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Faut-il tuer les chômeurs de longue durée ?

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Voici, déniché sur le Net, un extrait des "Voyages de Gulliver", roman satirique écrit en 1726 par Jonathan Swift : le célèbre capitaine, de passage sur l’île volante de Laputa, découvre le chômage...

« Il y a cent quarante ans, la province était ravagée par un mal subtil et insaisissable. Le travail semblait manquer de toutes parts. Sur dix hommes valides, il en était toujours un ou deux qui, bien que cherchant à se faire employer, n’y parvenaient point. Le découragement était général.

Fort préoccupé par la chose, le gouverneur de Laputa décida d’y mettre terme. Après longue réflexion, il ordonna que soit puni de mort quiconque resterait oisif et sans métier. Mais la sentence, ajoutait bizarrement le gouverneur, ne commencerait d’être exécutée qu’au terme de douze mois (1).

Cet ordre brutal causa, on l’imagine, un très grand émoi. Nombre de gens de qualité pressèrent le gouverneur de reprendre son geste. Le peuple s’agita. Rien n’y fit.

Dans les premiers mois qui suivirent cette décision, et si l’on excepte les mouvements qu’on vient de relater, rien ne se produisit. Comme avant, les propriétaires se séparaient de leurs ouvriers lorsque l’ouvrage manquait, et les maîtres de leurs domestiques, quand ils en étaient fâchés. Et ceux qui avaient ainsi reçu leur congé s’efforçaient, par leurs propres moyens, de retrouver une situation.

Toutefois, aux approches des jours où devaient tomber les premières victimes de cette ordonnance monstrueuse, un mouvement se fit qui gagna bientôt l’île tout entière. Saisis par la crainte de voir ces malheureux subir un sort aussi injuste, ceux qui, dans un premier geste, voulaient se séparer d’un employé, retenaient leur passion et remettaient à plus tard. Et chacun s’animait d’un esprit entreprenant pour ceux qui restaient sans travail. Celui-ci proposait chez lui la garde d’une mère impotente. Tel autre affirmait que son moulin pouvait occuper une personne de plus. Tel autre encore suggérait de partager, tout ensemble, son travail d’artisan et le profit qu’il en pouvait tirer. Ainsi, déclarait-il, on travaillera plus et nous gagnerons plus. Si bien qu’aux douze mois écoulés, ainsi qu’à chaque mois qui suivit, le gouverneur ne trouva nul motif de mettre son ordonnance à exécution. »

Etude de texte. Le Voyage à Laputa décrit un monde où les hommes perdent tout sens commun. Ce chapitre épingle (entre autre) les "brillants" scientifiques - comparables à nos actuels technocrates, économistes ou politiques… - qui veulent faire "profiter" (contre leur gré s'il le faut) les peuples de leurs grandes innovations/idées sans voir que, bien souvent, elles conduisent à la ruine. Visionnaire, Jonathan Swift brossait là une satire du monde moderne.

... Mais voici, exquise de naïveté, l'interprétation qu'en fait un certain Constantin Barutciski dans le Blog de la Droite Libre, en ode à Laurence Parisot : "[Cette histoire] montre que le «chômage» est de toutes les époques et que les méthodes de rupture ou de changement d’approche sont toujours les plus efficaces." En imaginant un chef d'état qui décrète de punir de mort ses chômeurs de longue durée afin de provoquer une prise de conscience générale, Jonathan Swift n'aurait peut-être jamais cru qu'on se serve un jour de sa métaphore pour vanter les bienfaits du libéralisme, lui qui utilisa les termes "victimes" ou "malheureux" pour parler de ces exclus sacrifiés et non les mots "assistés", "profiteurs", "fainéants" ou "déresponsabilisés" dont nous abreuvent certains, surtout à droite.

