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La concurrence, dogme et mythe

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Une analyse de Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) pour Le Monde Diplomatique de juillet 2006.

«La concurrence stimule les ventes et donc les débouchés pour les entreprises, ce qui les incite à recruter», vient de rappeler l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pourtant, les vertus prêtées à ce principe reposent moins sur la science que sur la croyance, intéressée. Affirmer ainsi un tel dogme permet aux économistes néolibéraux d’écarter tout débat, et aux entreprises d’imposer leurs choix.

De prétendues «évidences» économiques, utilisées comme argument d’autorité, polluent le débat politique. Elles aboutissent à rejeter certains thèmes hors du champ de la discussion : le protectionnisme, le rôle positif des entreprises publiques ou l’intervention de l’Etat, etc. Enfin elles prétendent s’imposer au-delà des clivages politiques, au nom de leur caractère «objectif».

Si ces «évidences» économiques reposaient sur une base scientifique, les contester serait impossible. L’idée ne viendrait à personne de mettre aux voix les lois de la nature. Mais si ces bases se révèlent douteuses, alors le statut qu’elles ont acquis dans le débat relève non seulement de la fraude, mais aussi de l’usurpation antidémocratique : elles sont en effet établies par une minorité (les «experts»), par ailleurs politiquement irresponsable. Si elle prétend à la scientificité, l’étude de l’économie doit être soumise à des règles de vérification et structurée par des pratiques d’argumentation. Or la pensée économique néolibérale s’est affranchie de ces contraintes.

La principale pseudo-évidence qu’elle met en avant est le rôle fondateur de la concurrence, ce qui lui permet de justifier le primat du libre-échange en macroéconomie, et celui de la flexibilité en microéconomie. C’est pourquoi les néolibéraux ont voulu en faire un principe cardinal du Traité constitutionnel européen. C’est là un des plus vieux débats de la pensée économique moderne. En effet, la question n’est pas de savoir si, dans certaines circonstances, et pour atteindre des résultats particuliers, la concurrence pourrait permettre la coordination des actions des uns et des autres. Présentée ainsi, la problématique s’ancre dans le réel. En revanche, pour les libéraux, le rôle de la concurrence constitue un dogme. Elle acquiert dès lors un caractère absolu qui transcende le problème des conditions concrètes de sa mise en œuvre.

On trouve l’origine de ce dogme dans les travaux des fondateurs de l’économie classique du XVIIIe siècle : David Hume, Bernard de Mandeville et Adam Smith. Ils ont voulu démontrer que la concurrence entre les activités individuelles, mue par les objectifs les plus égoïstes, aboutissait spontanément à un résultat positif pour la collectivité. Tel est le sens de la première théorie générale du libre-échange élaborée par Hume, de la Fable des abeilles de Mandeville et de la fameuse «main invisible» de Smith. Les argumentaires de ces trois auteurs ne résistent pourtant pas à l’examen.

La théorie de l’équilibre automatique du commerce international de Hume, reprise quasiment mot pour mot par les apologistes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), se fonde sur des hypothèses irréalistes, notamment celle d’une information immédiate et parfaite des acteurs économiques, et celle des ajustements instantanés et sans coûts, à la fois entre l’offre et la demande, mais aussi au sein de l’offre et de la demande. En fait, il faut supposer que les biens et les services sont entièrement substituables les uns aux autres tant du point de vue du demandeur que de celui de l’offreur.

La thèse de Mandeville – les vices privés (l’égoïsme, l’ambition) se transforment souvent de manière non intentionnelle en des «vertus collectives», un peu comme une abeille construit une ruche sans le savoir et sans le vouloir – est une pure construction littéraire.

Quant à Smith, il n’a jamais démontré le mécanisme de la «main invisible» (le marché qui allouerait spontanément production et consommation mieux que tout système prépensé), ce dernier constituant en réalité, comme l’a mis en évidence l’historien Jean-Claude Perrot, une aporie religieuse dans une tentative de construction d’un discours scientifique.

En prétendant formuler des «lois» quasi naturelles, ces trois auteurs poursuivaient en réalité des objectifs politiques. Hume voulait montrer que le libre-échange, dans la mesure où il aboutit au bonheur de tous, rendait inutiles les conflits entre Etats. Pour Mandeville et Smith, l’organisation spontanée produite par la concurrence permettait de se passer des despotes éclairés et de leur arbitraire. On ne peut qu’éprouver de la sympathie pour le pacifisme de Hume, tout comme pour le rejet du despotisme chez Mandeville et Smith, mais on ne saurait confondre l’instrumentalisation bien intentionnée d’un discours pseudoscientifique et une véritable démonstration.

Vers la fin du XIXe et au XXe siècle, la théorie de la concurrence se diversifie : LIRE LA SUITE DE L'ARTICLE

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Mis à jour ( Mardi, 22 Août 2006 20:26 )  

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