Avant d'intervenir au journal de 20 heures de France 2 mercredi soir, Nicolas Sarkozy avait prévenu via son compte Twitter qu'il parlerait de l'emploi. En fait, il fallait comprendre "travail" et même "valeur travail", qu'il oppose à l’"assistanat".
Le président candidat a ainsi proposé de supprimer la prime pour l'emploi afin de revaloriser les bas salaires. Une façon d'amender la TVA sociale, à ce jour principale mesure de son programme, qui doit créer des emplois mais aussi en détruire à cause de son effet direct sur les prix. A l'inverse, il entend faire travailler les bénéficiaires du RSA 7 heures par semaines en échange de leur allocation. Enfin il annonce, s'il est élu, qu'il supprimera les retraites chapeau et les parachutes dorés pour les dirigeants des grandes entreprises. Reste que ce positionnement sur la "valeur travail" lui permet d'éviter de devoir seulement défendre son bilan sur l'emploi. Une mission impossible...
En 2007, dans l'émission “A vous de juger” sur France 2, le candidat Sarkozy s'était en effet engagé à ramener à 5% le taux de chômage à la fin de son quinquennat, et proposait aux Français d'en "tirer les conséquences" s'il finissait à 10%. A l'heure actuelle, le président doit regretter cette promesse, car le taux de chômage a atteint 9,7% à la fin du troisième trimestre 2011 et devrait franchir la barre des 10% au printemps, selon l'Insee et l'OCDE. Durant son quinquennat, il y a eu près d'un million de chômeurs de plus inscrits à Pôle Emploi (1,33 million si l'on compte les demandeurs d'emploi ayant une activité réduite).
Pour se défendre, Nicolas Sarkozy répètera que la crise est passée par là. La plus violente des crises économique et financière qu'a connu le monde depuis la seconde guerre mondiale. Il relativisera aussi en disant que le chômage n'a pas explosé autant que dans d'autres pays, citant de préférence l'Espagne où le chômage touche près de 23% de la population. La situation de l'Espagne est particulière, l'essentiel des emplois créés au cours des dix dernières années l'ayant été grâce à la bulle immobilière, qui a explosé violemment en 2008. En réalité, la France se situe dans la moyenne européenne (9,9% dans l'UE et 10,4% en zone euro). Mais elle fait moins bien que l'Allemagne - modèle de référence de Nicolas Sarkozy - où le chômage était de 7% fin 2011.
L'impact de la crise
Quant à la crise, on ne peut pas la nier. Le chômage avait commencé à reculer au début de l'ère Sarkozy, passant de 8,5% au deuxième trimestre 2007 à 7,5% au premier trimestre 2008. Reparti à la hausse à partir de la deuxième moitié de 2008 alors que la crise financière étend son onde de choc sur la planète, il explose vraiment en 2009. Depuis, Nicolas Sarkozy est confronté à une hausse quasiment ininterrompue du nombre de chômeurs, ponctuée d'à peine quelques mois de répit fin 2010 et début 2011. La France n'a pas su profiter du rebond de la croissance (+1,4% en 2010 et + 1,7% en 2011) pour faire diminuer le taux de chômage. C'est donc moins l'explosion constatée du chômage en 2008-2009 que l'incapacité du gouvernement à relancer la machine qui pose question alors qu'aux Etats-Unis et en Allemagne, le chômage aurait déjà reflué.
Le fait est que la croissance française n'est pas assez dynamique : il faudrait au moins une hausse de 2,5% du PIB pour rattraper le déficit d'emplois lié à la crise. Tout repose donc sur les politiques publiques. Qu'a fait Nicolas Sarkozy pour l'emploi ? Beaucoup mais pas assez. Le chef de l'Etat a multiplié les sommets sociaux et les mesures d'urgence, à tel point qu'on ne sait quoi retenir de son action sur l'emploi. Sur son site de campagne, "la France forte", le candidat de l'UMP met en exergue la fusion ANPE-Assedic, la création du Revenu de solidarité active, la réforme de la formation professionnelle et la création de contrats de transition professionnelle pour les licenciés économiques.
Des mesures à l'efficacité très contestable
La naissance de Pôle Emploi s'est faite dans la douleur parce que trop vite expédiée et dans un contexte de flambée du chômage. Aujourd'hui, l'organisme public manque cruellement de moyens. Censée être gage d'efficacité, la réforme à finalement conduit à une augmentation du nombre de chômeurs suivis par un conseiller. De son côté, faute de postes, le RSA n'a pas rempli ses objectifs en matière de retour vers l'emploi.
