En France, le SMIC et les bas salaires sont trop élevés à en croire le patronat qui ne manque pas une occasion de dénoncer cet handicap à notre compétitivité.
Quand on y regarde de plus près – même si cela doit faire bondir nombre de nos lecteurs – il y a du vrai dans ce constat. Sur le marché mondialisé du travail, un SMIC à 1.425 euros peut paraître dissuasif, déraisonnable. Pas seulement au regard des salaires versés en Chine ou en Inde, mais aussi, plus près de chez nous, en Bulgarie, Pologne, Roumanie, Turquie, Espagne, Portugal, Grèce…
Pour nous adapter à cet environnement et sauvegarder nos emplois, les patrons, qui ne sont pas tous d’infâmes ultra-libéraux, préconisent un gel des bas salaires. Ils sont soutenus par une partie de la classe politique qui recommande un élargissement de cette modération salariale aux fonctionnaires et aux employés des classes moyennes.
Et pourquoi pas ? Pourquoi ne baisserions-nous pas le SMIC et l’ensemble des salaires de 25% ? Cette mesure permettrait de sauver des centaines de milliers d’emplois aujourd’hui menacés de délocalisations. Mieux même, une baisse de 25 ou 30% favoriserait les relocalisations. Voilà la solution !
Vous vous étranglez : «Ça ne va pas la tête ! Cette mesure soulèverait des mouvements sociaux d’une ampleur et d’une violence inégalées ! Il est impossible de vivre en France avec un salaire amputé de 30%. Comment survivre avec un SMIC brut de 1.000 euros ?».
Nous autres Chômeurs et Précaires savons à quel point il est difficile de vivre avec des allocations chômage (généralement inférieures de 25% aux derniers salaires perçus) et, plus encore, avec les minima sociaux, comme l’ASS (Allocation spécifique de solidarité) qui passerait de 440 à 320 euros par mois. C’est impensable !
Comment subvenir aux besoins essentiels ? Comment se loger par exemple ?
Prenons un couple de Smicards qui dispose aujourd’hui de revenus mensuels de 2.200 euros nets et qui loue 550 euros un petit trois pièces en province. Demain, ce couple disposerait de 1.400 euros. Le coût de son logement représenterait alors 33% de ses ressources, contre 25% aujourd'hui. Voilà une équation tout bonnement insoluble. Sauf si cette baisse des revenus s’accompagne d’une baisse équivalente des loyers et, plus globalement, de l’ensemble des biens de consommation.
Par cet effet de vases communicants, l’équation serait résolue… et notre compétitivité internationale relancée.
Je vous entends vous offusquer : «Voilà un raisonnement absurde ! Si on baisse les salaires et les prix de façon équivalente, on en revient à la situation initiale. Les marges des entreprises ne seront pas meilleures, donc elles poursuivront les délocalisations». Le patronat, lui, plébisciterait une réduction des salaires sans y indexer les prix. Ainsi, pour vous, ce serait -25% sur la fiche de paie, mais sur les étiquettes ce serait -15%. Il vous reviendrait de combler la différence, en vous serrant plus encore la ceinture si c’est possible.
OK, j’arrête les démonstrations fumeuses qui ne mènent nulle part. Pour autant, il en reste une qui ne relève pas de l’extrapolation douteuse. Le niveau de vie en France est déterminé non pas par la majorité de nos concitoyens mais par la frange la plus aisée. Explications !
Qui tire les prix de l’immobilier vers le haut ? Le couple d’employés de bureau qui cherche à se loger en banlieue ou l’investisseur qui dispose déjà d’une résidence principale, d’une résidence secondaire et de deux appartements qu’il a mis en location ? Qui participe à l’inflation du mètre carré, ceux qui ont besoin d’un toit pour élever leur famille ou ceux qui veulent consolider leur patrimoine ?
Et pourquoi les prix de l’immobilier poursuivent-ils leur envolée alors que le chômage s’amplifie et que les salaires stagnent ? Dans une conjoncture qui frise la récession, comment expliquer ce paradoxe ? Qui encourage la spéculation, ceux qui voient leur pouvoir d’achat s’étioler ou ceux qui ne sont pas impactés par les difficultés ? La réponse se trouve dans la question.
