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Cela fait longtemps que les entreprises convoitent lycéens & étudiants, main-d'œuvre docile et gratuite dans le cadre de ces stages qui sont censés leur ouvrir les portes de la vie professionnelle… Cela fait longtemps qu'au moment de les embaucher, ces mêmes entreprises prétextent le manque d'expérience ou l'inadéquation des cursus scolaires… La vérité, c'est qu'elles ne veulent plus s'embarrasser à former, les entreprises, et surtout pas payer les salariés à leur juste valeur, rentabilité, compétitivité obligent : en ce qui concerne les jeunes qui sortent de l'école, il vaut donc mieux les exploiter sous forme de stagiaires ou les précariser plutôt que de créer des postes qu'on a déjà supprimés à l'occasion du départ en retraite des anciens. Telle est la mentalité du moment.
Mais il faut taire ces réalités, biaiser le débat. Et pour ce faire, Dominique de Villepin a fait appel à un certain Patrick Hetzel, recteur de l'académie de Limoges, qui lui a concocté un rapport sur l'orientation et l'insertion professionnelle des étudiants.
"Ma priorité, c'est que l'université prépare mieux à l'emploi. Avec une clé essentielle : l'orientation", a déclaré le Premier ministre qui annonce donc l'instauration d'un "dossier unique d'orientation pour chaque élève" qui "lui permettra, sur une base volontaire, d'être éclairé dans ses choix, dès la troisième et jusqu'en terminale". Soit.
Puis "dans les universités, une information sera mise à disposition des étudiants sur chaque filière, chaque formation, qui leur indiquera le taux de réussite ainsi que le taux d'emploi." En passant, le chef du gouvernement assure qu'il n'est "pas question" de remettre en cause le libre choix de l'orientation et déclare refuser la création d'un numerus clausus par filière universitaire, qui conduirait à "entrer dans une logique de sélection"…
Puis, "par ailleurs, nous allons instituer un module obligatoire de recherche d'emploi" dès l'entrée en licence, a-t-il poursuivi. Au programme : rédaction de CV, lettre de motivation, préparation à l'entretien d'embauche et, bien sûr, stage obligatoire dans la troisième année... Telles sont les joyeusetés de ce module qui ne dépaysera pas les jeunes quand ils iront s'inscrire à l'ANPE, cet autre bouc émissaire qui, comme l'école, ne créé pas les emplois en France mais qu'on accuse aussi de tous les maux...
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Commentaires
Le commentaire de Monolecte posté dans notre forum et que je recopie ici :
Cette vision des choses ramène la personne au rang d'outil.
Le souci, c'est que les techniques et l'organisation du travail changent tout le temps. Si on forme un gars juste pour un métier, on en fait quoi quand son métier a disparu ou a été délocalisé ? On rouvre les chambres à gaz ?
L'école doit donc dispenser un enseignement général destiné à permettre à tous d'avoir les outils pour apprendre à apprendre.
Dans un contexte économique où nous sommes de plus en plus amenés à changer de métier et de carrière tous les 2, 3 ou 5 ans, avoir une formation initiale professionnelle n'a pas de de sens.
La formation professionnelle doit donc bien être continue et accessible tout au long de la vie, quelque soit le statut de l'individu. On est très loin du compte, avec des formations bidons pour les chômeurs et des formations de qualités en accès limité aux travailleurs déjà en place, tendance inamovible.
Tant que la formation professionnelle continue n'a pas été mise à plat, il est inutile de faire pour la énième fois le procés de l'École, laquelle, au regard des moyens alloués et des objectifs affichés, s'acquitte paradoxalement plutôt bien de sa tâche. Répondre | Répondre avec citation |
Exactement. Et c'est cet enseignement général qu'on est en train de remettre en question. Apprendre à apprendre, c'est apprendre à penser. Mais aujourd'hui on veut des gens qui bossent tout de suite sans avoir besoin de se former un minimum sur le tas, on veut des gens qui ne pensent pas et qui fonctionnent tout de suite. Ils doivent savoir tout faire, tout connaître ce dont l'entreprise a besoin, tout de suite. Utilité immédiate. Et si ce poste est supprimé, on jette et on prend une autre marionette docile et bon marché. Ce programme s'appelle "s'adapter au marché".
Les gains à très court terme. Les formations spécifiques dont on a besoin à court terme. Tout à court terme.
C'est l'adaptation dans l'immédiateté qui ne fait qu'accroître la spirale du chômage et de la précarité. Se décider en troisième ce que l'on veut faire plus tard - quelle bettise. Si on le sait, tant mieux, mais c'est une minorité qui est dans ce cas. L'immense majorité ne le sais pas, et c'est normal.
Je ne veux pas d'enseignement universitaire "utilitaire" et orienté aux besoins immédiats de l'entreprise ou d'une entreprise, mais un enseigment qui m'apprend à penser, à questionner la société et le monde, à formuler des hypothèses et à les verifier avec intélligence et impartialité.
