ou la Roumanie. Il se paiera donc… par une baisse de la croissance. Et par un malaise social accru. Car la Sécurité sociale, rappelons-le, ce n'est pas qu'un coût pour les employeurs. C'est aussi, et surtout, un formidable stabilisateur de l'activité économique et des rapports sociaux, par la sécurité qu'elle apporte à tous.
Eric Verhaeghe - Alternatives Economiques
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