Coup de théâtre lundi, à Athènes : mû par une soif de démocratie plutôt inattendue, suite à l'accord de sauvetage de son pays conclu à l'arraché la semaine dernière à Bruxelles, sans avoir consulté son gouvernement ni ses partenaires européens, le Premier ministre grec a annoncé sa décision d'organiser un vote de confiance au Parlement dès vendredi, auquel succèdera un référendum populaire en janvier.
Cette initiative surprise secoue les marchés et ses nombreux serviteurs : les bourses du monde entier ont brutalement dévissé tandis que la classe politique grecque et ses "alliés" européens sont furieux. Craignant la victoire d'un NON aussi probable que massif, tous vont unir leurs efforts afin que Georges Papandréou y renonce. Le mauvais élève est d'ores et déjà convoqué ce soir en urgence à un conseil de discipline à Cannes : en marge du G20 et en compagnie du FMI, ils tenteront de remettre dans le droit chemin l'«irresponsable» président de l'Internationale socialiste, avec pour mot d'ordre «la rigueur ou la faillite» (ce qui revient au même).
Consulter son peuple et son Parlement ? Une hérésie !
En France, le chef de l'Etat a exprimé sa consternation. Mais c'est Christian Estrosi qui s'est fait son plus virulent porte parole, évoquant une décision "insultante" : «Lorsqu'on sait le mal que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont eu à faire adopter ce plan courageux, je vous le dis très clairement, je déplore cette décision qui me paraît totalement irresponsable de la part du Premier ministre grec». On comprend l'irritation du maire UMP de Nice, dont la commune est située à 30 km de Cannes et où ont débuté des manifestations anti-G20 sous haute surveillance policière...
La patronne des patrons Laurence Parisot a, quant à elle, dénoncé «un comportement anormal, qui n'est pas loyal à l'égard des chefs d'Etat européens, à l'égard des peuples européens»… comme si le Medef en avait quelque chose à faire, de la loyauté à l'égard des peuples. Bon sang, on croit rêver !
Personne n'a oublié comment Nicolas Sarkozy s'est assis sur le référendum du 29 mai 2005 où près de 55% des Français avaient rejeté le traité de Constitution européenne. Le "traité simplifié" de Lisbonne, qui l'a remplacé, a finalement été ratifié par voie parlementaire. Aux manettes de ce pur déni de démocratie, notre Président Nicolas Sarkozy, grouillot d'une Europe pilotée par l'Allemagne et totalement dévouée aux marchés et à la finance. On comprend sa consternation face à la volte-face, il est vrai surprenante, du Premier ministre grec dont la servilité fut, jusqu'à présent, exemplaire.
Qualifié de "suicidaire", personne ne donne cher de sa peau : la chute de Papandréou ne serait plus qu'une question d'heures ou de jours. Ainsi, plutôt qu'un référendum qui ferait entendre la voix du peuple grec, c'est la perspective d'élections législatives anticipées qui se profile. Quoiqu'il arrive, les citoyens sont piégés : ils devront choisir parmi les représentants d'une même caste politique qui ne cesse d'œuvrer contre ses intérêts, gangrénée par les lobbies patronaux et financiers. D'ailleurs, la chose est entendue : à chaque mesure antisociale adoptée, les bourses retrouvent la santé et le patronat émet des signes de satisfaction qui ne trompent plus personne.
La liberté pour les marchés, la dictature pour les citoyens
Alors qu'il se vante d'être le seul système économique qui favorise la démocratie sur Terre — postulat à la base mensonger puisque de nombreuses dictatures ont été installées puis soutenues par des pays "démocratiques" dont, en tête, les Etats-Unis… —, le capitalisme, par ses agissements à l'encontre des puissances publiques qui se sont massivement endettées afin de le sauver de ses propres abus, nous prouve aujourd'hui qu'il n'en est rien.
La dictature, c'est la mise sous contrôle des populations sans leur adhésion. Ce qui distingue les démocraties des dictatures, c'est la liberté politique et la séparation des pouvoirs, jumelées à l'existence d'un rituel électoral qui autorise les peuples à exercer, de temps à autre, leur "souveraineté". Comme l'exprimait un slogan désabusé de Mai 68, la dictature c'est «Ferme ta gueule» et la démocratie, c'est «Cause toujours»... Or, il est désormais criant que nos soi-disant démocraties sont placées sous l'autoritarisme des marchés, pilotés par une nébuleuse de rapaces que personne n'a élus tandis que nos dirigeants, "élus démocratiquement", leur obéissent au doigt et à l'œil et, pour ce faire, se mettent à nous dire ouvertement «Ta gueule».
Ceux qui, en 2005, espéraient une rupture avec le modèle économique libéral porté par l'UE en sont pour leurs frais. Dirigée de Francfort par la BCE et non à Bruxelles, l'UE continue de fonctionner sur ses dogmes de concurrence «libre et non faussée» et d'ouverture aux marchés, sans parler de son obsession anti-inflationniste qui ne profite qu'aux possédants.
De surcroît son Europarlement, élu au suffrage universel direct par les 450 millions d'Européens, n'est qu'une voiture balai au pouvoir négligeable. Prié d'expédier les affaires courantes, il n'a pas son mot à dire : c'est le Bundestag qui a autorisé Angela Merkel à négocier une extension du Fonds européen de stabilité financière, assurant ainsi le "succès" du plan de sauvetage de jeudi dernier. Bienvenue dans le IVe Reich ! Dans l'Europe d'aujourd'hui, sans lui pas d'accord; sans oublier les incessantes "convergences" et autres séances de benchmarking martelées par nos dirigeants admiratifs visant à nous convaincre que le miraculeux "modèle allemand" est le meilleur, et que nous devront inévitablement le copier.
Le vrai déficit de l'Europe, il est démocratique.
Ironie du sort, la démocratie naquit en Grèce, 700 à 600 ans avant JC...
On peut le répéter dans tous les sens : nos démocraties ne sont plus qu'un simulacre arrêté aux portes de l'économie néolibérale, dont l'hégémonie s'apparente à une dictature mondialisée. Celle-ci perdure grâce à des "élus" indignes qui se comportent en collabos et devraient être condamnés pour haute trahison.
SH
Entre les marchands et les peuples, il faut choisir, nous dit Paul Jorion ce matin :
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