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L'enquête BMO (Besoins en main-d'œuvre) vue de l'intérieur

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La dernière enquête BMO de Pôle Emploi vient de paraître. Plutôt que de ressasser les mêmes inepties, nous remontons ce témoignage récent qui, dénonçant la manière dont elle est menée, porte un sacré coup à sa crédibilité.

D'abord, voici l'enquête BMO 2013 réalisée par Pôle emploi avec le concours du Crédoc.
Sinon ici, un résumé de L'Expansion au titre évocateur contenant toujours la même litanie : l'immuable liste des métiers dits "en tension", les incontournables "difficultés de recrutement" des employeurs malgré un contexte de chômage massif, et leurs très hypothétiques "intentions d'embauche". Bref, que de l'esbroufe ! Démonstration.


Un lecteur nous écrit : «Je suis tombé sur un article d’Actuchomage qui traitait de l’enquête BMO réalisée chaque année par Pôle Emploi auprès des entreprises, institutions et professions libérales… Ayant moi-même participé à l’une de ces opérations, je vous livre mon expérience». C’est parti !

Le cadre : CDD d’un mois, du 15 novembre au 15 décembre 2011. Deux jours de formation pour maîtriser le logiciel où l'on intégrait les réponses des entreprises. Salaire brut : 1.350 €.

Sur le logiciel apparaît une fiche entreprise avec : Nom - Effectifs - Secteur d'activité - Coordonnées téléphoniques du standard - Coordonnées du RH, d'un responsable ou d'une personne contactée lors d’une précédente campagne.

Notre rôle : Appeler les entreprises qui n'ont pas répondu au formulaire papier BMO envoyé deux mois plus tôt.

Notre présentation lors de l'appel : «Bonjour, Mr Durand, Direction régionale de Pôle Emploi Île-de-France. Je vous appelle suite au formulaire BMO que nous vous avons envoyé. Nous souhaiterions compléter certaines informations».

Évidemment, je ne m'appelais pas Mr Durand. Nous n'étions pas de la Direction de Pôle Emploi Île-de-France. Nous étions une société privée spécialisée en réception d'appels, commanditée par Pôle Emploi pour une opération «appels sortants».

Sur le plateau, les salariés déjà présents étaient tous spécialisés en réception d'appels, avec des formations juridiques élevées. Ça donnait : «Assurance RASSUREMOI bonjour ! Quelle est votre question madame ?». «Alors, il faudrait que vous fassiez ceci ou cela, selon l’article de loi XXX». «Non, non, madame, je vous répète que…».

Ils n'étaient pas de l'assurance RASSUREMOI, mais salariés par la société de télémarketing payée par RASSUREMOI. Au demeurant, ils répondaient à des questions pointues et apportaient de bonnes réponses à leurs interlocuteurs. Ils étaient vraiment utiles. Je raconte ça, même si c'est anecdotique, parce que ce qui est amusant c'est que Pôle Emploi fasse appel à une société de télémarketing spécialisée en assurances.

Notre mission BMO n’était-elle pas d’ailleurs de rassurer Pôle Emploi sur les perspectives de recrutements ?  Par extrapolation, la mission d'un état n’est-elle pas de rassurer ses citoyens ? Comme le loup qui se déguise en grand-mère pour rassurer le petit chaperon rouge… avant de le bouffer.

Les questions pour lesquelles nous devions obtenir des réponses étaient celles que vous décrivez dans Actuchomage : Avez-vous des projets de recrutements pour l'année 2012 ? Pour quels types de postes ?

Nota : Le logiciel que nous utilisions nous imposait son propre «process». Il a été conçu d’après un cahier des charges strict fourni par Pôle Emploi. On ne pouvait pas poser de questions plus précises, plus pertinentes, plus approfondies que celles qui nous étaient imposées.

Je l’ai trouvé plutôt «mal foutu», illogique dans l’enchaînement des questions. On ne pouvait pas revenir en arrière. Par exemple : arrivé à la page «type de poste recherché», si notre interlocuteur cherchait un «ingénieur spécialisé en moteur thermique», il y avait une liste déroulante de métiers préenregistrés dans laquelle n’était pas mentionné «ingénieur spécialisé en moteur thermique». Il fallait sélectionner celui qui nous paraissait le plus proche. Exemple : «Ingénieur aéronautique». Rien à voir !

