
Le chômage est une calamité pour tous, mais il touche de façon encore plus aiguë les seniors. Selon les dernières statistiques officielles, en avril 2012, il y avait 427.000 hommes et 464.000 femmes de plus de 50 ans inscrits dans les catégories A, B et C de Pôle Emploi en métropole. Cette population de près de 900.000 actifs reste deux fois plus longtemps au chômage que les moins âgés. Et en ce moment, toutes catégories confondues, on compte à Pôle Emploi quelque 2 millions de chômeurs de longue, voire de très longue durée [1], qui n'ont donc aucune chance d'avoir accès à la retraite à 60 ans telle que définie par le nouveau gouvernement.
Cette situation a de terribles conséquences. En effet, une fois devenu demandeur d'emploi, le salarié ne cotise plus à la retraite de base (car, sans employeur, pas de trimestres cotisés !). Ses trimestres sont simplement "validés" (en revanche, il continue de cotiser aux caisses complémentaires sur la base de son SJR, salaire journalier de référence). Ce qui signifie qu'il continue à accumuler ses trimestres, mais que l'absence de cotisations aura une incidence négative sur le montant de sa future pension.
Le chômage indemnisé et la validation des droits à la retraite qui l'accompagnent prennent fin au plus tard au bout de 23 mois pour les chômeurs de moins de 50 ans et de 36 mois pour les plus de 50 ans. Ensuite, seuls les chômeurs de longue durée qui peuvent bénéficier de l'allocation spécifique de solidarité (ASS, 470 euros par mois) voient leur période de chômage validée pour leur retraite; mais ils cessent dans le même temps de cotiser aux caisses complémentaires. Et pour avoir droit à l'ASS, outre justifier de plus de 5 ans d'activité sur les dix dernières années, les revenus mensuels du foyer du chômeur vivant en couple doivent être inférieurs à 1.719 euros. S'ils sont supérieurs, il n'a droit à rien.
En l'absence d'allocation, cette période n'est plus validée pour l'obtention de sa retraite de base et complémentaire : résultat, la pension se retrouvera diminuée dans de très fortes proportions. Il en est ainsi pour les allocataires du RMI ou du RSA, puisque les périodes sous ce régime ne sont pas du tout validées : autant dire que le montant de leur retraite sera, lui aussi, gravement amputé. Pour ces chômeurs aux minima sociaux, l'horizon, c'est le minimum vieillesse à 67 ans.
Mais revenons aux cas les moins critiques. Pour pallier partiellement cette situation connue de tous, les syndicats ont demandé au nouveau gouvernement de rétablir l'allocation équivalent retraite (AER), supprimée en 2009 par l'UMP et remplacée provisoirement par l'allocation transitoire de solidarité (ATS), un dispositif volontairement très restrictif. Car l'AER assurait à tous les chômeurs ayant atteint le nombre de trimestres nécessaires pour liquider leur retraite, mais pas l'âge légal, le versement d'une allocation de 1.000 euros par mois qui leur permettait d'attendre l'heure du départ en bénéficiant d'un revenu nettement plus conséquent que la misérable ASS. Or, le gouvernement Hollande-Ayrault l'a, lui aussi, sèchement refusé.
Conséquence du chômage de masse et de la crise, nous assisterons au retour en force des retraités pauvres — ils sont aujourd'hui 1 million à vivre sous le seuil de pauvreté —, phénomène déjà identifié depuis 2000 et qui prendra des proportions dramatiques dans les années à venir, au même niveau qu'après guerre.
Le décret sur ce retour partiel de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant commencé à travailler à 18 ans a été présenté en Conseil des ministres. Il doit être examiné par le Conseil d'Etat avant publication au Journal Officiel pour une entrée en vigueur au 1er novembre.
Le changement, le vrai, ce n'est pas pour maintenant.
SH
[1] Pour parfaire le tableau, il faut notamment rajouter les 860.000 allocataires du RSA "socle" qui ne sont pas inscrits à Pôle Emploi car suivis par les services sociaux, ainsi que les trois-quarts des 900.000 bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé (AHH) qui ne travaillent pas, soit parce qu'ils ne le peuvent pas, soit parce qu'ils sont discriminés. Ni les uns, ni les autres ne valident de trimestres pour leur retraite.
Articles les plus récents :
- 02/07/2012 21:00 - Pôle Emploi : flicage accru et radiations massives en vue ?
- 02/07/2012 17:51 - Finances publiques : plus de 50 milliards d'euros à gratter
- 29/06/2012 14:14 - Le vrai visage de Michel Sapin
- 28/06/2012 14:57 - Revalorisation des allocations chômage : +2%
- 27/06/2012 15:45 - Chômage de mai : nouvelle flambée
Articles les plus anciens :
- 13/06/2012 10:04 - 18.300 emplois salariés créés au 1er trimestre : enfin le bout du tunnel !
- 12/06/2012 13:31 - Sarkozy l'assisté se sent-il menacé ?