Un monde sans pitié. C'est du bon sens : pour éradiquer le chômage, il faut créer des emplois ; tout le reste n'est que poudre aux yeux. Le texte de Swift démontre que la cause essentielle du chômage est liée à l'irresponsabilité (l'égoïsme, la pingrerie ?) des employeurs, dont le rôle est aussi de participer à la cohésion sociale en faisant l'effort de fournir du travail. "Ainsi, on travaillera plus et nous gagnerons plus"...

Mais ce n'est pas demain la veille que ceux-ci s'inquièteront du sort de leurs salariés et s'arrêteront de licencier. Ce n'est pas demain la veille qu'ils cesseront de discriminer à l'embauche, de déclasser, de sous-payer ou de précariser les chômeurs qu'ils daignent recruter. Ce n'est pas demain la veille que le bon peuple s'agitera pour dénoncer cela. Ce n'est pas demain la veille que les actionnaires accepteront de renoncer à une partie de leurs dividendes pour investir dans l'emploi au lieu de s'enrichir en le détruisant. Ce n'est pas demain la veille que, faute d'emplois pour tout le monde, le contrôle des chômeurs viendra à bout du chômage : tout n'est que statistiques, mensonges, et écrans de fumée.

Nous ne savons pas si Constantin Barutciski a une quelconque expérience du chômage (qu'il cite, d'ailleurs, entre guillemets). Nous, oui. Et si les chômeurs de longue durée ne sont pas tous voués à une mort effective, ils sont voués à une lente mort sociale qui est physiquement invisible, donc "tolérable", de la même façon qu'on peut détecter à l'œil nu des traces de coups mais pas une maltraitance psychologique. Ce n'est donc pas le trépas qu'on leur réserve, mais une vie de misère financière et morale doublée du statut de bouc émissaire ; une mort discrète, à petit feu.

L'amour rend aveugle. Interpelé, puis obnubilé par l'expression "on travaillera plus et nous gagnerons plus" autrefois rédigée par Swift et désormais martelée par Nicolas Sarkozy, il est évident que, dans un élan de ferveur pour le slogan phare de son maître-à-penser, Constantin Barutciski s'est grossièrement mélangé les pinceaux avec sa démonstration. Qu'ils sont touchants, ces fans de Nico, prêts à toutes les incohérences pour vanter leur idole... Voyez plus bas à droite de son article : on découvre qu'un de ses collègues a écrit un billet intitulé "Marie-Ségolène et le pays de Candide" et là, question candeur, on se dit que c'est l'hôpital qui se fout de la charité. Comment ne pas en rire ?

SH

(1) Justement, c'est à partir de douze mois que l'on devient «chômeur de longue durée». A partir de vingt-quatre mois, on est «chômeur de très longue durée».


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Mis à jour ( Lundi, 21 Mai 2012 12:15 )  

Commentaires 

 
0 # didpoy 2007-04-14 22:30 Hello

Faut peut-être pas les tuer, mais les pousser doucement au suicides (pas trop dur vu déjà l'état psychologique que ces sans emploi ont avec à peine 450€ / mois pour vivre) …

Devant le peut de cas que l'on fait des Salariés qui mettent fin à leurs jours … alors les Chomeurs, ça ne se verra pas …

Il serait étonnant de connaitre les chiffres sur le suicide des chomeurs et de s'apercevoir qu'on les tue d'une certaine manière …!!!

bye
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0 # superuser 2007-04-14 22:39 Les mécanismes de marché ne sont pas toujours les plus adaptés pour résoudre un problème. Pour les libéraux, le reconnaître s’apparente à une abjuration.

On peut être brillant physicien et écrire des bourdes. Serge Galam vient d’en donner une brillante – si l’on ose dire – démonstration, dans Le Monde du 7 février, en soutenant que Galilée avait été l’objet d’un procès en hérésie pour avoir soutenu que la Terre était ronde. C’était évidemment pour avoir soutenu (et démontré) que notre planète tournait autour du soleil, et n’était pas au centre de l’univers. Que celui qui ne s’est jamais trompé lui jette la première pierre ! Pour avoir encore le rouge au front pour des bourdes du même ordre, je m’en garderai bien. Sauf que le problème n’est pas là.