En dépit des avancées de la loi du 21 novembre 2009, le système de formation professionnelle reste très fragmenté entre tous les acteurs, ce qui nuit à son efficacité. Il ne bénéficie que très peu - 15% des offres de formation et 13% des fonds - aux demandeurs d'emploi, qui ne sont que 8% à y accéder. L'efficacité des contrats de transition et de sécurisation professionnelle est réelle, mais le dispositif est limité à une quinzaine de bassins d'emploi et ne bénéficie qu'aux licenciés économiques. Or ce sont les travailleurs précaires (CDD, intérimaires) qui constituent le gros des inscrits à Pôle Emploi.
On ne saurait cependant limiter l'action de Nicolas Sarkozy à ces quelques exemples. Il y a eu des mesures pour favoriser les embauches d'apprentis et de jeunes (dispositifs zéro charges dans les TPE) et celles de stagiaires en CDI. On peut aussi évoquer la baisse de la TVA dans la restauration, censée créer 20.000 emplois en deux ans. Une politique essentiellement axée sur les allègements de charges pour faire baisser le coût du travail. C'est la même logique qui sous-tend à la mise en oeuvre de la TVA sociale qui doit entrer en vigueur en octobre. Ce transfert de cotisations patronales sur la consommation doit créer, selon le gouvernement, 100.000 emplois sur trois ans. Mais les économistes sont sceptiques...
L'accent mis sur la baisse du coût du travail
"Ces mesures visant à réduire le coût du travail peuvent fonctionner quand l'économie tourne bien, pour lutter contre le chômage structurel, mais elles n'ont aucun effet sur le chômage conjoncturel, quand les entreprises ne créent pas mais détruisent des emplois, critique Marion Cochard, économiste à l'OFCE. Autrement dit, la politique de l'emploi de Nicolas Sarkozy est à contretemps.
L'illustration la plus parfaite est la défiscalisation des heures supplémentaires, symbole du "travailler plus pour gagner plus" - le slogan de la campagne 2007. Cette mesure phare de la loi TEPA est pointée du doigt par les syndicats et l'opposition de gauche comme un frein à l'embauche dans les entreprises, qui ont plus à gagner en termes de fiscalité à faire travailler plus leurs employés qu'à recruter quand l'activité repart à la hausse. Ce qui est paradoxal, c'est que l'Etat finance dans le même temps le recours des entreprises aux heures supplémentaires - le manque à gagner de la défiscalisation est de 4,5 milliards d'euros en moyenne par an - et le recours au chômage partiel.
Un manque de cohérence et de moyens
Le gouvernement a d'ailleurs favorisé récemment le recours au chômage partiel, facilitant les démarches administratives et augmentant son financement. Le chômage technique ou partiel a ainsi plus que doublé entre 2008 (82.000 personnes) et 2010 (196.000 personnes). Mais trop tardivement et avec trop peu de moyens. Pendant que l'Allemagne a mis 6 milliards d'euros sur la table depuis 2008 et sauvé 250.000 emplois grâce à cet outil, la France n'a mobilisé que 150 millions. L'enveloppe annoncée lors du sommet social en janvier de 140 millions d'euros ne permettra de fiancer le chômage partiel que de quelque 60.000 salariés supplémentaires. De la même manière, le gouvernement a redécouvert, en 2008, les vertus des contrats publics aidés pour les jeunes et les chômeurs les moins qualifiés, avant de réduire la voilure en 2011 - l'enveloppe a été réduite de 25%.
"La politique pour l'emploi de Nicolas Sarkozy a manqué d'ambition, les moyens mis sur la table n'ont pas été à la hauteur des enjeux", déplore Marion Cochard. Selon une étude du ministère du Travail, les dépenses de politique en faveur du marché du travail représentaient 2,18 points de PIB en 2007. Elles ont baissé à 2,03 points en 2008 et sont remontées à 2,42 points en 2009. L'ampleur de l'effort est donc faible et la hausse est essentiellement due à l'indemnisation du chômage. Les crédits alloués à la mission emploi pour 2012 - 10,2 milliards d'euros - sont en baisse de 12% par rapport à 2011, alors que le chômage continue d'augmenter.
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy se pose en sauveur d'entreprises. Il trouve des repreneurs pour Lejaby et Photowatt, en cherche un pour la raffinerie Petroplus de Petit-Couronnes, et promet de ne pas laisser tomber les ArcelorMittal de Florange. En 2009 et 2010, 770.000 emplois ont été détruits dans l'industrie en France. C'est ce bilan que le président va devoir assumer. Que propose le candidat pour le prochain quinquennat ? La TVA sociale, des accords compétitivité-emploi ou encore obliger les chômeurs à se former. Saura-t-il avec ces mesures convaincre les Français, au premier rang desquels les chômeurs et les salariés qui craignent pour leur emploi ?
(Source : L'Expansion)
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