
Selon un article des Echos paru mardi et qui estime que les sanctions sont plus nombreuses mais "plus justes", le renforcement du contrôle des chômeurs et son système de gradation des sanctions (1) a entraîné le quasi-doublement (+ 96,3%) des pénalités prononcées à l'encontre des allocataires de l'assurance-chômage depuis sa mise en œuvre. Pourtant, à ce jour, la DGTEFP (Direction générale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle) ne recense au total que 1,08% de "manquements" aux obligations du demandeur d'emploi : être en recherche active, suivre les propositions de l'ANPE, etc… Ce qui est fort peu.
Tant d'efforts pour de si petites économies laisse songeur, d'autant plus que visiblement les services de l'Etat ont du mal à suivre... En attendant, l'impact moral et financier sur ces chômeurs pénalisés est d'une ampleur certaine. Les Echos notent que peu d'entre eux (13%) osent contester les sanctions en commission tripartite. Si le Ministère du travail justifie ce faible score par "la plus grande justesse des décisions", il manque curieusement de psychologie : en général, plus on vous met la tête sous l'eau, moins on a d'énergie pour se défendre et la pente devient très glissante.
Qu'un demandeur d'emploi percevant une allocation supérieure au Smic ne fasse pas ce qu'il faut pour retrouver du travail, cela mérite sûrement un rappel à l'ordre, puis une sanction. Le salarié qui perd son emploi subit déjà une baisse importante de son pouvoir d'achat qui l'oblige à réajuster ses frais et modifier son train de vie : si son allocation lui permet encore de s'en sortir, il doit consacrer une part de son budget à ses obligations de recherche. Mais quand le demandeur d'emploi se retrouve dans une situation financière difficile, comment lui reprocher de ne pas joindre les deux bouts ? Et quand l'ANPE le contraint à participer à des ateliers inutiles puis à accepter un poste qui ne lui convient pas, quelle est la limite entre le manquement simple et l'obligation arbitraire ?
Dynamiser, ou enfoncer ?
Parmi les 23.000 chômeurs ainsi épinglés, on compte 3.800 allocataires de l'ASS. "Seulement", estiment Les Echos dans leur article ! Beaucoup trop, quand on sait que ces personnes vivent avec 430 € par mois… mais Les Echos en ont-ils seulement l'idée ?
Donc, le contrôle se focalise sur les privés d'emploi de longue durée dont le "manque de dynamisme" est flagrant. Avant de savoir pourquoi ces personnes sont restées aussi longtemps sans retrouver de travail, personne ne se souvient qu'entre 2001 et 2003 les destructions d'emplois ont fait rage : pour ceux et celles qui ont été licencié(e)s à cette époque, si par malheur la limite d'âge était dépassée - aujourd'hui, 38 ans - et le parcours trop "atypique", il n'y avait aucune chance de sortir de ce piège. Sauf, peut-être, d'accepter un emploi sous-dimensionné avec un salaire au Smic (et c'est bien vers cela que l'on tend). Alors on cherche, on cherche, en vain, on accumule les réponses négatives, le temps passe et on devient "inemployable". Arrive la fin de droits et l'ASS : la perte de revenu est immense, on ne s'achète plus de viande rouge ou de vêtements, on n'a même plus d'argent pour s'acheter des timbres, de l'encre, du papier et des enveloppes. On continue à envoyer des candidatures et puis un jour, on lève le pied parce qu'on en a marre de toute cette comédie et qu'on a envie d'aller enfin se faire plaisir chez le coiffeur ou se racheter des slips neufs.
C'est là qu'on décide de vous contrôler. Pas de pitié : vous aurez beau dire que votre loyer équivaut à votre ASS + l'APL, que vous bouffez parce que votre mère pioche dans son compte sur livret, que vous êtes Bac + 2 avec 20 ans d'expérience et qu'un job au Smic ne règlera rien car qu'il vous faut un vrai emploi pour sortir de l'assistance... vous n'avez pas rempli vos obligations, et la sanction tombe !
345 € pour se remotiver
A quoi cela sert-il de réduire de 20% une ASS à 430 € pendant deux mois ? Le contrôleur, qui ne s'est pas senti coupable d'appliquer une règle aussi absurde qu'injuste, croit-il que le chômeur découragé qu'il vient de punir va retrouver le moral pour retourner "se vendre" sur un marché du travail qui le rejette depuis des années ? Avec quoi va-t-il payer ses prochaines factures de téléphone et d'électricité ?
On pense à l'expérience de Milgram où des sujets comme vous et moi, soucieux de bien suivre les instructions données par un décideur en blouse blanche, n'ont pas hésité à infliger des décharges électriques mortelles à de faux élèves pour les punir quand ils ne répondaient pas correctement aux questions posées. Comment les individus peuvent-ils concilier les impératifs de l’autorité avec la voix de la conscience ? Où commence la responsabilité individuelle ? Quelles sont les limites de l’obéissance ? Je pose la question à tous ces contrôleurs munis d'un nouveau pouvoir, eux-mêmes contrôlés par leur hiérarchie : alors que l'emploi stagne et que 70% des offres sont précaires, est-ce en s'acharnant et en humiliant à ce point les plus exclus des exclus qu'on fera reculer le chômage ?
