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Le Code du travail a déjà perdu l'élection

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Camouflé par le grand barnum électoral, le gouvernement Villepin a fait passer en douce une ordonnance pour tailler en pièces le Code du travail. Un dernier coup de pouce à la France du «changement».

Ni vu ni connu. Profitant de la diversion créée par la campagne électorale, le gouvernement Villepin a promulgué une «recodification» du Code du travail. Tirée le 7 mars, cette dernière salve réjouit le MEDEF qui la réclamait depuis cinq ans, mais aussi Nicolas Sarkozy qui a promis à maintes reprises de désosser les protections légales conquises par les salariés. Ce n'est pas si souvent qu'un candidat applique son programme avant même d'être élu.
Hélas ! Accaparés par le sondage du jour, les médias ont négligé de saluer cette performance. Pas un mot dans les journaux télévisés ni dans la presse quotidienne – à l'exception d'un articulet du Monde, qui relaie la version courtoise d'un pouvoir légitimement soucieux de «réécrire» le Code du travail «en français de tous les jours».

Il est vrai que Gérard Larcher, le bourbonien ministre délégué à l'Emploi, a revêtu sa tronçonneuse d'une perruque Louis XVIII. L'ordonnance du 7 mars ne s'attaque qu'à la partie législative du Code, laissant au prochain gouvernement le soin d'en charcuter la partie réglementaire. Une fois retaillé des pieds à la tête, le nouveau Code devra encore être ratifié par le Parlement avant d'entrer en vigueur. La démolition du droit du travail est un chantier ardu qui exige persévérance et doigté. Inutile cette fois de lâcher le mot anxiogène de «réforme» : on parlera de «remise à plat progressive», d'une «démarche concertée» pour simplifier un droit du travail «devenu trop complexe».

Écartelage et toilettage. Reste que le «français de tous les jours» se parle avec un fort accent de Neuilly. Dans le chapitre sur l'emploi, par exemple, le Code Larcher ne propose plus de «prévenir les mutations économiques» mais de «les anticiper et de les accompagner». Plus loin, un nouveau chapitre intitulé «dispositions communes à tous les contrats» préfigure le contrat unique cher à Laurence Parisot, la madone du MEDEF, pour qui «la liberté s'arrête là où commence le Code du travail». Autre subtilité sémantique : des principes énoncés naguère à l'impératif se déclinent désormais au présent de l'indicatif. Ainsi, la formule «l'employeur doit consulter» devient «l'employeur consulte» : la notion d'obligation, trop «complexe», a sauté au passage.

La chafouinerie patronale se reconnaît aussi à la réorganisation des passages sensibles. Le licenciement collectif a été transféré dans le chapitre sur les relations individuelles, ce qui rabaisse la garantie collective au rang d'un contrat de gré à gré. Plus sournoisement, le gouvernement fait basculer certaines dispositions du registre législatif dans le domaine réglementaire. Résultat : les seuils à partir desquels toute entreprise doit désigner un délégué du personnel (ou un comité d'entreprise) ne seraient plus garantis par la loi. Chaque gouvernement pourrait relever ces seuils à sa convenance, du jour au lendemain et sans vote parlementaire. Par ailleurs, la durée du travail a disparu du chapitre sur les conditions de travail pour être rattachée à celui des salaires, manière d'exaucer une vieille exigence du MEDEF qui ne veut considérer les questions de repos et de congés que sous l'angle du coût financier.
L'inspection du travail, elle, est désormais noyée dans un vaste chapitre sur «l'administration du travail»... On n'en finirait plus d'énumérer les «simplifications» de ce genre. Par petites touches techniques d'allure inoffensive, le Code Larcher déroule le tapis rouge aux bétonnières du patronat. Un legs de Chirac aux salariés, en témoignage de son amour.