Ces quelques habitudes dont on a besoin dans l'entreprise, on peut les appredre sur le tas, dans peu de temps, si il y a une volonté des deux cotés. Mais il y a un coté des volontés qui fait défaut. Dommage. Répondre | Répondre avec citation |
Comment se fait-il que nous rencontrions (je travaille dans une ANPE) autant de jeunes diplômés supérieurs qui n'ont pas la moindre idée de ce qu'ils pourraient faire de leur diplôme (maîtrise de géographie, DEA de physique des fluides…) dans un cadre professionnel ?
Ce n'est pas la faute de l'université, sa mission n'est pas de dispenser une formation professionnelle . Encore que… les facultés de médecine avec le numerus clausus sont l'exemple du contraire.
La problématique est complexe, ce n'est pas en la niant qu'on la résoudra.
Parmi les trucs qui ne vont pas :
- la survalorisation des études universitaires dans les représentations sociales. C'est devenu une question de standing : si ton gosse ne va pas en fac, c'est qu'il n'est pas "bon". Et j'ai souvent entendu "il a bien le droit de goûter à la vie d'étudiant"…
- Le choix de la filière d'études se fait indépendamment des connaissances acquises précédemment. On peut entrer en fac d'anglais en produisant un relevé de notes du bac qui ne fait état d'aucune épreuve d'anglais… je l'ai testé pour vous.
- Le choix de la filière d'études se fait indépendamment de toute notion de projet. 800 étudiants en première année de psycho dans une petite fac de province, ne me dites pas qu'ils pensent tous en faire un métier. Il s'agit de culture générale ? OK… mais ils n'ont pas tous des parents qui peuvent leur financer des études pour le plaisir. A quel moment va-t-on se préoccuper de leur avenir matériel ? Doit-on attendre qu'ils se cassent le nez sur la nécessité financière ?
- la conséquence de l'alinéa précédent : comme le choix de la filière n'est pas lié à un projet construit, la motivation vient très vite à manquer, ce qui est l'une des raisons du taux d'échec très élevé des étudiants dans les deux premières années. Il faut alors trouver des solutions dans l'urgence pour des jeunes gens que rien ni personne n'a préparés à se VOIR dans un emploi. Quelles formules pour prévenir ces échecs, d'une part, et pour les traiter quand on n'a pu les prévenir ?
- Il est faux de dire que n'importe quel métier s'apprend sur le tas quand on a une formation générale suffisante. Aimeriez-vous être soigné par une infirmière qui aurait appris son métier en quelques mois dans une clinique après un doctorat en linguistique ? Même pour des métiers moins "pointus", une formation professionnelle est indispensable à moins de vouloir pratiquer l'amateurisme à grande échelle… combien de jeunes femmes de formation littéraire ont déchanté devant des postes de secrétariat qu'elles croyaient simples et à leur portée ?
Je vois donc trois problématiques importantes :
- l'une qui touche à la psycho-sociologie : comment amener les jeunes à une réflexion sur leur projet de vie qui préserve leur développement personnel mais qui prépare aussi leur avenir professionnel ? Pas en leur inspirant une peur bleue du "monde des adultes" comme le fait la société actuelle (comme un pendant à la peur de la mort chez les adultes).
- la question du financement des études : la collectivité a-t-elle le devoir de financer de la même façon des études poursuivies dans un but de pur développement personnel et celles de gens qui réinvestiront le savoir acquis au profit de la société ?
- la question du financement de la formation professionnelle : s'il est vrai que le professionnalis me des travailleurs d'un pays ne profite pas seulement aux entreprises mais aussi à la collectivité (élévation du niveau de vie général) , pour autant est-il admissible que les entreprises demandent autant au système de formation professionnelle initiale et contribuent aussi peu ? Et si l'on accroît la part de financement des entreprises, quelle mutualisation des ressources pour que les petites entreprises ne soient pas éternellement les cocus du système ?
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L'élite intellectuelle de notre pays sait bien que l'université est un pis aller et que seules les classes préparatoires aux grandes écoles, qui sont mieux financées par l'Etat que l'université, représentent pour elle, la seule voie de formation.
Une bonne majorité d ' étudiants sont livrés à eux-mêmes alors que jusqu'en terminale ils étaient plutot fortement encadrés. Faire des études coincide avec le passage à l'âge adulte et la volonté d'indépendance et de liberté: probablement difficilement conciliable avec la discipline qu'impose d'étudier.
Beaucoup de "jeunes" qui se destinent à la carrière de professeur des écoles font des études de psychologie avant de passer les concours de recrutements.
(ils ont besoin d'une licence, alors une licence de psychologie avec un enseignement bien choisi peut être d' un grand bénéfice)
Les études de psychologie ne conduisent pas tous les étudiants à devenir psychologues, certains deviennent DRH ou travailleur social, voire agent ANPE (encore que, j'ai cru comprendre que les profils commerciaux étaient maintenant plus demandés)
On peut aussi dire la même chose des études de droit, si on croit que les seuls débouchés sont de devenir avocat ou juge.
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