Les experts ont dit «cinq fois par jour». Au minimum. Jus de fruits au petit déjeuner, crudités, légumes cuits et fruit au déjeuner, soupe le soir par exemple et le compte est bon. Consommer cinq fruits et légumes quotidiennement est le plus sûr moyen, selon les nutritionnistes, d'éloigner cancer, maladies cardio-vasculaires et obésité. Crus ou cuits, frais ou en conserve, ce qui importe, c'est le nombre.
Depuis 2001 et la mise en place du Programme national nutrition santé, les autorités sanitaires essaient de redonner le goût des fruits et des légumes aux Français. Guides, semaines de promotion des fruits et des légumes, affichettes. Le message commence à être entendu. Mais il ne permet pas aux plus démunis de s'offrir les menus du PNNS. Il y a quelques semaines, Serge Hercberg, professeur de nutrition et rédacteur du PNNS, a remis ses propositions pour lancer la deuxième phase du programme au ministre de la Santé. Selon lui, il y a maintenant urgence à agir pour améliorer l'état nutritionnel des plus défavorisés.
Le PNNS préconise cinq fruits et légumes par jour. Cinq ans après sa mise en place, ses consignes peuvent-elles être suivies par les très bas revenus ?
Non. Une fracture alimentaire est en train de se creuser entre les populations favorisées, réceptives aux messages nutritionnels de santé publique, et les populations défavorisées, qui, pour des raisons culturelles, sociologiques et économiques, ne sont pas touchées par le message et n'ont de toute façon pas les moyens d'avoir accès à une alimentation allant dans le sens des recommandations. Nous venons de publier une étude sur la consommation des populations défavorisées. Nous avons été très impressionnés de voir les faibles revenus qu'elles investissent dans l'alimentation. Elles dépensent en moyenne 2,60 € par jour et par personne, alors qu'il faut au moins 3,50 € pour s'offrir l'alimentation recommandée dans le PNNS. 40% des personnes que nous avons interrogées avaient moins de 2 € par jour et 50% déclaraient ne pas manger à leur faim. Seulement 1% de cette population, qui se nourrit principalement grâce aux Restos du coeur ou aux épiceries solidaires, mange la quantité adéquate de fruits et de légumes.
Cette population souffre-t-elle de carences ?
Là encore nous avons été impressionnés. Non seulement 36% des femmes en situation de précarité présentent une obésité, mais 30% des femmes sont anémiques par carence en fer. Un taux pas si éloigné des pays en voie de développement. (...)
Que faire pour que les plus défavorisés aient aussi accès à une alimentation équilibrée ?
Jusqu'à récemment, ils utilisaient l'aide alimentaire comme complément. Aujourd'hui, elle est devenue la source exclusive d'approvisionnement. Il faut donc modifier l'organisation de cette aide alimentaire. Augmenter les quantités disponibles en fruits et légumes, jouer avec la récupération des surplus de production, travailler avec les marchés de gros, augmenter leur capacité de stockage, les équiper en camions. Mais ce n'est pas suffisant car, même si 3 millions de personnes fréquentent les structures d'aide, toutes les populations défavorisées n'y vont pas.
Que proposez-vous pour les autres ?
Il faut des actions directes. On ne peut plus se contenter de brochures. L'Etat doit fournir des moyens mais aussi des actions économiques, des mesures de type social. Si ces personnes ne peuvent pas se payer des fruits et des légumes, il faut les leur apporter sous forme de coupons gratuits. Ce ne sont pas des coupons de pauvres marqués au fer rouge. Ils ressembleraient plutôt à des Ticket Restaurant donnés aux populations défavorisées, celles qui bénéficient de la Couverture médicale universelle (CMU) par exemple, et qui ne seraient pas échangeables contre d'autres produits. C'est tout à fait organisable avec les Caisses d'allocations familiales. Cela a été testé aux Etats-Unis. Je propose de distribuer chaque mois deux coupons de 5 € par personne. Cela représenterait 150 à 200 grammes de fruits et de légumes par jour.
Qui les financerait ?
Cinq millions de personnes sont à la CMU. Cette mesure coûterait donc 600 millions d'euros par an. J'ai proposé que ce fonds soit cofinancé par l'Etat et par les entreprises, l'agroalimentaire, la grande distribution, les sociétés de jeux vidéo. On pourrait trouver un certain nombre d'acteurs qui contribueraient à ce fonds sous forme de cotisation indexée sur le chiffre d'affaires.
(Source : Libération)
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