(1) Le contrôleur peut choisir de réduire le montant et/ou la durée des allocations. Les sanctions les plus fréquentes sont la réduction de 20% des allocations pendant deux mois (premier manquement). Mais elles peuvent aller jusqu'à 50% (récidive) et six mois. Sur un an, il y a eu 1.300 suppressions définitives.
Articles les plus récents :
- 15/11/2006 04:00 - Thomé-Génot : chantage au Contrat de transition professionnelle
- 09/11/2006 18:49 - Une "prime de cohésion sociale" pour les chômeurs de plus de 50 ans
- 09/11/2006 12:07 - Du low cost à l'holocauste ?
- 08/11/2006 18:03 - Les Français travaillent plus que les autres
- 08/11/2006 15:08 - L'Etat n'emploie que 3,69% d'handicapés
Articles les plus anciens :
- 07/11/2006 04:17 - Les chômeurs ne «passent» pas à la télé
- 06/11/2006 17:31 - Contrôle de recherche d'emploi : 75% de sanctions en plus !
- 05/11/2006 17:48 - 1.800 entreprises ont signé la «Charte de la diversité»
- 02/11/2006 14:51 - DSK promet le retour du plein emploi d'ici dix ans
- 31/10/2006 09:35 - Derrière les 30.400 chômeurs de moins en septembre
Commentaires
(…)
Actuchomage : On a l'impression que tout se focalise actuellement autour des chômeurs qui ont, justement, le moins de capacités financières pour rechercher correctement un travail… Quel est le sentiment général de l’ANPE vis-à-vis du renforcement du contrôle des demandeurs d'emploi ?
Annette DUBOIS : Effectivement, le contrôle se focalise bien sur les chômeurs de longue et très longue durée, parce qu'ils sont dans une situation de "manque de dynamisme" - ce qu'on peut concevoir. C'est donc sur ceux-là qu'il faut remettre la pression. On peut nous dire que "c'est pour leur bien" (le discours officiel) et qu'il faut, par la contrainte, les remotiver… On espère surtout que ça ne va pas totalement les détruire.
Noël DAUCÉ : Avant le nouveau décret du 2 août sur le contrôle des demandeurs d'emploi, on parlait "d'actes positifs et répétés" de recherche d'emploi. Maintenant, il faut que les démarches présentent aussi "un caractère réel et sérieux" : on a donc durci la définition des actes de recherche, alors que tout se passe dans la subjectivité et que ce n'est pas chiffrable.
Ironiquement, quand un patron licencie, l'Inspection du travail lui demande aussi de justifier du caractère "réel et sérieux" de son acte. Il y a un parallélisme des formes juridiques, mais avec 1.300 inspecteurs pour 2,5 millions d'entreprises, les employeurs ne sont sanctionnés de rien du tout et la délinquance patronale peut aller bon train ! Alors que pour les chômeurs, on a prévu trois dispositifs de contrôle : l'Assedic, l'ANPE et le ministère du travail (DDTE). Cette batterie répressive est vraiment indécente. Si, comme le préconisait le rapport Marimbert sur la réforme du service de l'emploi, on avait "1 contrôleur pour 10.000 chômeurs indemnisés"… et la même chose en face - 1 contrôleur du travail pour 10.000 entreprises -, ça irait déjà beaucoup mieux !
Annette DUBOIS : Je dis aussi que la graduation des sanctions est, pour le contrôleur, beaucoup moins "culpabilisante" qu'une radiation qui supprime toute indemnité. Cette graduation permet de sévir sans trop de scrupules, et donc plus souvent. Il s'agit bien de massifier le contrôle et les sanctions, afin de mettre à fond la pression et l'étendre à de plus en plus de chômeurs. Le but est d'en pousser davantage à accepter n'importe quel boulot et à n'importe quel prix… Le but est bien de faire baisser les salaires.
Noël DAUCÉ : C'est pour ça que la question des chômeurs, c'est aussi celle de tout le monde : plus le revenu de remplacement est élevé et correct, meilleure est la capacité de résistance de l'ensemble des salariés. Plus il y a de chômeurs qui sont contraints d'accepter des bas salaires, moins les salariés en place peuvent maintenir le leur et se défendre. L'union des salariés et des chômeurs n'est pas que philanthropique , elle est dans l'intérêt de tous ! Et c'est ça, l'enjeu de la prochaine convention de l'Unedic. Et c'est pour ça que le discours dominant veut liguer la France qui travaille contre la France des "assistés" : diviser pour mieux régner. Répondre | Répondre avec citation |