Pierre Jallatte n'a visiblement pas supporté de démantèlement de son entreprise, qu'il avait fondée en 1947. "C'était un patron à grande gueule mais à grand cœur, pas un financier comme il y a maintenant", a dit Jean-François Anton, délégué CGT de 54 ans qui travaille depuis 1969 sur le site du village cévenol de Saint-Hippolyte-du-Fort. Un drapeau noir a aussitôt été placé à l'entrée de l'usine avec sa photographie. "C'est fréquemment qu'il me disait qu'il souhaitait mourir avant que son usine ferme", a expliqué, très ému, un ancien salarié de 75 ans qui a supervisé la production de Jallatte durant 25 ans, ajoutant : "Il avait très mal vécu [l'annonce de la délocalisation]. Ce n'est pas le premier plan social que les actionnaires nous font. L'usine espagnole avait fermé, l'usine allemande avait fermé, une usine d'Alès avait fermé, et tout ça fait beaucoup." "Ce sont les actionnaires qui l'ont tué", disent-ils tous.
Petite chronique de la barbarie libérale
Suite à son rachat par JAL, groupe italien lui-même investi par des fonds de pension, l'ensemble de la production devait être délocalisée en Tunisie, sacrifiant au total 287 emplois sur 336, seuls les services administratif et logistique étant maintenus en France. Le mercredi 30 mai, jour de l'annonce de cette délocalisation, les salariés en colère ont fait parler d'eux en séquestrant leurs dirigeants (lire en commentaire). En pleine campagne législative, cette affaire médiatisée avait suscité un tollé dans le monde politique : tous les députés du département étaient montés au créneau, et Nicolas Sarkozy avait même écrit au président du Conseil Général du Gard pour lui indiquer qu'il avait demandé au gouvernement de "réfléchir" à une "stratégie de revitalisation" industrielle et économique du territoire cévenol... La fin de Jallatte est un nouveau coup dur pour le Gard, département touché par une vague de délocalisations de marques emblématiques : les collants Well fin 2006 (300 emplois supprimés), les pianos Pleyel il y a quelques mois (65 emplois supprimés) et des rumeurs autour de l'entreprise Eminence.
Pourtant, hier, les syndicats ont annoncé avoir trouvé un accord avec le propriétaire italien afin de suspendre le projet : "Les actionnaires américains ont décidé de mandater le directeur général France pour présenter un plan alternatif d'ici au 18 juin, afin de conserver une production viable sur les sites gardois", a dit la CGT. Mais son fondateur, lui, n'y a pas cru une seconde et a préféré en finir. Ainsi s'achève l'œuvre de toute une vie : l'ancien patron a choisi de se donner la mort plutôt que de voir ses salariés goûter à la mort… sociale.
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