On ne sait pas grand chose de ce chômeur en fin de droits relégué au RSA qui, mercredi matin, s'est aspergé de white spirit dans les locaux de sa CAF à Mantes-la-Jolie. Hier, tout le monde en parlait. Aujourd'hui, plus de nouvelles... Si ses jours ne sont plus en danger, qu'en est-il de son état de santé ? Quel était son parcours ? Que s'est-il passé avec la CAF ?
On sait juste que le RSA de cet «allocataire lambda» — pour reprendre les termes élégants d'une source préfectorale — était suspendu depuis le mois de mai. Le RSA, c'est une pitance de 475 €/mois, généralement amputée d'un «forfait logement» qui concerne 95% de ses maléficiaires.
On sait, d'après une information de l'APEIS, qu'à quatre reprises la CAF lui a réclamé des justificatifs dont il ne disposait pas. Selon l'association de défense des chômeurs, «cela fait figure d’acharnement». Fustigeant à juste titre des directives qui sèment la désolation (pour ne pas dire criminelles), la politique du chiffre, le sous-effectif patent et la déshumanisation des antennes, elle ajoute : «Tout le monde s’émeut du sort des personnels jusqu’à leur apporter une cellule de soutien psychologique, mais rien sur cet homme de 51 ans et sa famille !»
En effet Marisol Touraine, la nouvelle ministre des Affaires sociales et de la Santé, a rapidement fait part dans un communiqué «de sa profonde émotion face à cet acte désespéré d'une personne que les difficultés de la vie ont manifestement conduit à un geste tragique». Les difficultés de la vie ??? Jolie façon de disculper la société toute entière qui broie les plus faibles de multiples manières, toutes aussi hypocrites qu'odieuses. Si l'on vous ôte les 418 € mensuels qui vous permettent à peine de survivre, que vous reste-t-il ? Finir à la rue, ou en finir tout court ?
Marisol Touraine a surtout tenu à «marquer son soutien à l’ensemble du personnel de la CAF de Mantes-la-Jolie. Le rôle exigeant et attentif joué par les employés de la CAF dans l’accueil d'allocataires souvent en grande difficulté est une mission essentielle de service public», a-t-elle souligné. Et chacun de plaindre les agents en état de choc face à cet «événement violent».
Mais cette violence économique et sociale, infligée à ceux qui travaillent comme à ceux que l'on prive d'emploi, quelle en est la véritable origine ? Pas un mot : c'est trop long et trop compromettant à expliquer.
«Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ?»
Le 26 octobre 2005, Michel, 47 ans, a commis le même geste : il s'est aspergé d'essence et a brandi un briquet dans son ANPE de Bacalan, en Gironde. Il venait d'être radié parce qu'il ne s'était pas présenté à une convocation. Mais ce jour-là, il travaillait. En intérim. Or, on venait de lui affirmer qu'il était radié pour plusieurs mois, qu'il ne pourrait se réinscrire et prétendre à ses Assedics. Qu'il n'avait plus qu'à «aller chercher des tickets restaurant» auprès des organismes sociaux...
L'affaire a été relatée par le quotidien régional Sud Ouest. A l'époque, les rédactions parlaient volontiers des chômeurs. Depuis, elles les méprisent. Quand Nicolas Sarkozy a été élu, bizarrement, le volume de l'actualité sociale a fondu comme neige au soleil... Et quand il faut traiter du chômage, on confisque la parole aux intéressés en invitant plutôt une tripotée d'«experts», des gens (im)pitoyables qui suintent le confort tout en nous prêchant la baisse du coût du travail, la flexibilité et la mobilité. En clair, le sacrifice.
Ironie de la chose : l'immolation est une forme de sacrifice. Elle peut avoir lieu par l'eau, le feu, la terre, le bois, le fer… ou tout autre moyen, peut-on lire. Consentir au sacrifice économique et social imposé par une élite malfaisante, ou consentir au sacrifice de soi-même ? Inconsciemment, Michel avait choisi. Cinq années de précarité dans les pattes, l'impossibilité de décrocher un emploi stable puis cette radiation abusive ont sapé sa capacité de résistance. Comme notre RSAste de Mantes-la-Ville, c'est «sans colère» qu'il a agi. Et c'est avec un sens aigu de la justice que, trois mois plus tard, le TGI de Bordeaux l'a condamné à 4 mois de prison avec sursis et 2 ans de mise à l'épreuve avec obligation de soins pour «mise en danger de la vie d'autrui». Car le ministère public a estimé qu'il faut avant tout «protéger la société» de ceux qu'elle a activement dépouillés...
