«Si dans 10 ans on existe encore, ça voudra dire qu'on aura perdu», déclarait Coluche à la naissance de ses "Restos"… en 1985. Il avait bien raison : en 2007, douze ans après l'échéance qu'il avait envisagée, c'est de la lose sur toute la ligne au pays des winners !!! Et si le grand Coluche était toujours en vie, il y a belle lurette qu'il aurait été assez lucide et révolté pour ruer dans les brancards et mettre fin à cette exploitation éhontée de la générosité citoyenne par la République elle-même. Mais Coluche n'est plus, et les Restos du Cœur existent toujours dans un contexte où l'on fait dans le pansement (à motifs, comme pour les enfants) sur une jambe de bois, le spectacle et l'effet pervers, ad nauseam.
«Les politiques ne font pas leur travail, puisque les Restos existent», affirme aujourd'hui le chanteur Bénabar, nouvel "Enfoiré" et sincère participant à ce bel écran de fumée [1]. Le constat est là, 100% navrant : face à une pauvreté et une précarité galopantes depuis plus de vingt ans, le sous-engagement - voire le non engagement - des pouvoirs publics qui en sont finalement complices [2] demeure, malgré les soutiens de façade qu'il est bon d'afficher, quand vient l'hiver, auprès d'une association légendaire qui assume vaillamment une partie de la prise en charge de la pauvreté dans l'un des pays les plus riches du monde. Pour preuve ces 82 millions de repas servis par 51.000 bénévoles à plus de 700.000 personnes l'année dernière, par le biais de 1.900 centres et antennes ainsi que 240 Restos et Points Bébés du Cœur. Avec + 10% de miséreux accueillis au cours des 2 dernières années : quel succès !
«Même si le chômage baisse, ni les allocataires de minima sociaux ni le nombre de personnes en-dessous du seuil de pauvreté ne diminuent», pointent Les Restos. «La banalisation des situations de grande précarité amène certains qui y répugnaient auparavant à pousser les portes de notre association», constatent-ils. Faute d'emplois décents pour toutes et tous (est-ce à ce point utopique ?), comme une fatalité, l'«assistanat» tant décrié s'instaure et la charité poursuit son œuvre... Curieusement, la laïcité et la "modernité" ont remplacé les hospices et leurs bonnes sœurs par des citoyens engagés dont on use à volonté sans que cela ne choque, au contraire.
Car au-delà de l'aide alimentaire, pour permettre aux personnes accueillies de sortir durablement de l'exclusion, Les Restos ont donc développé des "Chantiers d'insertion" qui emploient 1.200 salariés… en contrats aidés. Grâce à ce dispositif, remarque leur président Olivier Berthe, un quart des personnes trouvent un travail définitif. Un quart seulement ? C'est mieux que rien, nous direz-vous ! D'autant que, nous rapporte-t-on, cet accompagnement semble s'orienter vers la qualité plutôt que la quantité. Et pour combattre l'exclusion «à la racine», Les Restos ont aussi mis en place 165 ateliers d'accompagnement scolaire. Autant d'actions louables, en toute bonne foi, mais qui se substituent inexorablement au rôle de l'Etat !!! Un vrai scandale, une privatisation rampante type sous-traitance ANPE, qui ne semble fondamentalement pas affecter la direction des Restos du Cœur puisque cette année, ils se mobilisent encore et notamment… pour la défense des contrats aidés qu'ils utilisent afin de poursuivre leur croisade.
Or, comme nous le répétons ici à longueurs de colonnes, ces emplois subventionnés sont une pure fumisterie :
• Essentiellement précaires (à durée déterminée et à temps partiel), ils sont sous-payés et sans avenir car, avec 75% d'écueil, non seulement ils ne sortent pas leurs "bénéficiaires" de la pauvreté et de l'assistanat mais en plus, ils les "abonnent" par la suite à ce type d'emplois misérables et jetables.
• Ainsi sont truquées les statistiques du chômage et de la création d'emplois car le "sous-emploi" devient "emploi", sans distinction aucune.
• Ils contribuent à dévaloriser le travail en diffusant et entretenant dans l'esprit des employeurs la notion de son "coût", tellement élevé en France (payez-les donc au Smic, l'Etat vache à lait fera le reste…) !
• Ils se substituent à des emplois pérennes supprimés, notamment dans la Fonction publique (éducation nationale, sanitaire & social…).
• Ils coûtent une fortune à l'Etat et aux collectivités locales qui "indemnisent" grassement les employeurs, seuls vrais bénéficiaires de ces dispositifs.
• Avec les allègements et autres exonérations de "charges", ils contribuent au déficit de cotisations - et donc de recette - de toute la protection sociale !
Le RSA de Martin Hirsch en propose une version "améliorée", toujours sur le dos des finances publiques, sans jamais remettre en question la bassesse des rémunérations et la précarité du travail qui sont les causes de tous ces maux.
Il faut en finir avec cette conception misérabiliste de l'emploi et de l'«insertion» : en fait, la gestion de l'exclusion ! La précarisation et la smicardisation, subventionnées par la collectivité et soutenues par des "personnalités", ne sont aucunement une solution durable au chômage et à la pauvreté. Il faut de VRAIS EMPLOIS avec de VRAIS SALAIRES !
Dommage, vraiment dommage que Coluche ne soit plus là : sa bonté ne le rendait ni aveugle ni conciliant. Dommage, vraiment dommage qu'un consensus mou soit aujourd'hui la seule réponse à ce drame d'envergure dans la "Patrie des Droits de l'homme", y compris de la part de personnalités soi-disant "de gauche" !
En France, plus on rechigne à payer ses impôts, plus on aime faire des dons : ceci est révélateur d'un système subtilement perverti [3]. Si les généreux 480.000 donateurs réguliers des Restos du Cœur - sans compter ceux de toutes les autres associations qui remplacent par leur action celle des pouvoirs publics - cessaient un jour de faire des chèques, ils contribueraient à mettre l'Etat et les politiques face à leurs responsabilités (car, après tout, qui se soucie de prendre des pauvres en otage ?). Mais la France n'est vraiment pas un pays de grévistes, et le charity business peut bien continuer !
[1] Les concerts et les CD/DVD des "Enfoirés" connaissent un succès massif depuis des lustres. Mais, paradoxalement, ils sont ovationnés et achetés par une majorité de consommateurs qui, dans leur vie de tous les jours, ont tendance dans leur fort intérieur à mépriser les RMIstes et dénigrer les chômeurs. Allez comprendre...
[2] Le chômage et ses conséquences, rappelons-le, sont depuis trente ans l'instrument idéal pour contenir l'inflation tout en muselant les salariés avec des rémunérations et des conditions de travail nivelées par le bas.
[3] Les ressources de ces associations sont stimulées, justement, par "l’amendement Coluche" qui permet aux donateurs de déduire de leur déclaration d'impôt les sommes qu'ils leur ont offertes. En clair, pour l'Etat : contre exonération fiscale, je m'en lave les mains !
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