Koh-Lanta, par exemple. Voyez comment une équipe — les «Rouges» (on ne ricane pas svp) — qui a gagné toutes les épreuves depuis le début, sympathique et gonflée d'assurance, se retrouve confrontée à son premier échec : au bout de neuf jours, fallait bien que ça arrive.
Quand tout baigne, l'harmonie règne : les gens sont de bon poil, à l'écoute, compréhensifs et même solidaires. Quand le vent tourne, les conflits naissent : il faut désigner le coupable ou le faible du moment, qui doit aussitôt quitter l'aventure. En l'occurrence une femme («faibles» par excellence elles sont, d'ailleurs, toujours les premières à se faire éjecter).
Mais la faiblesse est toute relative. On a vu cette candidate, executive woman de 41 ans, autoritaire, bardée de préjugés et qui déclarait ne pas aimer les «assistés», perdre le contrôle de la situation puis abandonner le jeu assez pitoyablement.
Revenons aux Trente Glorieuses. Années bénies où, suite à la deuxième guerre mondiale, il était dans l'intérêt du pays, qui devait se redresser, de partager les richesses avec le plus grand nombre. On a vu alors la naissance de ce qu'on a appelé les «classes moyennes» (aujourd'hui nettement menacées : on s'appelle ça la «paupérisation» de la société).
Cette période de prospérité économique a vu aussi l'émergence de grands penseurs et d'une flopée de rebelles que, d'ailleurs, on se prend à regretter. Au moins ça bougeait, c'était vivant, et on nous disait que tout ne pouvait aller qu'en s'améliorant. On y croyait car c'était possible. Il est vrai que, quand on ne manque pas de nourriture, on peut se permettre de faire la fine bouche, voire de critiquer son assiette. Mais quand, à cause d'une pénurie surgie de nulle part, son contenu se restreint et que même, pour certains, il n'y a presque plus rien à bouffer, on se contente d'avaler sans trop tortiller. Les chiens ne deviennent pas des loups du jour au lendemain.
Jusqu'à la fin des années 80, le rapport de force était beaucoup trop favorable à une majorité de Français. C'est pour cela qu'aujourd'hui, notre pays étant toujours bien placé dans le top-ten mondial, les puissants, qui ont trouvé le temps long, font en sorte d'inverser la vapeur : c'est la «révolution tranquille» dont parle François Fillon, un retournement idéologique savamment récupéré sur les traces de la contestation, distillé depuis cette époque et dont le phénomène le plus notoire est l'avènement d'une société de consommation à la fois individualisante, décérébrante, et couronnée par la peur du chômage. Sans complexe et avec succès, les plus riches tirent enfin ouvertement la couverture à eux.
Ils ont compris que les périodes de prospérité économique éloignent une trop grande partie du peuple des tracas matériels. Qu'elles sont donc trop propices à la réflexion, au sens critique mais aussi à l'esprit solidaire (car il y en a suffisamment pour tout le monde, on peut partager) : même les étrangers ou les plus faibles ne sont pas si gênants. Après tout, sauf exceptions, rien ne presse, ils peuvent toujours se refaire : la guigne, le coup de calgon, ça peut arriver à n'importe qui. Mais quand le vent tourne (ou quand on veut nous faire croire qu'il a mal tourné en clamant, par exemple, que «Les caisses sont vides !»), les individus cessent rapidement de penser, se soumettent et se désolidarisent. Les moins musclés, les cabossés et autres affaiblis, coupables d'être un poids sans qu'on leur donne une chance, sont subitement dépouillés de toutes leurs qualités et, illico, évincés.
Ainsi va l'humanité, qui fonctionne par cycles. Trois pas en avant, deux pas en arrière... L'humanité progresse et régresse, puis progresse à nouveau. Comme des vagues, ces mouvements se calquent sur les rapports de force entre faibles et puissants (ou ceux qui croient être puissants et ceux qui pensent être faibles) et s'inversent au fil du temps, chacun prenant le dessus sur l'autre en fonction des aléas de l'Histoire, des opportunités ou des contextes économiques... Et quand le déséquilibre devient trop grand, quand ce n'est plus tenable — même pour les riches ! —, la tendance s'inverse à nouveau.
Les lecteurs d'Actuchomage ont compris qu'ils se situent dans la mauvaise phase du cycle. En 1968, on nous disait que tout était possible; en 2008, l'impossible s'est produit. Notre association, créée en 2004, s'appelle Apnée; en 2008, c'est carrément la tasse ! Et si nous serons peut-être trop vieux pour avoir le plaisir de la voir arriver, reste à espérer que nos enfants bénéficieront de cette prochaine vague de progrès humain que nous appelons de nos vœux.
S.H.
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