- 08/06/2012 01:58 - Taux de chômage : les derniers chiffres de l'Insee sont-ils fiables ?
- 06/06/2012 00:33 - Smic ou RSA : le choix cornélien du charitable Martin Hirsch
- 04/06/2012 14:35 - Austérité : 5 milliards d'économies par an ?
Commentaires
www.toutsurlaretraite.com/retraite-anticipee-le-nouveau-decret-carrieres-longues-en-10-questions-reponses.html
www.toutsurlaretraite.com/retraite-a-60-ans-tout-savoir-sur-le-decret-carriere-longues-voulu-par-hollande.html Répondre | Répondre avec citation |
www.cfdt-retraites.fr/Projet-de-decret-retraites#forum39480 Répondre | Répondre avec citation |
A moins que 1720 euros par mois pour 2, soit le seuil de l’entrée dans la classe moyenne spoliée chère à Laurent Wauquiez … Répondre | Répondre avec citation |
La retraite au plus tard à 60 ans, pour toutes et tous à taux plein !
Les chômeurs doivent être concernés par les mesures prises concernant la possibilité de partir en retraite à 60 ans, il s’agit d’une dimension d’équilibre et de justice sociale, un des acquis des précédents gouvernements de gauche.
Les chômeurs ne choisissent pas de se retrouver au chômage : ils subissent les fermetures d’entreprises, les délocalisations et les successifs plans dits «sociaux», ils sont les premières victimes des choix du profit maximum et de la financiarisatio n de l’économie.
Leur quotidien est difficile. Plongés dans l’angoisse et les multiples urgences permanentes, leur état de santé est dégradé, leur confiance mise à mal, leurs liens sociaux souvent distendus, leur isolement omniprésent, leur véritable espoir de retrouver un emploi est de l’ordre du néant.
Il convient donc de ne pas punir doublement, triplement celles et ceux qui sont déjà lourdement stigmatisés, contrôlés, soupçonnés, infantilisés, désignés coupables de leurs situations.
En état de survie, en obligation de fonctionner avec des revenus indécents quand tout coute cher, même l’indispensable et le strict nécessaire, il est juste de permettre à ces femmes et ces hommes de prendre une retraite méritée. D’autant que chacun sait qu’il y a bien peu de «chances» qu’on leur offre la possibilité de retourner vers un emploi digne.
Les chômeurs ne sont ni des chiffres, ni des courbes, ni des pourcentages et ne doivent pas non plus être des variables d’ajustement des profits et bénéfices, pas plus que de moyen de pression sur les salaires et les conditions de travail des salariés.
La retraite doit être accordée à celles et ceux qui arrivent à 60 ans, fatigués, usés, élimés par des années de précarité et de privations : c’est une question de justice sociale !
Philippe Villechalane, porte parole de l’APEIS
Association Pour l’Emploi, l’Information et la Solidarité
8, rue de Verdun
94800 Villejuif
01 46 82 52 25
apeis
www.actuchomage.org/2012051120772/Mobilisations-luttes-et-solidarites/le-mncp-demande-a-participer-a-la-lconference-nationale-pour-la-croissance-et-lemploir.html
Le MNCP s'indigne de ce mépris de mauvais augure alors que ce nouveau gouvernement "de gauche" affiche une volonté de "dialogue social nouvelle formule"… Répondre | Répondre avec citation |
"
Quitte à réclamer, ils pourraient aussu demander une pension de retraite complète .. Ce serait certainement plus le cas si le nombre de trimestres de chômage était retenu comme cotisé. dans le calcul du montant de la pension,
Ou alors une que pour le calcul du SAM, soient déduises des 25 années les années de chômage (quelqu'un qui aurait 4 ans de chômage, aurait un SAM calculé sur 21 ans). Répondre | Répondre avec citation |
Va t'on voir fleurir les divorces pour valider plus de trimestres et toucher l'ASS ? Répondre | Répondre avec citation |
Et en moyenne, ils auront à vivre avec une vingtaine d'années… Répondre | Répondre avec citation |
Pourquoi pas … mais, pour ceux qui n'ont pas les trimestres cotisés, à quoi cela va t'il servir (à part visualiser un avenir triste,)? Je ne crois pas qu'ils soient dans une position dans laquelle gagner les trimestres cotisés manquant relève de leur seule décision personnelle. Répondre | Répondre avec citation |
J'ai aussi une pensée pour les exclus de l'emploi percevant l'AAH et le RSA qui ne "valident" rien du tout non plus. Ça représente environ 2 millions de personnes, ce qui est énorme ! Répondre | Répondre avec citation |
Il ne faut pas se leurrer: nous allons progressivement vers une tiersmondialisa tion de notre système social, vers une paupérisation dramatique et inédite d'une partie des retraités; cela est toléré voire voulu par les néolibéraux (très nombreux au PS). On dira: il n'y a pas d'argent pour ca. De l'argent,il y en a, mais il n'y a pas de volonté politique, ni de groupe de pression qui le réclame. Le gouvernement ne réagit et n'agit que sous pression. Répondre | Répondre avec citation |
LE MONDE ECONOMIE | 19.06.2012 à 15h45
Par Thibault Gajdos, CNRS
Depuis 1946, l'espérance de vie à la naissance en France a augmenté de presque vingt ans. Vivant plus vieux, les retraités toucheront leurs pensions plus longtemps. La logique démographique paraît donc inexorable, et la cause entendue : il faut, au choix, travailler plus longtemps, augmenter le montant des cotisations ou réduire celui des retraites.
