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Accueil La revue de presse A quoi servent les économistes ?

A quoi servent les économistes ?

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Les économistes ont proliféré. Dans les banques, les grandes entreprises, la presse, etc… Ils se sont mis davantage au service du marché qu’à celui de l’intérêt collectif.

L’expansion (quantitative) des économistes est récente. Car le gros des troupes des économistes patentés est constitué d’enseignants et de chercheurs. (...) Aujourd’hui, les économistes sont partout. Dans les banques, les institutions financières, les grandes entreprises, les organismes sociaux, les groupes d’influence, les organes de presse. Mais leur rôle a changé du tout au tout. Leur ambition n’est plus de changer le monde ou de le rendre plus juste, il est d’accompagner le marché, d’en corriger – à la marge, car le marché est désormais le dieu que l’on révère – les excès. Et, surtout, de dire comment faire mieux avec moins. Les constructeurs s’efforçaient de concevoir une société plus dynamique ; ils rêvaient de la rendre plus juste. Les économistes d’aujourd’hui comptent les sous et optimisent. Ils sont à leurs prédécesseurs ce que Frederick Taylor était à Jules Verne. Jamais la société n’a été aussi riche, mais jamais les économistes n’ont été aussi près de leurs sous et de ceux de leurs mandants.

Certes, il y a quelque justification à cela : après tout, s’il est possible d’améliorer la situation de beaucoup en réduisant telle ou telle dépense moins productive, pourquoi s’en priver ? Les économistes ont donc un rôle social non négligeable, qui consiste à traquer l’improductivité. Mais, ce faisant, ils jouent aussi un rôle politique qu’ils refusent de regarder en face. Il suffit de regarder les parutions de livres écrits par des économistes depuis quelques mois, évidemment dans l’intention de peser dans le débat électoral. Ils se sont multipliés comme jamais auparavant. Tous expliquent, peu ou prou, comment remettre la France sur ses pieds, ce qu’il conviendrait de faire pour – enfin – éradiquer les maux dont souffre la société.
Mais alors que leurs prédécesseurs, traumatisés par la Grande Crise, se voulaient conseillers du prince, donc au service du politique, les économistes contemporains affirment détenir la solution. La majorité d’entre eux insistent sur la responsabilité d’un Etat dépensier, de prélèvements excessifs, de dépenses sociales cancéreuses et de la place insuffisante donnée aux mécanismes de marché. La plupart dénoncent à l’envi la trop faible croissance, ils magnifient la réussite américaine et semblent ignorer superbement les problèmes environnementaux et sociaux dont elle se paye.

D’une certaine manière, ces discours participent du dénigrement politique et servent à transformer l’expert en Monsieur je sais tout. Les économistes ne seraient-ils pas en fait tentés par l’idée de devenir calife à la place du calife ? Non pas qu’ils voudraient se faire élire, mais nombreux sont candidats à tirer les ficelles. Il y a dans ce désir de pouvoir quelque chose de profondément malsain, qui réduit la société tout entière à sa seule dimension économique. Comme si les autres dimensions – sociale, environnementale, culturelle, sociologique, politique… – comptaient pour du beurre et n’avaient de réalité qu’à travers le prisme économique qui les résumerait toutes.

Dans un livre de 1986 – "Vers une économie politique élargie", éd. de Minuit –, Albert Hirschman se moquait gentiment de l’économiste anglais Denis Robertson à propos d’un article que celui-ci avait publié, en 1956, sous le titre "What does an Economist Economize ?" (Qu’est-ce qu’un économiste économise ?). Dans cet article, expliquait Hirschman, «Robertson affirmait qu’il incombait à l’économiste de créer des institutions et des motivations telles que, pour son bon fonctionnement, la société ait à s’en remettre le moins possible à cette chose qu’il baptisait “amour”, raccourci sous lequel il entendait désigner la moralité, le civisme, etc.». Il continuait : «Il s’agit là de ressources dont la disponibilité, loin de diminuer, augmente avec l’usage, du moins jusqu’à un certain point [...]. Comme la capacité de parler une langue étrangère, ces ressources s’étiolent et s’atrophient si l’on n’y fait pas appel avec quelque régularité.» Mais Hirschman n’a pas été entendu. Aujourd’hui, les économistes n’économisent pas seulement “la moralité, le civisme, etc.”, mais aussi la politique, la sociologie, la culture, etc… Sans doute parce qu’elles ne se mettent pas en équation.

Lire tout l'article de Denis CLERC pour le dernier numéro Hors-série d'Alternatives Economiques consacré à L'histoire de la pensée économique.

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Mis à jour ( Mercredi, 25 Avril 2007 14:49 )  

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