Poussons le raisonnement au-delà du marché de l’immobilier. En cette période de lourds déficits de notre balance commerciale, qui participe à son inexorable et préoccupant déséquilibre ? Celui qui achète un écran plat «Made In China» à 300 euros ou celui qui s’offre une BMW «Made In Germany» à 70.000 euros ? La réponse est dans la question.
Poursuivons…
Qui participe activement au déficit chronique des transactions financières ? Celui qui passe ses vacances dans les Gorges de l’Ardèche, qui dépense donc ses sous en France, ou celui qui s’embarque pour un Tour du Monde de trois semaines à 60.000 euros par personne, 120.000 euros en couple ? Et vous connaissez la meilleure ? J’ai rencontré dernièrement un tour-opérateur spécialisé dans l’organisation de ces prestations luxueuses. Savez-vous ce qu’il m’a confié à l’issue de notre entretien ? «C’est un voyage où les gens finissent par dire : Finalement, 60.000 euros par personne, c’est pas cher ! Car ils savent combien coûte un billet d’avion en Business Class, une chambre dans un palace de Sydney, du Cap ou de Singapour…»
Ce sont donc ces gens qui investissent sans sourciller 250.000 euros dans un deux pièces minable qu’ils loueront au prix fort, qui s’offrent le dernier modèle BMW à 70.000 euros ou dépensent 120.000 euros dans l’organisation de leurs vacances qui fixent les règles qui s’appliquent à tous. Ce sont les mêmes qui, bien conseillés par des gestionnaires de fortune et des avocats d’affaires avisés, trouveront la parade pour échapper à l’impôt en bénéficiant de niches fiscales et autres exonérations. Les plus roublards iront s’exiler en Suisse, en Belgique, en Grande-Bretagne ou sous des latitudes plus exotiques, tout en engrangeant les dividendes de leurs investissements en France.
D’une manière générale, les prix ne sont pas déterminés par les gens modestes mais par ceux qui sont beaucoup moins regardants à la dépense. Pour une raison évidente : Tant qu’il y a des acheteurs, il n’y a aucune raison que les prix baissent. Le marché de l’immobilier en est l’illustration.
Certes, les gens modestes qui ont investi dans l’achat d’un appartement en tireront des bénéfices à la revente. Mais cette plus-value sera sans commune mesure avec celle réalisée par les classes aisées qui possèdent trois, cinq ou dix biens immobiliers aux seules fins spéculatives.
Aujourd’hui, la lutte des classes a mué en lutte des pouvoirs d’achat. Si le SMIC est de 1.425 euros brut, c’est qu’il est impossible de vivre en France avec moins. Tout simplement. Ce ne sont donc pas les ouvriers français qui sont trop payés, pas plus que les classes moyennes, mais les riches qui accumulent au point de fausser les règles du marché. Ce sont donc les inégalités qui handicapent notre compétitivité et détruisent les emplois des classes populaires.
Ne minimisons pas l’ampleur du phénomène. Ces Français aisés et très aisés ne sont pas quelques milliers. Quand on évoque cette population, on pense aux 500 super nantis : les Bolloré, Bettencourt, Pinault, Dassault, Peugeot… à la tête d’une fortune supérieure à 60 millions d’euros, qui peut même culminer à 21 milliards pour le seul Bernard Arnault, propriétaire du groupe LVMH.
Les Français très aisés se sont aussi des millions de gros commerçants, de professions libérales (avocats, médecins, notaires, pharmaciens…), de dirigeants de moyennes entreprises, d’héritiers, de rentiers, d’artistes, de sportifs et même de cadres supérieurs, d’entrepreneurs et d’agriculteurs… certes plus modestes mais bien lotis.
Cette diatribe n’a pas pour objet de fustiger la réussite sociale qui reste un moteur de croissance, d'émulation et d’épanouissement… tant qu’elle ne nuit pas aux intérêts du plus grand nombre. C’est à cette dérive dramatique, mortelle pour notre pays, à laquelle nous assistons depuis des années.
Le dynamisme économique, donc la sauvegarde et la création d’emplois, passent avant tout par une réduction plus que significative des inégalités. On pourra geler les salaires pour rendre la France plus compétitive sur la scène internationale qu’à une seule condition : que les classes aisées s’arrêtent de s’enrichir au-delà de ce que peut supporter notre économie mal en point.
Ce ne sont pas les Smicards, les ouvriers et les employés qui coûtent cher !
Et moins encore les chômeurs…
Yves Barraud
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