Au bout de 4 jours, la responsable de plateau chargée de superviser l’opération BMO vient me voir et me dit : «Pierre, je t’écoute depuis une heure. Tu parles trop avec tes interlocuteurs. Tu leur poses des questions qui ne sont pas demandées par le formulaire. Tu les écoutes trop. Soit directif. Les autres font plus de 60 appels par jour. Toi, tu es en dessous. Tes statistiques le montrent. Je te dis ça pour ton bien».

Le lendemain, plus «motivé que jamais», je dépasse les 80 appels. La responsable vient me voir et me dit : «C’est bien, continue». Ouf !

Trois jours après, deux personnes ont fini la mission «plus tôt que prévu». Il fallait leur trouver des remplaçants plus efficaces.

Sur les 20 personnes qui ont été embauchées pour cette opération, plusieurs ont pris une matinée ou un après-midi pour se rendre à des entretiens d’embauche, étant donné la précarité de notre CDD. À midi ou pendant les pauses, nous nous connections au site Pôle Emploi pour chercher du travail. Ce qui est assez cocasse puisque «nous étions Pôle Emploi».

Vers le 30 novembre 2011, à la moitié de la mission, la chef de plateau vient nous voir et nous dit : «Les responsables de la mission BMO de Pôle Emploi trouvent qu’il n’y a pas assez de résultats. Maintenant, si votre interlocuteur parait hésitant sur la question "Avez-vous des projets de recrutement sur l’année 2012 ?", poussez-le à s’exprimer plus objectivement. S’il hésite, c’est qu’il n’est pas sûr. S’il n’est pas sûr, c’est qu’il y a une possibilité. Soyez directifs et amenez-le à être précis».

Donc, à la question «Avez-vous des projets de recrutement en 2012 ?», l’interlocuteur finissait par nous dire, si nous insistions, ce que nous voulions entendre : «Il y aura sans doute des projets de recrutement. On ne sait pas vraiment dans quel secteur, ni combien de personnes». Nous cochions alors «Oui» dans notre interface informatique et passions à la question suivante : «Pour quels types de postes ?». Si l’interlocuteur paraissait flou, exemple : «Sans doute des ingénieurs, peut-être des commerciaux, probablement des administratifs, des ouvriers…», nous devions supprimer les «sans doute», les «peut-être», les «probablement». Nous devions remplir le formulaire, faire du «résultat». Nous notions : «Ingénieurs, commerciaux, administratifs, ouvriers».

Puis nous passions à la question suivante : «Combien de personnels pour chaque type de poste ?». Là encore, lorsque l’interlocuteur paraissait hésitant, exemple : «Peut-être 2 ou 3 ingénieurs, sans doute 3 commerciaux, probablement 2 administratifs, 5 ouvriers», nous essayions d’obtenir des précisions : «Combien exactement ?». Si l’interlocuteur nous disait : «2 ou 3 ingénieurs peut-être», nous éliminions le «peut-être» et gardions le chiffre haut. Il n’y a pas de «peut-être» dans une interface informatique, pas de place au doute !

Puis, nous arrivions à notre fameux menu déroulant des métiers proposés (probablement basé sur les codes ROME). Là, nous demandions, selon la liste que nous proposait ce menu : «Vous recherchez des ingénieurs en informatique, des ingénieurs agricoles, des ingénieurs en BTP ou des ingénieurs en sidérurgie… ?». Si l’interlocuteur nous répondait : «Sans doute des ingénieurs en énergie atomique», nous cherchions dans notre liste. Si on ne trouvait pas «ingénieur en énergie atomique», on choisissait un code approchant : «ingénieur en fission moléculaire».

Nous n’avons pas été sélectionnés après examen de nos connaissances des secteurs d’activité et des catégories de métiers. Nous ne connaissions absolument rien à toutes ces subtilités d’intitulés de postes et de fonctions en entreprise. Notre boulot était d’être sympathique mais pas trop, directif mais pas trop, et surtout rapides pour obtenir des résultats.

Nous validions et remercions notre interlocuteur : «La Direction régionale de Pôle Emploi vous souhaite une bonne journée !».

