• A 44 ans, vous comptabilisez 31 mois de travail et plus de 21 années de chômage indemnisé. Pourquoi rendre votre histoire publique ?
Un soir, à la télé, il y avait un garçon qui racontait que, grâce au RMI, il avait pris 6 mois de vacances. J'ai pensé : «Moi, ça ne fait pas six mois, mais vingt et un ans.» Je respecte les lois, et j'ai réussi à vivre 21 ans de l'ASS [allocation spécifique de solidarité] et des aides qui y sont associées. Je profite d'un système que je déplore : la majorité des chômeurs veut vraiment se réinsérer. On les aiderait davantage en surveillant mieux les fraudeurs.
• Beaucoup trouvent votre comportement malhonnête...
Je n'ai aucun sentiment de culpabilité. J'ai vécu dans la légalité. Je suis un profiteur, pas un fraudeur. J'ai seulement profité des droits qui m'étaient offerts.
• Comment arrive-t-on à vivre avec 600 € par mois ?
C'est une philosophie de vie. Je suis célibataire, sans enfants, et je vis en province. Je ne pourrais pas faire ça à Paris. J'ai aussi une famille et des amis très présents. Mais je leur demande peu, et jamais d'argent. Je leur rends service, j'ai du temps.
• Comment êtes-vous parvenu à passer pour quelqu'un qui cherchait du travail sans jamais réussir à en trouver ?
Tous les six mois, il me faut présenter à l'ANPE les lettres de refus des employeurs auxquels j'ai adressé une candidature. Mais personne ne vérifie mes lettres de motivation et mes CV. J'en ai deux : un que je montre à l'ANPE, et un autre, très mauvais, que je réserve aux employeurs.
• Pourquoi refusez-vous de travailler ?
Au début, je voulais avoir des horaires libres, travailler quand bon me semble. Je n'aime pas la hiérarchie. Mais au bout d'un moment, vivre de l'ASS le plus longtemps possible est devenu un défi, un jeu.
.../...
Thierry F. est doublement verni : outre le fait de n'avoir travaillé que deux ans de 1979 à juin 2006 en savourant son statut de "chômeur heureux", vingt ans après il savoure enfin SON QUART D'HEURE DE GLOIRE !!! Son histoire croustillante a déjà allèché Le Point, Le Figaro ou France 2 - des profiteurs qui ont tiré profit du cas d'un profiteur, notait l'autre dimanche David Abiker à Arrêt sur Images -, et provoqué la colère des associations de chômeurs qui dénoncent la propagande faite à l'encontre des privés d'emploi à laquelle ce "chômeur professionnel" revendiqué contribue, sciemment ou non.
C'est au tour du gratuit 20 Minutes de récupèrer le scoop. Même si cette interview présente un peu mieux le personnage, elle n'arrive pas à dissiper le doute sur ses motivations (et son intelligence…) : Est-il un homme qui - comme des milliers d'autres - n'a pas retrouvé de travail, s'est découragé et, pour tête haute garder, nous fait croire qu'il s'est adapté à cette situation et a finalement pris sa revanche en profitant du système (la victime jouant au héros… de science-fiction ou de reality-show) ? Ses fausses candidatures sont-elles le résultat d'un traumatisme agrandi au contact d'un marché de l'emploi qui n'a eu de cesse de le rejeter ? Son refus de travailler est-il une expression de sa blessure face à ce que la société lui a fait subir, ou de sa perte de confiance en lui ? Sa "philosophie de vie" s'inspire-t-elle d'une vague notion - toute personnelle - de désobéissance civile et de décroissance mêlées ?
Faux repenti, et faux rebelle
Cet homme déclare avoir profité d'un système qu'il déplore (notez la connotation moralisatrice qu'il donne à ses aveux) : Thierry F. est un profiteur bien-pensant qui entend pointer les insuffisances du système qui l'a nourri... cela s'appelle cracher dans la soupe. Le comble de l'hypocrisie (ou de la bêtise ?) est atteint quand il estime qu'on aiderait davantage les chômeurs en surveillant mieux les fraudeurs... alors que lui-même ne s'estime pas fraudeur mais simple profiteur, et ne manifeste aucun remords d'avoir lésé de vrais chômeurs. Tandis qu'une affaire de "fraude industrielle" à l'Assedic occupe une partie des médias, évoquant du bout des lèvres le caractère mafieux de ces détournements organisés par de fausses entreprises - qu'on ne contrôle pas, elles… -, le retour insistant de Thierry F. rétablit la vulgate de la fraude individuelle alors qu'elle est anecdotique. A l'heure où les partenaires sociaux discutent de la "remise à plat" de l’assurance chômage déficitaire, cette insistance à se justifier est quasiment suspecte.
Son livre - édité chez Albin Michel, titre du groupe Lagardère dont on sait qu'Arnaud est ami de Nicolas Sarkozy… ceci explique peut-être cela - bénéficie d'une bonne promo et alimente la propagande anti-chômeurs. En le publiant, à moins d'être idiot, Thierry F. ne pouvait ignorer la récupération que l'on ferait de son témoignage. Il a beau dire qu'il est un cas à part et que la majorité des chômeurs veut vraiment "se réinsérer" - quel terme plus méprisant -, le mal est fait. Il s'est mis à dos la grande majorité de ses congénères qui ne se reconnaissent pas dans ses "révélations", l'ANPE qui les réfute et l'Assedic qui va un de ces quatre lui tomber sur le paletot (voyez quel piètre escroc il fait…), ainsi que les salariés écœurés d'entendre des choses pareilles mais prêts à les prendre pour argent comptant et à généraliser...
Maladroit, manipulé ou complice ?
Les seuls à se frotter les mains dans cette affaire, ce sont bien les adeptes du libéralisme et les décérébrés, naturellement enclins à dénigrer les "fainéants" et les "assistés", évidemment tous responsables de leur situation ! Une polémique qui avantage ceux qui, d'une main, institutionnalisent le chômage de masse et s'en repaissent, stigmatisant de l'autre les trop nombreuses victimes afin de détourner l'opinion publique de leur part de responsabilité dans ce désastre collectif. Leur faciliter la tâche était-elle l'intention de Thierry F. ?
Grâce à son livre, cet homme de peu contribue à liguer ceux qui travaillent contre ceux que l'on prive de boulot, et taille un boulevard aux prochaines mesures anti-chômeurs et anti-RMIstes du gouvernement et de l'Unedic. Grâce à lui on focalisera sur les mêmes boucs émissaires, et on ne parlera toujours pas des vrais coupables et des vraies causes du chômage de masse et de la précarité, on ne parlera pas de ces vrais parasites sociaux que sont les actionnaires, on éludera les magouilles du patronat qui creusent des déficits publics, et on ne dira pas à quel point les employeurs sont assistés dans notre pays, mille fois plus que ces chômeurs qu'ils ont foutus sur la paille sous prétexte de compétitivité…
Thierry F. n'est donc qu'un crétin qui contribue à la lutte contre les chômeurs et à la haine sociale. Si certains aspects de son discours méritent d'être creusés, il les enrobe de telle façon qu'on ne peut éprouver pour lui aucune sympathie et qu'on ne peut lui trouver aucune excuse.
A lire également cet article d'AC! qui dénonce l'imposture.
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