Jeudi dernier, des statisticiens du ministère de l’Emploi se rassemblaient devant la tour Mirabeau qui abrite à Paris la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). Sortant de leur habituel devoir de réserve, ces spécialistes demandent la non publication des chiffres entre les deux tours de l’élection présidentielle et la tenue «d’états généraux des chiffres du chômage» (1)...
Qui aurait pu imaginer, il y a seulement quelques semaines, pareille manifestation ? Comment cette question a-t-elle pu être finalement présente dans le débat au cours de l’actuelle campagne présidentielle ? Quelles sont les positions des candidats à la magistrature suprême sur ce sujet ?
Depuis un an, plusieurs ouvrages et actions ont porté dans l’espace public la question de la fiabilité des statistiques du chômage. Au printemps 2006, une conseillère de l’ANPE, Fabienne Brutus, écrit "Chômage, des secrets bien gardés, la vérité sur l’ANPE" (éditions JC Gawsewitch). Dans ce succès d’édition, Fabienne Brutus présente au grand public les 8 catégories de chômeurs et les astuces utilisées pour afficher dans les médias un nombre de chômeurs ne reflétant aucunement la réalité du chômage et de la précarité. A l’automne, c’est l’instrumentalisation politique des chiffres du chômage qui est décryptée dans "Chômage, le fiasco des politiques" (éditions Balland). Cet ouvrage défend aussi la création d’une véritable «station météo de l’emploi et de l’activité» basée, entre autres, sur des indicateurs d’activité et de pauvreté.
Enfin, depuis la fin de l’année 2006, un collectif de syndicats et d’associations réussit à faire vivre ce même débat : Les Autres Chiffres du Chômage (ACDC) plaide pour des indicateurs mesurant l’évolution réelle du marché du travail alors que moins d’un chômeur sur deux est indemnisé par l’assurance chômage.
Un fait majeur va contribuer à installer ce débat dans la campagne électorale. Il s’agit du report à l’automne prochain de la publication de l’Enquête Emploi habituellement publiée par l’INSEE chaque mois de mars. Cette enquête laisse apparaître un taux de chômage à 9,8% en 2006. Ce taux, non validé par l’INSEE, est bien éloigné de celui affiché par le gouvernement à partir des données fournies par l’ANPE : 8,4% soit 2,06 millions de chômeurs à fin février 2007. Un taux aussi bas n’a jamais été vu depuis 25 ans. Enfin, Eurostat, l’office européen des statistiques, estime le taux français à 8,8% à fin février 2007 et à 9,4% pour 2006. Une telle diversité de chiffres et de tels écarts suffisent pour exiger la médiatisation régulière de nouveaux indicateurs. La question n’a rien d’anecdotique puisque ce changement d’indicateurs pourrait permettre de sortir enfin de l’obsession du sacro-saint court terme statistique qui caractérise, depuis trente ans, les politiques conjoncturelles de lutte contre le chômage. Une obsession qui conduit à tout faire pour afficher, chaque mois, un chiffre du chômage à la baisse, quitte à sortir des chômeurs des listes officielles même s’ils n’ont pas retrouvé un emploi.
A quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, les positions de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy sur cette question sont opposées.
Dans une réponse adressée au syndicat SNU-ANPE, Ségolène Royal indique que «la mesure du chômage devra être modifiée pour faire cesser les manipulations auxquelles nous assistons». Plusieurs proches de la candidate se sont prononcés en faveur d’une telle évolution. Retenons ici l’intervention de Jean-Marc Ayrault qui, le 6 mars dernier, écrit au Premier ministre : «Les chiffres statistiques ne doivent souffrir d’aucun soupçon. Les raisons invoquées pour justifier le contretemps dans la publication statistique de l’INSEE ne sont pas recevables». Le PS souhaite «une présentation, chaque mois, de l’ensemble des catégories de chômeurs (...) que les salariés licenciés économiques bénéficiant de conventions de reclassement ou de contrat de transition soient réintégrés dans les statistiques, que les chômeurs âgés soient comptabilisés comme demandeurs d’emplois», demandent aussi les socialistes.
Nicolas Sarkozy, lui, n’a pas répondu au SNU-ANPE. Le candidat issu de l’UMP ne conteste plus la pertinence des actuelles statistiques du chômage : «Si les chiffres du chômage augmentaient, personne ne contesterait la réalité des statistiques. Il se trouve que ça baisse et à ce moment-là, comme toujours en France, on veut casser le thermomètre» (La Tribune du 3 avril 2007).
Une position exactement opposée à celle qu’il défendait, l’été dernier, dans son ouvrage "Témoignage" (XO éditions) où il critiquait sans nuance la statistique du chômage : «Le risque de chômage ressenti par les Français est d’ailleurs bien supérieur à 10%. Si l’on ajoute au nombre officiel de chômeurs tous ceux qui sont artificiellement sortis des statistiques du chômage (inscrits à l’ANPE mais dans des catégories non comptabilisées comme du chômage, bénéficiaires du RMI non inscrits à l’ANPE, seniors dispensés de rechercher un emploi, contrats aidés) et si l’on isole le secteur public (5,2 millions de fonctionnaires et personnes assimilées) pour lequel il n’y a pas de risque de chômage, on aboutit en réalité à un taux de chômage de 20%. Il faut rapporter en effet le nombre de chômeurs à la taille du marché sur lequel ils cherchent un travail, c’est-à-dire à la taille de l’emploi privé. C’est ce qui explique ce sentiment important de précarité.»
L’objectif de Nicolas Sarkozy est le plein emploi pour 2012. Le plein emploi se situant, pour Nicolas Sarkozy, à 5% de chômeurs. Nul doute qu’en continuant à médiatiser des statistiques arrangées ne correspondant pas à la réalité, il sera aisé d’atteindre rapidement 5% de chômeurs officiels et... 15 millions de pauvres !
Patrick SALMON, ancien directeur d'agence et syndicaliste à l'ANPE, pour AgoraVox
(1) Les premiers Etats généraux des chiffres du chômage et de la précarité, organisés par le collectif ACDC, auront lieu Mardi 29 mai de 13h30-18h30 à l'ASIEM, 6 rue Albert de Lapparent 75007 Paris. Nous ne manquerons pas d'en reparler.
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