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Accueil Social, économie et politique Quand Pujadas nous sert… le détecteur de mensonge pour chômeurs

Quand Pujadas nous sert… le détecteur de mensonge pour chômeurs

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Avec France 2, on a aussi "le droit de savoir" : dans un climat de désinformation grandissant, la stigmatisation du chômeur se poursuit aux heures de grand écoute sur une chaîne du service public. Un compte-rendu édifiant de notre ami Stephan.

Nous sommes mercredi 5 décembre 2007, une bonne partie des Français regarde le JT de 20 heures sur France 2. Et qu'est-ce que l'on nous sert au menu ? Un brouet bien peu ragoûtant, et comme par hasard trois jours avant la grande manifestation des chômeurs & précaires à Paris. En voici la transcription (à quelques mots près) :

David Pujadas, présentateur : Toujours à l’étranger, les nouvelles méthodes de contrôle des chômeurs en Grande Bretagne. La comparaison est intéressante car, vous le savez, la France veut revoir tout le système en fusionnant l’ANPE et l’Unedic [Le conseil des ministres vient d'en adopter ce matin le projet de loi - NDLR]. Là bas, à Londres, les vérifications vont très loin : les services sociaux traquent le travail au noir, et les demandeurs d’emploi sont même soumis à des détecteurs de mensonge. Reportage Maryse Burgot, Dominique Marotel.

La journaliste en voix off (on suit un chômeur dans un Jobcenter) : Impossible de se soustraire à ce rendez-vous, toutes les deux semaines. James, graphiste sans emploi, vient ici rendre (sur un ton très appuyé) des comptes. Cette conseillère va donc lui demander des justificatifs prouvant qu’il cherche vraiment (avec une nouvelle pause lourde de signification) du travail.

La conseillère du Jobcenter : «S’il n’a pas cherché du travail pendant les 15 jours précédents, ses allocations seront suspendues.»
La journaliste, toujours en off : Et c’est bien ce qui pourrait arriver à James, s’il continue à jouer les dilettantes...
James (chauve, barbe blanche, la soixantaine bien entamée. Si je l’avais croisé dans la rue, j’aurais juré que c’est un retraité) : «C’est vrai que je ne cherche pas vraiment. Je manque un peu d’énergie en ce moment.»

La journaliste, qui enchaîne en off (on nous montre des extraits d'un spot de sensibilisation façon Big Brother) : Des chômeurs strictement encadrés et même parfois traqués. Cette campagne diffusée sur les télévisions prévient les faux chômeurs ! Ceux qui, par exemple, travaillent au noir tout en touchant une allocation seront (encore une pause significative) poursuivis en justice.
La journaliste apparaît enfin, évoluant dans un call center : Et pour traquer les tricheurs, les Britanniques vont encore plus loin... Ici, on appelle par téléphone les bénéficiaires d’allocations logement et on vérifie grâce à un détecteur de mensonge s’ils disent bien la vérité. Et, dans quelques semaines, cette méthode sera aussi utilisée pour détecter (sur un ton très appuyé) les faux chômeurs. Grâce à ce logiciel, cette employée (on voit une femme devant un écran avec un casque téléphonique sur la tête) analyse les variations de la voix de son interlocuteur. Lorsque les lettres HR apparaissent, cela veut dire que le risque est très haut d’avoir affaire à un menteur qui triche pour obtenir des allocations. Un système déjà utilisé par des compagnies d’assurances. Bientôt les chômeurs, eux aussi, y seront soumis.

David Pujadas : Retour en France, avec des contestations à Villiers-le-Bel suite à la décision de la police...

Faisons un petit "arrêt sur paroles"

Donc, trois jours avant les manifestations de chômeurs, ce sujet - la traque des "faux chômeurs" dans un pays voisin : cela se passe à coté de chez nous, donc cela pourrait se passer chez nous !

Ensuite : ... les nouvelles méthodes des contrôle des chômeurs en Grande Bretagne. La comparaison est intéressante. Superficiellement, pas de jugement de valeur, uniquement de l'info. Ça continue : ... car, vous le savez : la France veut revoir tout le système en fusionnant l’ANPE et l’Unedic. Que va faire le téléspectateur ? Il y a des chances qu'il trouve intéressant de plaquer ces "nouvelles méthodes" sur nos fainéants de chômeurs à nous.

... A Londres, les vérifications vont très loin, les services sociaux traquent le travail au noir et les demandeurs d’emploi sont même soumis à des détecteurs de mensonge. Deux affirmations implicites : les bénéficiaires des aides sociales travaillent au noir, et les demandeurs d'emploi mentent. Cela conforte le sarkozyen lambda et être conforté dans ses préjugés, ça fait toujours du bien !