Il fallait faire vite, être au dessus de 60 appels par jour, obtenir des «résultats positifs», pousser nos interlocuteurs à être précis, établir rapidement des correspondances entre les informations obtenues et le menu déroulant.

En fait, notre mission était schizophrénique : Obtenir des informations les plus précises possible et les retranscrire de façon imprécise avec des «codes» ne correspondant pas vraiment aux déclarations des employeurs.

Nous avions au départ un interlocuteur qui ne savait pas ou qui était dans l’incertitude. À la fin, nous obtenions des «offres d’emploi fermes» dans l’ingénierie, l’administratif, le commercial, le bâtiment, la restauration...

Notre travail était en fait de travestir l’incertitude en certitudes. La chef de plateau l’a exigé parce que les responsables BMO de Pôle Emploi étaient inquiets du peu de résultats des deux premières semaines d’enquête.

Nota : Nous étions en CDD d’un mois, payés au Smic, précaires, dans l’incertitude nous-mêmes. Chacun peut en tirer une «morale» : Les gens qui ont la sécurité (ici, les salariés de Pôle Emploi) demandent à être sécurisés par les insécurisés (ici, nous autres précaires en CDD)... Voilà comment ça marche !

Pour être plus précis dans l’imprécision de cette enquête BMO, voici quelques réponses que j’ai entendues lors des entretiens avec les employeurs.

Concernant les institutions (écoles, mairies, universités, conseils généraux, départementaux…) : il était souvent impossible d’obtenir une réponse. Les institutions passent par d’autres biais que Pôle Emploi pour recruter (annonces, concours…) et doivent respecter le Code des marchés publics. Nous nous perdions également dans les méandres de ces grandes hiérarchies : «Pour votre question, il faudra contacter untel» ou «Elle est absente, rappelez demain», «Nous ne sommes pas responsables du recrutement, contactez tel organisme».

Concernant les entreprises importantes (plus de 300 salariés) : Difficile d’obtenir des réponses, les standards ne décrochaient pas, les DRH étaient injoignables. Lorsqu’elles étaient joignables, c’était pour dire qu’elles ne savaient pas. Lorsque nous insistions, nous pouvions enfin faire notre travail, c’est-à-dire transformer des incertitudes en certitudes (évoqué plus haut) et remplir notre interface informatique. Nous étions également confrontés à la hiérarchie des grandes entreprises qui nous renvoyaient d’un interlocuteur à l’autre ; nous abandonnions et passions à l’entreprise suivante. Il fallait faire nos 60 appels/jour.

Concernant les petites entreprises (5, 10 ou 15 salariés dans le bâtiment, la restauration, le service à la personne…) : Ce sont elles qui répondaient avec le plus de précision. Le responsable n’était souvent pas loin, à pied d’œuvre. Les réponses variaient : «J’ai fermé ma société monsieur», «Je suis à la retraite depuis 3 ans», «Nous avons licencié 3 personnes l’an dernier», «Le patron, il est pas là, rappelez demain», «Je suis pressé, j’ai du service en salle, c’est le coup de feu, pas le temps, salut !», «On recherche des saisonnier pour l’été, pour ramasser les pommes, à peu près 15 personnes, mais on a déjà notre fichier, c’est des gens du coin qui nous contactent directement», «Pôle Emploi ? Pas question, salut !», «Oui, on cherche 3 serveurs pour Marne-la-Vallée, on est dans la zone Disney», «Pôle Emploi m’a déjà posé les mêmes questions hier matin, veuillez ne plus m’appeler !», «Monsieur, je suis déjà en contact avec ma conseillère Pôle Emploi. Je lui ai confié une mission ; cela fait 3 mois que j’attends des résultats», «J’ai reçu 15 CV de la part de Pôle Emploi. Aucun ne correspond au poste que je propose !», «Vous êtes de la Direction régionale de Pôle Emploi ? Ça tombe bien,  je cherche un métreur, pouvez-vous me conseiller ?», «Monsieur, j’ai bien reçu votre questionnaire papier BMO, je vous l’ai renvoyé, vous ne l’avez pas reçu ?», «J’ai bien reçu votre questionnaire BMO, je n’ai pas eu le temps de le remplir, j’ai des priorités», «Je n’ai reçu aucun questionnaire BMO, c’est quoi ce bazar ?», «Monsieur, je fais tout ici. Je travaille seul, je fais le commercial, les devis, la production, la comptabilité. Je n’arrive pas à boucler mes fins de mois. Et vous pensez que je vais embaucher en 2012 ?»...

