Tant que les élections législatives n'auront pas redessiné l'Hémicycle, le nouveau gouvernement ne peut quasiment rien entreprendre. En passant, nous insistons sur l'importance de ce scrutin qui mobilise moins d'électeurs : pourtant, il s'agit de nommer les députés qui voteront nos lois. Les législatives sont donc tout aussi fondamentales que les présidentielles.
Nous savons que François Hollande ne fera pas de miracle et que le changement, le vrai, ce n'est pas pour demain. Pour l'instant, les mesures qui se profilent en matière d'emploi — la bonne vieille recette des contrats aidés, ou le fameux «contrat de génération» qui ne concernera qu'une poignée d'individus… — et de salaires — un coup de pouce au Smic «juste et raisonné» — ne sont que des rustines. Le Parti socialiste, plus proche de la sociale-démocratie centriste que du socialisme authentique, nous a montré par le passé de quoi il était capable (notamment vis-à-vis des chômeurs dont il a, lui aussi, amputé les droits, et du précariat qu'il a contribué, lui aussi, à rendre structurel). C'est sans scrupule ni éclat que François Hollande ménagera la chèvre et le chou. C'est donc avec méfiance et vigilance que nous observerons ses actes.
L'impôt est le nerf de la guerre
Les chantres du libéralisme économique et le patronat crient à la gabegie financière que les cinq prochaines années de mandat "socialiste" risquent de générer pour le pays alors que l'Histoire a prouvé que les gouvernements "de gauche" ont toujours été bien meilleurs gestionnaires. Exemple emblématique qu'il ne faut jamais perdre de vue : 75% de notre dette actuelle a été creusée sous des gouvernements de droite [1].
En matière fiscale, leur fil directeur a toujours été de baisser par de multiples moyens les impôts payés par les ménages les plus riches et par les entreprises, en particulier les plus grandes. On a assisté à une véritable inflation de niches fiscales et sociales bénéficiant aux mieux lotis. Avec la diminution du nombre de tranches (elles ne sont plus que 5 alors qu'il faudrait les tripler) et les baisses successives du taux marginal supérieur (descendu à 41% alors qu'il faudrait le doubler), l'impôt sur le revenu est devenu de moins en moins progressif. Quant à l'impôt sur les sociétés, véritable peau de chagrin, il pèse trois fois plus lourd sur les PME que sur le CAC 40 !
Résultat imparable : l'État s'est appauvri, et c'est toujours aux plus modestes qu'on demande de faire des efforts. Enfin, contrairement à une antienne dont on nous rebat les oreilles, ce n'est pas la soi-disant explosion des dépenses publiques qui a creusé les déficits (elles avaient même tendance à baisser) mais la crise de 2008 — dont il faut rappeler qu'elle trouve son origine dans le surendettement privé et les délires de la finance — qui a, évidemment, gonflé la dette.
Réformer la fiscalité, c'est par là qu'il faut commencer
Dans son projet présidentiel sur la base duquel il a fait campagne, le candidat socialiste affirmait clairement qu'il voulait «engager une grande réforme fiscale». Ce signal nous semblait rassurant. Par ailleurs, nous avions suivi les travaux de l'économiste Thomas Piketty sur la question. Hélas, ce proche du PS qui a soutenu François Hollande doit déchanter (et nous aussi), car d'une refonte du système il n'est visiblement plus question...
Certes, des ajustements seront effectués afin d'améliorer la progressivité de l'impôt sur le revenu : mais pour en voir la couleur, il faudra attendre la loi de finances 2013. Quant aux autres leviers (fiscalité du patrimoine, du capital, des entreprises, de la spéculation, la lutte contre la fraude et l'évasion…), rien ne filtre, le ministre des Finances Pierre Moscovici, proche de DSK et animateur du courant social-démocrate du PS, étant on ne peut plus discret dans ses nouvelles fonctions.
Vite, un anti «paquet fiscal» !
Il est pourtant impératif que l'Etat récupère des recettes pour financer ses objectifs, voire aller au-delà.
Par exemple, puisque c'est le thème du moment, une revalorisation du Smic à hauteur de 5% lui coûterait quelque 5,5 milliards d'euros (4 milliards supplémentaires d'exonérations de cotisations aux employeurs sur leurs bas salaires, dits «allègements Fillon» + 1,5 milliard de surcoût pour la revalorisation du traitement de ses 900.000 agents payés au salaire minimum). Autre sujet d'actualité, le retour rafistolé à la retraite à 60 ans devrait lui coûter quasiment la même somme.
Si le gouvernement décidait dès à présent la mise en chantier d'une grande refonte fiscale pour cet été, qui serait en opposition complète avec la très symbolique loi Tepa ou «paquet fiscal», votée en août 2007 et qui a définitivement promu Nicolas Sarkozy «président des riches», ces projets ne seraient plus un casse-tête. Ni la mise en place d'un programme ambitieux en faveur de l'emploi, de l'éducation, de la santé, de la justice sociale… et de la justice tout court.
Malheureusement (et nous aimerions dire le contraire), ce ne sera pas le cas. Juste de la poudre aux yeux, à l'image de la limitation des salaires des patrons de groupes détenus à plus de moitié par l'Etat, mesure qui n'en concerne… que six.
SH
[1] Entre 1981 et 2011, la dette publique de la France est passée de 21% à 82% du PIB. Or, les trois-quarts de cette hausse sont imputables à la droite :
• sous Balladur (1993-1995, avec Nicolas Sarkozy comme ministre du Budget), elle est passée de 47% à 57% en 2 ans;
• sous Raffarin (2002-2005, avec notamment Nicolas Sarkozy comme ministre des Finances), elle est passée de 57% à 68% en 3 ans;
• et depuis 2007, sous la présidence du même Nicolas Sarkozy, la dette a encore progressé de 22%, soit environ 700 milliards en plus sur une dette totale d'environ 1.640 milliards.
Lire ici pour comprendre comment la dette a pris une telle ampleur depuis 40 ans...
Stéphane Legrand a-t-il raison ?
Nicolas Doisy, chief economist de Chevreux, a-t-il raison ?
Nous le saurons sous peu...
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