L’affirmation erronée était destinée à montrer qu’il existe des antécédents célèbres où un homme seul peut avoir raison contre tous et que, dans le domaine scientifique, ce n’est pas la loi du nombre qui compte, mais la rigueur de l’analyse. Car Serge Galam conteste les conclusions du rapport des experts du GIEC (le Groupe d’experts intergouverneme ntal sur l’évolution du climat) faisant de l’homme le responsable d’un changement climatique qui, à ses yeux, est loin d’être prouvé. N’étant pas spécialiste du climat, je n’aurai pas l’outrecuidance de me prononcer sur le fond de cette contestation. Mais elle m’en rappelle d’autres, sur le même sujet. En 2002, André Fourçans – un économiste d’orientation libérale – avait commis un essai intitulé "Effet de serre : le grand mensonge ?". Il y soutenait, en gros, que l’effet de serre était loin d’être prouvé, qu’il n’y avait pas d’urgence et que la hausse des prix des énergies fossiles couplée à un mécanisme de permis d’émission échangeables internationalem ent devrait régler le problème, si problème il y avait. Pas de panique, surtout : «Une action trop rapide et trop intense impliquerait une facture prohibitive.» Et les propositions de Bush (incitations fiscales, effort de recherche) paraissaient à notre auteur bien plus raisonnables que le protocole de Kyoto, inefficace et coûteux, quitte à «agir plus sévèrement si la situation se détériorait dans les décennies futures».

Pourquoi donc des gens intelligents prennent-ils le contre-pied de l’opinion communément admise, alors même qu’ils ne sont pas spécialistes du domaine controversé ? Pour se distinguer, et avoir leur petite heure de gloriole ? Je ne le crois pas, pas plus que je ne crois qu’il s’agisse d’une façon d’affirmer que toutes les opinions sont recevables et que, en économie notamment, peu, sinon aucune, n’est scientifiquemen t prouvée. Je pense plutôt que, pour un libéral affirmé, reconnaître que le marché peut se tromper, qu’il n’est pas, toujours et partout, la réponse optimale, que les mécanismes de marché ne sont pas toujours les plus adaptés pour résoudre un problème, est aussi inconcevable que, pour un croyant, admettre que le Dieu auquel il croit peut se tromper. Alors toutes les autres hypothèses, quelle que soit leur plausibilité, valent mieux.

En veut-on une autre illustration ? Il est très mode aujourd’hui de dénoncer les rentes produites par l’absence ou l’insuffisance de concurrence. Là nicheraient les sources d’improductivit é et d’injustice qui paralysent la France. C’est possible et, si je ne crois pas à l’omnipotence du marché, je ne crois pas davantage qu’il soit le diable. Mais alors, il faut aller jusqu’au bout et dire haut et fort que la rente foncière engendrée par l’urbanisation et les effets d’agglomération est, de très loin, la plus importante de toutes les rentes. En France, elle renchérit de quelques centaines de milliards chaque année le prix du foncier bâti ou bâtissable. Et cela sans que les propriétaires du sol aient fait quoi que ce soit pour mériter cet enrichissement qui tombe du ciel. Cette rente, tirant vers le haut les prix du foncier, provoque aussi la hausse du prix du logement, des loyers, des fonds de commerce et de tout ce qui se vend dans les boutiques, car elles l’incorporent à leurs prix. Si bien que la rente foncière, non contente de contribuer à expulser les locataires à faibles revenus vers les banlieues éloignées, finit par être payée par tous les consommateurs. Curieusement, les économistes contempteurs de rentes dénoncent volontiers les licences des taxis et les commissions d’urbanisme commercial, mais ils ne s’intéressent jamais à la rente foncière, cent à mille fois plus coûteuse pour une collectivité. Très belle stratégie d’évitement.