Concernant les sociétés orientées travail intellectuel (cabinets comptables, bureaux d’architecture, cabinet d’avocats…) : «Je fais appel à des sociétés spécialisées. Je n’ai jamais travaillé avec Pôle Emploi», «Les gens me contactent directement»...

Concernant les cabinets médicaux. La standardiste : «Comment voulez-vous que je sache, monsieur ?» Le médecin : «Je suis en consultation. Vous croyez que je vais prendre le temps de répondre à vos questions ?» Le patient : «Aïe !»

Concernant les cabinets de recrutement et d’intérim : Il n’y avait pas de fiches entreprises.

Concernant le secteur de l’audiovisuel, la télé, le cinéma, le théâtre, la radio : Il n’y avait pas de fiches entreprises.

Concernant les secteurs de la presse, de la communication, de l’imprimerie, de l’édition : Il n’y avait pas de fiches entreprises.

Nota : Comment avoir des résultats objectifs sur l’ensemble des besoins en main-d’œuvre tous secteurs d’activité confondus dans ces conditions ? Les institutions et les grandes entreprises ne répondent pas, les petites répondent et se plaignent des services de Pôle Emploi, les spécialistes font appel à des officines spécialisées. On ne peut questionner les cabinets de recrutement, les sociétés d’intérim, la presse et la communication.

Au final, on obtient du travail dans les secteurs du bâtiment, de la restauration, du service à la personne… les seuls qui répondent, vu leur taille et leur disponibilité. Et là, notre job consiste alors à transformer leurs incertitudes en certitudes.

Ce n’est donc pas du tout représentatif du marché.

Après, il ne faut pas s’étonner qu’on annonce qu’il y a des emplois disponibles dans le bâtiment, la restauration, le service à la personne. Que des boulots précaires en plus.

Vous disiez dans votre article que cette enquête BMO ne représentait pas la réalité parce que 70% des entreprises (ou approchant) ne répondent pas au questionnaire papier BMO. Ce qui est vrai. D'autant que tous les secteurs d’activité ne peuvent être sondés avec les méthodes de Pôle Emploi, comme nous l’avons vu plus haut.

Au quotidien, pour le chercheur d’emploi comme pour l’employeur, cette informatisation à outrance, ces divisions et sous divisions en catégories dans lesquelles chacun doit s’inscrire pour effectuer une recherche de compatibilité (entre l’offre et la demande) fait que tout le monde se cherche, tout le monde se croise, très peu se trouvent. Là, c’est une critique que j’émets à l'égard du site de Pôle Emploi vers lequel nous orientent systématiquement les conseillers qui n’ont plus le temps de recevoir des êtres humains qui cherchent du travail. Les employeurs (tout aussi humains) émettent les mêmes critiques d’ailleurs.

La question est donc la suivante : À qui et à quoi sert cette enquête BMO approximative ?

• À Pôle Emploi ? Pour orienter les gens vers des «secteurs porteurs» ?

• Aux organismes spécialisés pour mettre en place des formations vers les «métiers porteurs» ?

• À ceux qui financent ces formations ? Aux agences d’intérim, aux assos d’insertion professionnelle ?

• À alimenter les médias en informations approximatives, voire erronées, qui annoncent que tel ou tel secteur recrute ?

On ne peut accorder aucun crédit aux résultats de l’enquête BMO.

Obtenir des informations fiables et pertinentes demande plus que l’embauche de 20 CDD pendant un mois, juste avant Noël, payés au Smic, avec des carnets d’adresses obsolètes, des codes métiers inadaptés, des secteurs d’activité absents, un logiciel limité et réducteur, des écouteurs et des micros qui déconnent en plus !

Définir les besoins en main-d’œuvre des entreprises est un VRAI MÉTIER qui nécessite des enquêtes permanentes et approfondies pour orienter les demandeurs d’emploi vers les activités vraiment porteuses et adapter les formations aux postes disponibles.

Définir les besoins en main-d’œuvre relève d’un vrai Service Public !

P. Mosnier

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Mis à jour ( Mercredi, 10 Avril 2013 13:39 )  

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