La décision du gouvernement de permettre aux personnes ayant travaillé dès l'âge de 18 ou 19 ans, s'ils ont cotisé pendant 41 années, de bénéficier d'une retraite à taux plein dès 60 ans serait donc une irresponsable folie démagogique. Telle est, en tout cas, la teneur d'un éditorial récent du Wall Street Journal et d'une déclaration du ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble à La Stampa.
Il se pourrait toutefois que le délicieux Michel Audiard soit meilleur démographe que l'influent quotidien new-yorkais et l'ancien dauphin de Helmut Kohl réunis. Car, comme le notait l'auteur des Barbouzes, ce n'est pas le tout de prendre sa retraite jeune, "faut surtout la prendre vivant. Ce n'est pas dans les moyens de tout le monde". Selon l'Insee, en appliquant les taux de mortalité de la période 2000-2008, un ouvrier de 35 ans a 13% de risque de mourir avant 60 ans. Le risque n'est que de 6% pour un cadre (Insee Première, octobre 2011).
Et ce n'est pas tout d'atteindre l'âge de la retraite : encore faut-il en profiter ! Emmanuelle Cambois et Jean-Marie Robine ont analysé l'espérance de vie après 65 ans (Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 8 mars 2011). Il en ressort que les écarts d'espérance de vie restent marqués après cet âge : un homme ayant exercé une profession qualifiée a alors une espérance de vie de presque 19 années, contre moins de 16 pour un ouvrier.
Les disparités sont encore davantage marquées si l'on tient compte de l'état de santé des retraités. En effet, l'espérance de vie en bonne santé à 65 ans est de 9 années pour les cadres, contre 5 pour les ouvriers. En somme, les cadres ont non seulement un risque deux fois plus faible que les ouvriers de ne pas atteindre la retraite, mais ils peuvent espérer en profiter presque deux fois plus longtemps !
Ces disparités de taux de mortalité s'expliquent naturellement en partie par le fait que les ouvriers risquent davantage que les cadres d'occuper des emplois entraînant des souffrances physiques. Elles sont donc partiellement compensées par le droit à la retraite anticipée pour pénibilité. Cependant, outre que ce droit ne s'applique que d'une manière extrêmement restrictive, le type d'emploi occupé ne suffit pas à expliquer les écarts de mortalité observés : les revenus jouent aussi un rôle important.
Florence Jusot, économiste à l'université de Paris-Dauphine, a montré que, toutes choses égales par ailleurs, un doublement des revenus était associé à une réduction de 35% de la probabilité de décéder dans l'année ("The Shape of the Relationship Between Mortality and Income in France", Annales d'économie et de statistique, 2006).
Les différences de taux de mortalité en fonction du revenu introduisent une composante régressive dans le système des retraites. En effet, une personne plus riche, qui dispose donc d'une pension plus élevée, vivra plus longtemps en moyenne qu'une personne moins fortunée. L'écart entre les sommes que ces personnes toucheront au cours de leurs retraites en sera augmenté d'autant.
Afin de quantifier ce phénomène, l'économiste et démographe Antoine Bommier et ses collègues ont proposé de mesurer "l'équivalent-capital" de la retraite ("Droit à la retraite et mortalité différentielle", Economie et prévision, 2005). Il s'agit du capital que les retraités seraient prêts à échanger, au moment de la liquidation de leur retraite, contre leurs pensions à venir.
C'est donc une mesure du montant total des sommes versées au titre de la retraite. Ils montrent, en utilisant des données administratives , qu'un doublement des revenus mensuels entraîne sensiblement plus (environ 12%) que le doublement de l'équivalent-capital de la retraite. Il s'agit d'un effet significatif, qui revient à absorber un quart du caractère redistributif du système de retraite lié à la dégressivité des taux de remplacement en fonction du revenu (les pensions représentent une fraction d'autant plus faible des revenus que ces derniers sont élevés).
Il est difficile d'élaborer un système de retraite qui permette de tenir compte de manière satisfaisante des différentiels de mortalité. Cela n'est pas impossible, mais suppose à tout le moins une large, et probablement longue, consultation. En attendant ce débat indispensable, il paraît absurde de prétendre réformer le système des retraites en ignorant une source d'inégalités aussi fondamentale.
Etendre le dispositif des carrières longues, comme le propose le gouvernement, n'est donc pas un geste électoraliste et irresponsable. C'est un amendement minimal, et pour tout dire bien timide, si l'on souhaite éviter une crise majeure de notre modèle social. Répondre | Répondre avec citation |