Quand il s’agit de biens publics (bénéfiques à tous), d’effets externes (générateurs de coûts ou d’avantages pour des tiers) ou de biens non renouvelables (l’offre ne pouvant être accrue par l’homme), le mécanisme des prix ne permet pas de guider les acteurs vers la meilleure solution pour tous. Pour les libéraux, le reconnaître s’apparente à une abjuration. Il est sans doute bon que chacun de nous ait des convictions, mais pourquoi faudrait-il qu’elles deviennent des œillères ?

Denis CLERC pour Alternatives Economiques
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0 # Alexa 2007-04-15 17:15 Peut-être (?) un peu hors sujet, mais il y a quelques temps vous aviez publié un article (que je ne suis pas arrivée à retrouver : comment fait-on pour accéder aux articles qui ne sont pas listés sur la page d’accueil ?) sur le projet de suppression de la Dispense de Recherche d’Emploi par Sarkozy et l’UMP (DRE).

Aucun autre parti n’a évoqué ce sujet.

Dispensés de Recherche d’Emploi (en fait ils ne sont pas dispensés de recherche d’emploi mais exemptés de contrôle ce qui n’est pas la même chose) : 420 000.

Retraités ancien dispensés : combien ? Ils pourraient être solidaires des dispensés actuels, peut-être ?

Chômeurs de, disons 50 à 55 ans : de futurs demandeurs de cette Dispense de Recherche d’Emploi ?

Il y a là un potentiel électoral contre Sarkozy et l’UMP et je suis étonnée qu’ils ne soient pas davantage mis à profit par le PS et par Bayrou (qui serait certainement pour son maintien vu qu’il est intervenu en 2003 contre la rétroactivité de la réduction de la durée des indemnités de chômage (la fameuse affaire des “recalculés”).
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0 # superuser 2007-04-17 10:57
En haut à gauche de la page, vous avez un module de recherche.

Vous tapez "dispense" (ou "DRE") et vous obtenez tous les articles que nous avons publiés contenant ce mot.

Celui dont vous parlez est peut-être celui-ci ?

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0 # Alexa 2007-04-17 23:56 Merci. C'était bien cet article.
Cependant, ce serait bien si l'on pouvait avoir une liste de tous les articles que vous avez publié, c'est-à-dire une suite à la liste de la page d'accueil.
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0 # superuser 2007-04-18 14:16 Bonjour,

Vous pouvez accéder à tous nos articles depuis 2004 par la rubrique S'INFORMER :

- soit en cliquant dans chaque catégorie (social/éco/pol - mobilisations - revue de presse - nos actions) et en faisant défiler les pages (10 articles par page, du plus récent au plus ancien),

- soit dans "Les archives de l'actualité".
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0 # michael 2007-04-16 10:34 Le texte de Jonathan Swift traite de solidarité humaine, qu'elle soit spontanée ou érigée en système, et qui nous distingue de l'animal.

De plus en plus, pour leur éviter de mourir, la protection sociale et l'Etat doivent prendre en charge les êtres humains qui ont perdu leur gagne-pain (et parfois tout ce qui va avec) pour cause de rentabilité économique. Et c'est de moins en moins que les entreprises fournissent à notre économie les emplois et les cotisations sociales nécessaires. Et malgré ça, l'Etat leur fait de plus en plus de cadeaux.

La solidarité nationale est de plus en plus désertée par les patrons dans un système libéral qui nous individualise, flatte nos mauvais penchants et nous rapproche de la bête.

Le déséquilibre est tel que certains commencent à dire qu'ils en ont marre de payer pour les autres. Mais au lieu de s'en prendre à ceux qui se désolidarisent ouvertement et s'en mettent plein les poches sur la misère humaine, on s'en prend à leurs victimes, qu'on laisserait volontiers crever !

Là où ça devient grave, c'est quand tout le monde reste aveugle face à l'évidence : au lieu d'en vouloir aux patrons qui ne font aucun effort et entretiennent la pénurie d'emplois, au lieu d'en vouloir à l'Etat qui continue à leur filer des aides publiques, on en veut à qui ??? … aux chômeurs, bien sûr !
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