Impossible de se soustraire à ce rendez-vous toutes les deux semaines. Traduisez : Ne te lamente pas, chômeur français, le suivi mensuel personnalisé n'est rien contre ce que vit le chômeur outre Manche ! Et prépare-toi à un traitement plus vigoureux à l'avenir, qui se justifie par tout ce travail au noir et tous ces mensonges dont tu es capable.

James vient ici rendre des comptes. Pour 350 € par mois pendant 6 mois maximum (c'est ce à quoi ont droit les chômeurs britanniques, qui sont les plus pauvres d'Europe), rendre des comptes, quoi de plus normal ?

S’il n’a pas cherché du travail pendant les 15 jours précédents, ses allocations seront suspendues. En Grande Bretagne, les radiations sont banales, normales, justifiées. On coupe les vivres sans état d'âme. D'où, peut-être, ce très faible taux de chômage (et ce taux de pauvreté bien supérieur au nôtre) ?

Et c’est bien ce qui pourrait arriver à James, s’il continue à jouer les dilettantes.
Le dilettantisme, chez les hommes politiques (Laporte, Torreton…), est excusable. Mais chez les chômeurs il devient un reproche, presque une insulte.

James : «C’est vrai que je ne cherche pas vraiment. Je manque un peu d’énergie en ce moment.» Aveu de mauvais chômeur, tête baissée, un repentant débordant de culpabilité. Il soulage sa conscience et abandonne son sort dans les mains de sa conseillère à l'emploi. Cette scène est particulièrement abjecte. Un homme en âge d'être à la retraite, il est "un peu fatigué". Mais même âgé, être fatigué - découragé ? - signifie être un faux chômeur. On n'a pas le droit d'être découragé : il faut garder la pêche, rester battant. Vous êtes prévenu : en France, la dispense de recherche d'emploi pour les chômeurs de plus de 57 ans (qui ne dispense pas de rechercher du travail, mais simplement du fastidieux suivi mensuel pour lequel les conseillers ANPE se sentent eux-mêmes inutiles) va être supprimée. Désormais il faut se préparer à d'autres mœurs ! Fatigué ? Y a pas. Y a plus. Marche ou crève.

Des chômeurs strictement encadré et même parfois traqués. Rassurez-vous : c'est pour leur bien.

Ceux qui par exemple travaillent au noir tout en touchant une allocation seront poursuivis en justice. Bel exemple de la criminalisation systématique du privé d'emploi !

Puis surgit le fameux détecteur de mensonge auquel sont soumis des bénéficiaires d'une allocation logement : Un système déjà utilisé par des compagnies d’assurances, bientôt les chômeurs, eux aussi, y seront soumis. Donc à ce jour, les chômeurs n'y sont pas encore soumis. Pourtant, au début du sujet, Pujadas disait : ... et les demandeurs d’emploi sont même soumis à des détecteurs de mensonge.
Alors ils le sont, ou ils le seront ? C'est un détail trop insignifiant pour le téléspectateur fatigué par une dure journée de labeur. De toutes façons, il entend "faux chômeur, dilettante, travail au noir, criminel, mensonge, traquer, Grande Bretagne, plus de devoirs que de droits, bientôt en France" : cela suffit largement pour ce qu'il faut retenir du JT.

Le détecteur de mensonge

Un détecteur de mensonge se base sur la voix et mesure principalement la tension intérieure de l'individu évalué. C'est le degré d'anxiété, le manque d'assurance se traduisant par des petits tremblements de fréquence, d'amplitude, d'hésitations, qui sera retenu. Imaginez quelle sera votre assurance ou votre degré d'anxiété quand vous savez que votre survie sociale et financière dépendra d'un logiciel «d’analyse du risque par la voix» qui mesure votre assurance et votre anxiété ? Flippant, non ? Donc vous ne serez probablement pas à très l'aise, peut-être même tétanisé. Mais le logiciel interprètera cette émotion comme un mensonge de votre part.

Pourtant, aux Etats-Unis, certains tribunaux de circuit et les tribunaux militaires ont adopté eux-mêmes des règles excluant l'utilisation de cet appareil, car les résultats fournis ne sont pas considérés comme fiables...

Deux poids, deux mesures : à quand le détecteur de mensonge sur nos hommes politiques ? A quand le détecteur de mensonge sur les dirigeants d'entreprises qui licencient en commettant des délits d'initiés, ou les présidents d'organisations patronales qui se "font une banque" pour "fluidifier les relations sociales" ?

Stephan M.

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Mis à jour ( Dimanche, 26 Septembre 2010 06:52 )  

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