«Cette réécriture est une machine à modifier l'interprétation des juges», dénonce le juriste Philippe Masson, chargé du dossier à la CGT. Les confédérations syndicales l'ont d'autant plus amère qu'elles ont d'abord joué le jeu du «dialogue social» avant de voir leurs suggestions balayées par les promoteurs du plan de casse. Ces derniers n'avaient qu'un souci : combler les désirs les plus fous de la branche politique du MEDEF, avant que le gouvernement Villepin n'exhale son dernier soupir.

La gestation de l'ordonnance remonte à novembre 2003, lorsque François Fillon – alors ministre des Affaires sociales – nomme une commission de neuf vandales chargés de «toiletter» [1] le Code du travail. Face à un Parti de la presse et de l'argent (PPA) séduit par son appartenance à la mystérieuse «sensibilité sociale» de l'UMP, Fillon tient un langage de vérité : «Je souhaite que, sur l'organisation du travail et sur les heures supplémentaires (contingent et rémunération), les entreprises retrouvent une plus grande liberté» (Les Echos du 20/11/03). Pour garantir la fiabilité des travaux, Fillon confie la présidence de la commission à Michel de Virville, secrétaire général et directeur des ressources humaines du groupe Renault. L'homme qui, en 1997, par conférence de presse, avait appris leur licenciement aux 3.000 ouvriers de Vilvorde.

Un cavalier pour le MEDEF. Les conclusions de la commission Virville ravissent le gouvernement. Mais un calendrier chargé repousse à plus tard leur mise en application. Jusqu'au 9 décembre 2004 quand la loi dite «de simplification du droit» lâche Gérard Larcher sur la bête. On notifie un délai au molosse : il devra soumettre sa copie au Parlement avant fin juin 2006, faute de quoi le Palais Bourbon lui remettra sa muselière. Larcher traîne la patte. Lorsqu'il boucle enfin sa «traduction» du Code, le CPE jette des millions de manifestants dans les rues. Échaudé, Villepin préfère ranger la copie dans ses braies. Tant pis pour la date butoir, on trouvera autre chose quand les circonstances seront plus clémentes.

Elles le seront dès la rentrée suivante : les 11 octobre et 30 décembre 2006, l'Assemblée nationale autorise Larcher à se remettre à l'ouvrage. Pour lui accorder cette seconde chance, Villepin recourt à une astuce appelée «cavalier parlementaire». La méthode consiste à court-circuiter les députés en enfouissant un texte venimeux dans un fourre-tout plus anodin. Dans le cas de Larcher, la réécriture intégrale des 3.000 articles du Code du travail est entérinée par un simple amendement à la loi sur... la participation et l'actionnariat des salariés. Francine Blanche, secrétaire confédérale à la CGT, le souligne : «Depuis 2002, nous devons surveiller à la loupe chaque article de chaque projet de loi pour vérifier qu'il ne contient pas de cavalier parlementaire sur le droit du travail
Cette fois, le coup fourré n'échappe pas aux députés PS Charzat, Vidalies et Le Garrec, qui font valoir à l'hémicycle que le projet du ministre «n'a pour seul objectif que de réduire la portée du droit du travail». À quoi Larcher répond que «cette réécriture se fera à droit constant», comme la loi l'y oblige. «Malheureusement !» déplore en écho le député UMP Xavier de Roux.

Les cadences de la machine à découdre le droit du travail dépendront de la prochaine majorité. Il n'y a que l'embarras du choix : en cas d'échec de son champion Sarkozy, le MEDEF pourrait assouvir son «désir d'air» auprès de François Bayrou, partisan du contrat unique et d'une renégociation de la durée de travail branche par branche. À moins qu'il ne s'exauce chez Ségolène Royal, qui a fait entendre sur le sujet des positions prometteuses. «Le contrat se substituera à la loi», déclarait la candidate socialiste le 17 octobre dernier. Le DRH de Vilvorde n'aurait pas dit mieux.

[1] Expression forgée en juin 2005 par Patrick Ollier, alors président de la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale. Selon "Le Petit Robert", le toilettage est l'action qui consiste à «faire la toilette d'un animal de compagnie»...

(Source : Le Plan B)

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Mis à jour ( Mardi, 24 Avril 2007 17:00 )  

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