Pas de «cellule de soutien psychologique» pour Michel, considéré comme fou, mais l'hôpital psychiatrique (espérons qu'il soit tombé sur un médecin compétent qui l'aura aidé à retrouver confiance). D'ailleurs, bien que le licenciement et le chômage soient un choc d'une grande violence et que la précarité détruise la santé psychique de ceux qui la subissent, rien n'est prévu pour eux : nous évoquons largement cette indignité dans ce reportage.
Nous ne savons pas ce qu'est devenu Michel. Nous ne savons pas non plus ce que va devenir ce RSAste anonyme qui, sept ans après, vient d'exprimer son désespoir dans les Yvelines, ni les raisons de son passage à l'acte. Comme le souligne Christiane de l'APEIS pour TF1News, «l’évènement de mercredi, c’est la partie émergée de l’iceberg. Combien de chômeurs se suicident chez eux sans que les médias le relatent ?» Pour tous ces laissés-pour-compte du capitalisme financiarisé, tous ces invisibles et ces sans voix, «la dernière manière de se faire entendre, c’est ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie». Ou à Bacalan. La présidente du tribunal avait réprimandé Michel : «Si tous les demandeurs d’emploi faisaient comme vous...» Mais oui, ma bonne dame, si tous les privés d'emploi s'immolaient par le feu, ça ressemblerait… à la Tunisie ?
SH
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Commentaires
M'est avis que cet homme finira aussi devant un tribunal.
Si tous les chômeurs viennent se suicider dans la sphère publique au risque de créer des dégâts collatéraux (incendie, retard de trains…), où va-t-on en effet? 8-)
Amis chômeurs ne cédez jamais à l'injonction qui s'exprime de façon diffuse dans notre société : Qu'attendez-vous pour crever? Résistez contre la barbarie qu'ils veulent être la norme !!!
Citer: Le chômage et l'exclusion, ce serait comme la pluie et le beau temps?
Personne n'y peut rien, c'est comme ça !
C'est un peu vite tenter de nous faire oublier tous les choix politiques et économiques qui ont été faits.
Ces choix n'ont pas été faits pour l'intérêt commun mais pour l'intérêt de quelques-uns en condamnant une bonne partie de la population au chômage et à l'exclusion. Répondre | Répondre avec citation |
tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120810.OBS9427/marisol-touraine-s-empare-de-la-question-des-blouses-fesses-nues.html Répondre | Répondre avec citation |
www.parismatch.com/Actu-Match/Societe/Actu/Le-desespoir-tue-417639/ Répondre | Répondre avec citation |
C'est une conduite suicidaire absolument horrible par les souffrances qu'elle inflige au supplicié et les risques qu'elle fait prendre aux autres.
Bref, je trouve ce comportement inconcevable pour faire aboutir une revendication.
On comprend que les pouvoirs publics ou la Justice ne peuvent pas l'encourager d'une manière ou d'une autre.
La souffrance des fins de mois difficiles ou de l'estomac vide n'est rien comparée à celle de l'immolation.
À voir sur YouTube, l'immolation de jeunes chômeurs Marocains. Ça fait peur !
http://www.youtube.com/watch?v=pmmmo-tZKLk
Âmes sensibles s'abstenir ! Répondre | Répondre avec citation |
C'est triste à dire mais quand on en arrive là, se tuer est presque un moyen de conserver sa dignité. Je pense à certains peuples d'Indiens d'Amérique que les colons européens ont voulu réduire en esclavage. Nombre d'entre eux ont préféré se laisser mourir plutôt que de se plier. C'est pourquoi les esclavagistes sont ensuite allés chercher des Noirs en Afrique pour les remplacer…
Quant à la "perturbation" psychique, elle finit par se déclencher quand les déboires et les humiliations s'accumulent. La violence économique et sociale trop longtemps infligée détruit ceux qui en sont victimes, même si, à la base, ils n'ont aucune prédisposition à la folie. Toute cette violence reçue et contenue jusqu'à saturation, ils finissent par la retourner contre eux-mêmes ou/et contre les autres.
Alors, on peut se suicider discrètement à la maison, ou se jeter sous un train. Mais ça fait une ligne dans les faits-divers. Se donner la mort dans un lieu public de façon spectaculaire, voilà qui marque davantage les esprits. «L'immolation, c'est exposer au monde son désespoir» : www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/08/09/01016-20120809ARTFIG00493-l-immolation-c-est-exposer-au-monde-son-desespoir.php
Les immolations en chaîne qui se produisent en Tunisie ou ailleurs sont autant d'actes de détresse que des actes politiques. Mohamed Bouazizi, ce jeune homme qui a ouvert le bal en décembre 2011 devant le siège du gouvernorat à Sidi Bouzid, est aujourd'hui célébré comme le déclencheur de la chute de Ben Ali et des révolutions arabes qui ont suivi. Ce garçon, réduit à l'impuissance totale et qui a préféré «mourir plutôt que de vivre comme un rien», est passé à la postérité. Même s'il ne l'imaginait pas en le commettant, son acte isolé et insensé — son sacrifice — a finalement servi à quelque chose.
