Quel demandeur d'emploi ne rêverait de s'entendre dire par son conseiller ANPE : «Vous avez rendez-vous dans une entreprise pour un poste. Mais surtout n'apportez ni CV ni lettre de motivation» ! C'est pourtant ce qui arrive aux candidats sélectionnés par une méthode de recrutement qui va à l'encontre de toutes les habitudes françaises et dont a bénéficié Edouard Valle, 23 ans. Venu de province à Paris pour rejoindre son amie et obligé de trouver de toute urgence un travail pour payer son loyer, il avait pensé à la grande distribution. Facile ? Pas pour quelqu'un sans aucune expérience dans les supermarchés et titulaire d'un Deug pouvant le faire apparaître comme surqualifié. De fait, ses CV restaient désespérément sans réponse.
Un jour, l'ANPE lui a proposé de tenter sa chance autrement : par la méthode de recrutement par simulation - MRS pour les initiés - qui consiste à faire passer des tests élaborés avec les entreprises. Mise au point en 1990 par Georges Lemoine, aujourd'hui professeur de sociologie et alors directeur de l'ANPE de Niort, elle est aujourd'hui proposée gratuitement par les agences à un très grand nombre d'entreprises. En échange, celles-ci s'engagent à puiser dans le vivier ainsi sélectionné par l'ANPE et surtout - très important - à ne pas regarder le CV avant l'embauche. Pour cela, elles signent même une convention.
Une mise en situation très réaliste
Dans une grande salle, Edouard et quinze autres chercheurs d'emploi munis de Lego de plusieurs couleurs figurant les produits ont été invités à les disposer suivant des instructions précises. «C'était comme dans un supermarché, il y avait un CD qui diffusait un fond sonore bruyant, des personnes nous interrompaient constamment», raconte le jeune homme, qui a passé brillamment les tests. Ce n'est qu'une fois la sélection réussie que l'ANPE l'a envoyé - sans CV - voir son futur employeur, le directeur d'un supermarché Champion dans le 15e arrondissement, aujourd'hui très satisfait de son nouvel employé.
S'il avait postulé chez Ikea, on lui aurait demandé de monter rapidement un Meccano, toujours dans le bruit, en étant souvent dérangé. Pour un poste de chauffeur routier, il aurait fallu organiser une multitude de trajets pour un 30-tonnes fictif, avec chargements et déchargements. Mais en aucun cas on ne lui aurait fait faire et refaire son CV, cette épreuve lancinante constamment imposée aux demandeurs d'emploi.
Des compétences en direct
Car le seul critère qui compte, ce n'est ni l'âge, ni le diplôme, ni le cursus, ce sont les capacités d'une personne pour un poste et son envie de l'occuper. Une révolution culturelle. «Dans notre pays, nous sommes bien trop focalisés sur la formation initiale. Nous avons le culte du diplôme. La culture française du recrutement ne sait pas parier suffisamment sur un individu», déplore Jacques Adoue, DRH hôtellerie France du groupe Accor et adepte de la méthode. Or l'ANPE a mobilisé 500 personnes sur la MRS, qui ont créé 102 «plates-formes de la vocation» pour permettre de la proposer à des jeunes sans diplôme. Au total, 40.000 personnes auront trouvé un emploi par ce canal cette année. La moitié ont moins de 26 ans. La plupart ont un faible niveau de qualification.
Minorités visibles, femmes, jeunes, seniors, tout le monde est supposé avoir sa chance avec ce système. «On a placé ainsi des personnes qui n'auraient jamais été embauchées autrement» , insiste Françoise Mourier, la «Madame MRS» de l'ANPE. Le responsable d'une «plate-forme de la vocation» dans le sud de la France se souvient de ce jeune homme en jogging déchiré et tee-shirt fatigué qui réussissait formidablement bien les tests pour entrer dans la grande distribution. «Avec ce look, il n'aurait jamais été engagé nulle part. Là, il a été pris. Je lui ai juste dit d'améliorer sa présentation quand il irait bosser. Ce que, dans la joie d'avoir un job, il s'est empressé de faire.» Marc Veyron, DRH de Champion qui l'utilise régulièrement, remarque : «C'est bien pour les salariés qui ne savent pas se vendre, ceux qui sont très stressés pendant les entretiens d'embauche.» De fait, Georges Lemoine, le père de la méthode, a coutume de rappeler que lorsqu'il l'a mise au point avec des chercheurs canadiens, c'était aussi pour redonner confiance aux chômeurs qui se sentaient des incapables. C'est pourquoi on l'a appelée aussi «la méthode des habiletés». Car, des habiletés, tout le monde en a.
Certes, il n'y a pas de miracle. Et dans cette entreprise de traitement de fruits sous vide du sud de la France, plusieurs personnes intégrées ainsi après les tests n'ont pas supporté de travailler dans des salles réfrigérées et n'ont pas tenu le coup : les tests ne s'étaient pas passés en milieu froid ! En revanche, chez lui, Marc Veyron de Champion estime que grâce à la simulation de recrutement, le turnover a diminué. «Auparavant, nous avions tendance à rechercher des personnes ayant déjà travaillé dans la grande distribution. Sans remarquer que si elles avaient quitté leur précédent employeur, c'était peut-être qu'elles n'étaient pas faites pour ces métiers.»
Une méthode encore limitée
Pour le moment, les entreprises les plus intéressées sont celles qui doivent trouver du personnel en grand nombre pour des postes peu qualifiés et pour des métiers où les candidats manquent : restauration, grande distribution, vente, centres d'appels. Mais l'ANPE n'exclut pas d'utiliser la MRS pour des postes de manager. Plusieurs groupes sont devenus des habitués : Ikea, Champion, Accor, Veolia, Vinci, Eiffage, Courtepaille, des centres d'appels et aussi des PME. Ainsi Ikea s'apprête à ouvrir un magasin à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais. «Nous avons reçu quelque 4.500 CV pour 240 postes. Nous les avons tous transmis à l'ANPE qui organisera la simulation pour 170 postes (vendeurs, logisticiens, restauration). Nous aurions eu beaucoup de mal à traiter tous ces CV» , note son directeur Fabrice Mangia.
Privilégier les aptitudes plutôt que l'expérience, cela suppose que les entreprises s'impliquent : «Nous voulons juste être sûrs que les personnes aient les capacités. Leur apprendre ensuite le métier, c'est notre problème. Nous avons un plan de formation important», dit Emma Recco, responsable RH du magasin d'Ikea à Saint-Etienne. Même remarque de Gwenaël Le Houérou, directeur des opérations de Suitehotel (groupe Accor) : «Il suffit que les personnes soient douées pour l'accueil, la relation aux autres. La formation, nous nous en chargeons.» Résultat : la méthode draine des personnes venues d'horizons professionnels très différents. Exemple : Ikea, à Saint-Etienne, a ainsi intégré, selon Emma Recco, «un ex-danseur étoile, une coiffeuse, un pâtissier». Ikea d'Hénin-Beaumont est en passe d'employer une bijoutière, un bac + 5 en ressources humaines et un ex-gendarme qui vont se retrouver respectivement au service clientèle et au libre-service...
La méthode est aussi une formidable garantie pour une entreprise contre l'accusation éventuelle - désormais très redoutée par les DRH - de discrimination.
Jacqueline de Linares pour Le Nouvel Observateur
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