Trois semaines auparavant, elle avait adressé un courrier au directeur de son agence d'Angoulême, restée lettre morte. On comprend son agacement... A Pôle Emploi, il faut attendre autant pour obtenir une simple attestation commandée via le 3949, et tant pis si ça urge. Inadmissible !
Isabelle voulait simplement être reçue. Elle a cru que cette menace, proférée devant sa conseillère, accélèrerait la chose et, en effet, rendez-vous a été obtenu pour le lendemain avec le directeur en question. Mais à cause de deux mots — «jerrican», «allumettes» — employés dans un contexte délicat — l'immolation tragique de Djamal Chaar, survenue le 13 février dernier à Nantes, puis les tentatives qui ont suivi —, la conseillère paniquée les ayant pris très au sérieux et enclenché la procédure “Menace imminente d'un demandeur d'emploi” communiquée par le Directeur général de l'organisme à ses personnels, le soir-même, Isabelle a été cueillie à son domicile par huit policiers, mise en garde à vue et internée d'office pendant 72 heures en soins psychiatriques.
Son histoire est ici.
Du coup, l'entretien tant désiré avec le directeur n'a même pas eu lieu !
Depuis le 13 février, Pôle Emploi recensé plus de 50 menaces sérieuses de suicide. «L’immolation de Nantes a entraîné un effet boule de neige, a expliqué une syndicaliste du SNU-Pôle emploi. Les directions locales essayent d’étouffer la plupart des affaires, mais il est incontestable que la tension augmente» tandis que «les débordements se multiplient» : échanges verbaux musclés, agressivité physique. Ce dont semble se moquer Michel Sapin.
En ce qui concerne le cas d'Isabelle, le directeur territorial de l'organisme a justifié son appel à la police : «Mieux vaut prendre plus [trop ?] de précautions que pas assez». En effet, c'est justement parce que Djamal Chaar a déjoué la surveillance policière (suite à ses avertissements au 3949 et à la presse locale, les flics sont venus sonner chez lui, et il leur a dit qu'il plaisantait. Ils l'ont ensuite attendu devant son agence, mais il est arrivé en flammes par une autre rue) que les procédures ont, visiblement, été durcies.
Ensuite, des actes plus ou moins farfelus ont achevé de semer la panique, entre cet homme qui a menacé de faire sauter une agence à Vannes ou ce jeune qui a tenté de braquer une agence à Angers avec… un désodorisant. Pathétique, non ?
De quoi conforter les cyniques qui soutiennent que cette expression de la souffrance des chômeurs est une «mode». Surtout, ces menaces en l'air jettent le discrédit sur le suicide de Djamal Chaar, dont le désespoir et le geste étaient tout sauf anodins.
Pôle Emploi est sur les dents, et il ne faut pas jouer avec le feu. L'organisme, éternel bras armé du gouvernement qui fiche déjà ses «chômeurs agressifs», n'hésite plus, au moindre «incident client», à passer à l'action avec la bénédiction des autorités.
A Actuchomage, on se souvient de l'«affaire Radiateur» qui a valu à Yves, responsable du site, d'être condamné à 500 € d'amende avec sursis pour «incitation à la commission de délits pouvant mettre en danger la vie d’autrui». La cause ? Un message provocateur posté sur notre forum par un agent ANPE en colère suivi… d'une dénonciation anonyme. C'est pourquoi, depuis, nous sommes très vigilants quant au contenu des interventions de nos utilisateurs, dont nous sommes pénalement responsables. Il faut se souvenir qu'entre novembre 2005 et février 2006, dans la foulée des émeutes, une vague d'incendies avait détruit plusieurs agences ANPE et antennes Assedic. Actuchomage avait été mis sous haute surveillance (nous n'étions pas les seuls), et le ministère de l'Intérieur était aux abois.
Revenons à la mésaventure d'Isabelle. Si elle a invoqué l'immolation devant une conseillère avec — il faut le dire — un peu trop de légèreté, Pôle Emploi a commis un abus manifeste : sa réponse, disproportionnée, s'est faite au mépris de la loi. Isabelle va «peut-être porter plainte»... Osera-t-elle ?
On le répète : face au chômage endémique et à cette machine à broyer qu'est Pôle Emploi, il ne faut pas rester seul(e). Nous sommes des millions et la solidarité, ça existe. Des associations sont là pour vous éclairer, voire vous épauler dans vos démarches, et rien ne vaut l'action collective. Si Djamal Chaar avait, par exemple, appelé le MCPL de Rennes, le MNCP de Vannes ou la CGT-Chômeurs Rebelles du Morbihan, voire s'il avait exposé sa situation sur un forum aussi compétent que celui de Recours-Radiation, il aurait appris que l'indu de 620 € que lui réclamait Pôle Emploi pouvait être annulé, idem pour la sanction à son encontre liée à sa non-déclaration d'activité : ainsi aurait-il vu une lueur d'espoir et ne serait-il pas passé à l'acte. Quel gâchis !
SH
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