Hélas, l'homme s'habitue à tout et se blase très vite. Un cadavre tout seul choque et émeut. Mais quand les cadavres s'accumulent, on les enjambe sans les regarder… Ainsi, ceux qui continuent à s'immoler aujourd'hui dans les pays arabes pâtissent d'une banalisation inique et pourtant terriblement humaine. Répondre | Répondre avec citation |
Il y a d'autres modes d'action pour parvenir à ses fins, en France. Nous ne vivons pas en dictature tout de même.
Les parallèles tunisien ou tibétain apparaissent donc, ici, pour le moins hasardeux.
L'immolation, si on n'en meurt pas, on en subit les conséquences toute sa vie, d'horribles conséquences (visage défiguré, multiples greffes de la peau…).
De plus, s'immoler fait courir de gros risques aux personnes présentes dans l'environnement proche. Le désespéré peut entraîner des tiers dans son supplice.
Il y a d'autres moyens d'action, comme la grève de la faim qui apparait, dans un premier temps, plus adaptée.
En qualité d'association de Défense des Droits des Chômeurs et Précaires, nous ne pouvons cautionner - sous aucun prétexte - l'immolation.
En espérant de tout cœur que ces tentatives ne se reproduisent plus. Répondre | Répondre avec citation |
Et la dictature des marchés et des banques?
Ce n'était qu'une vue de l'esprit pour beaucoup de gens avant la crise des subprimes.
Mais force est de constater que c'est bien concret (va demander aux espagnols et au grecs ce qu'ils en pensent) et on ne sera pas en reste (on l'expérimente déjà) , pas plus que les allemands, avant longtemps.
Si on maintient les pauvres en vie, c'est que des gens ont décidé qu'ils pouvaient servir, hormis à servir d'engrais pour la bouffe des riches, à gonfler les profits d'une façon ou d'une autre. Mais cette façon de penser pourrait changer rapidement. Répondre | Répondre avec citation |
Immolation à la CAF : les pouvoirs publics doivent réagir
L’homme de 51 ans qui s’est immolé à la CAF de Mantes-la Jolie est décédé de ses blessures. Le MNCP souhaite exprimer sa profonde tristesse, mais aussi sa colère.
La souffrance des chômeurs et personnes en situation de précarité n’est pas prise en compte sérieusement par les pouvoirs publics. Pour preuve, les réactions officielles à l’immolation de Mantes-la-Jolie ont toutes insisté sur une «situation personnelle difficile». Or, cet acte dramatique ne peut être interprété comme un cas isolé : service public débordé, règles injustes ou incompréhensibl es, difficultés de communication entre agents et usagers sont le quotidien de beaucoup de personnes confrontées au chômage et à la précarité. Des deux côtés du guichet, la pression sociale est devenue insupportable, dans le silence des pouvoirs publics.
Le MNCP a sollicité une rencontre auprès de la Ministre des Affaires Sociales. Répondre | Répondre avec citation |
Toutefois, j'estime qu'il est en notre devoir de tenter d'expliquer et d'essayer de comprendre, tout en se rapelant que compatir n'est pas pâtir.
Cet homme est dans mes (nos) pensées ce soir.
Chagrin partagé. Répondre | Répondre avec citation |
www.actuchomage.org/2012032920072/La-revue-de-presse/un-chomeur-tente-de-simmoler-a-dieppe.html Répondre | Répondre avec citation |
Des militants du MNCP, d’AC! ainsi que des usagers de la CAF ont déposé une rose pour lui rendre hommage. Une délégation a été reçue par la directrice départementale de la CAF ainsi que les syndicats, afin de discuter de la situation. Le MNCP a également sollicité une rencontre auprès de la Ministre des Affaires Sociales, Marisol Touraine.
Extrait du discours : «Solidaires, chômeurs, précaires, nous tenons tous aujourd'hui à exprimer notre tristesse devant cet acte désespéré. […] Nous n'oublierons ni cet homme ni son geste. Ce qu'il a vécu n'est pas une situation isolée. Des millions de personnes vivent la précarité et c'est à la CAF que, souvent, elles se retrouvent. Des deux côtés du guichet, la tension est forte, agents et usagers se sentent abandonnés par les pouvoirs publics, sous pression. Nous appelons les autorités compétentes à réagir pour que le service public ait les moyens d'accomplir avec sérénité ses activités, pour que toutes les personnes en situation de précarité ne se sentent pas exclues ou traitées comme des citoyens de seconde zone.»
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