Afin de satisfaire aux exigences controversées de Nicolas Sarkozy concernant la mise en place de sanctions à l'encontre des demandeurs d'emploi qui refuseraient «deux offres acceptables», pour une application crédible, il semble urgent que le concept d'acceptabilité soit clairement balisé.
Alors que les négociations entre partenaires sociaux patinent dangereusement, on a appris que, faute de temps, le volet sur l'assurance chômage - où la définition de l’«offre valable d'emploi» devait être discutée - était renvoyé à la prochaine révision de la convention Unedic fin 2008. Mais, consigne présidentielle oblige, la ministre de l'Economie et de l'Emploi souhaite que ce "détail" soit abordé maintenant. Elle a d'ailleurs avancé ses critères : éloignement géographique, durée du contrat proposé, qualification, situation du demandeur d'emploi concerné… notamment, son ancienneté dans le chômage. Et dans l'une des dernières moutures du projet d'accord relatif à la "modernisation du marché du travail" élaborée par le Medef (car il faut rappeler que ces négociations se font sur la base des propositions du patronat, jamais sur celles des syndicats de salariés !), on trouve aussi : «l'ancienneté dans le chômage, le parcours professionnel, l'expérience, la formation, l'ancienne rémunération et le lieu de résidence».
L'ombre du déclassement. On voit que l'ancienneté dans le chômage, aussi connue sous le terme d’«employabilité», plane comme un nuage noir. Plus vous restez sur le carreau, plus on considère que votre capacité à retravailler s'altère, et plus il devient logique que vos prétentions salariales s'amenuisent, voire soient réduites à néant. Sachant qu'aujourd'hui un demandeur d'emploi met 9 mois en moyenne pour retrouver un poste et qu'à partir d'un an il est considéré comme "chômeur de longue durée", ce prétexte invoqué devient une aubaine pour qu'on lui oppose le fait qu'à ce stade, il ne doive plus faire la fine bouche !
Formation à la dérive. Pour rester «employable», il faut rester formé. Or, sur ce point, on note un désengagement croisant des entreprises vis-à-vis de leurs salariés, surtout s'ils dépassent la quarantaine. On note aussi qu'à une époque, quand l'emploi n'était pas à ce point une denrée rare, les entreprises prenaient le temps de former les nouveaux venus dont on n'exigeait pas un profil aussi pointu qu’actuellement... Quant au service public de l'emploi, le désengagement est total puisque seulement 7% des chômeurs accèdent à un module par son biais ! L'inemployabilité des chômeurs est donc entretenue, et elle s'enlise dans le temps puisque les privés d'emploi qui en bénéficient sont les ayant-droit les mieux lotis, tandis qu'on abandonne ceux qui en ont le plus besoin.
Aucun critère sérieux ne définit l'employabilité. En principe, le travail, c'est comme le vélo : ça ne s'oublie pas. N'importe quel salarié de retour de vacances doit aussi reprendre ses marques. Même si on quitte une entreprise pour une autre (ou un service pour un autre en cas de promotion interne), il y a un toujours un temps d'adaptation où il faut ingurgiter de nouvelles méthodes de travail, de nouvelles informations, s'habituer à de nouvelles têtes et se plier à un nouveau rythme. Comment peut-on alors supposer qu'un individu qui est resté sans emploi pendant un an ou deux, même plus, sera incapable de reprendre correctement une activité ? Quelles preuves scientifiques y a-t-il à cela ? En quoi le chômage émousserait-il à ce point les capacités intellectuelles ou manuelles d'une personne, alors qu'il est déjà une épreuve difficile qui demande de réelles capacités d'adaptation ?
Une "péremption" injustifiée. Des millions de salariés sont plus ou moins compétents, intelligents, disciplinés ou motivés : mais leur grande chance, c'est d'être déjà en poste ! Pourquoi faudrait-il qu'un chômeur de longue durée soit affublé d'un inévitable manque de fraîcheur qui justifie qu'on ne lui offre que le salaire minimum, même s'il a des années d'expérience professionnelle derrière lui ? Déjà que, pour ceux qui viennent de perdre leur emploi et débarquent tout juste sur le marché du travail (cet objet d'une «modernisation» à 200 à l'heure lancée par M. Sarkozy), il faudrait être le mouton à cinq pattes pour un CDD au Smic... N'importe quel chercheur d'emploi remarque dès ses premières démarches à quel point tous les salaires ont baissé, et à quel point les CDI sont rares. Il sait déjà qu'il devra accepter une rémunération inférieure à ce dont il aurait besoin pour honorer ses frais fixes qui, eux, n'ont pas diminué. Il sent que la déqualification le guette. Pour le chômeur de longue durée qu'on a jugé "trop vieux", trop "atypique" et que les recruteurs ont longuement ignoré, c'est la double peine : à 40 ans ou plus, il devra se contenter d'un niveau de rémunération correspondant… à ses débuts. Quelle humiliation !
L’«employabilité» est bien un critère restrictif de plus. Inventé par les employeurs et docilement repris par tous les acteurs du marché, de l'ANPE aux "partenaires sociaux", il contribue à peaufiner la baisse généralisée des salaires que le chômage de masse a instaurée en quelques années. Donc, sur ce point, il est à craindre une fois encore qu'en bons petits soldats sous pression (car, il faut le dire : les conditions imposées par le gouvernement autour de ces négociations cruciales pour le monde du travail sont scandaleuses), les représentants syndicaux (qui sont, il faut le dire aussi, à l'abri du chômage et peu conscients de sa réalité) ne jouent le jeu du patronat.
SH
Articles les plus récents :
- 14/01/2008 16:47 - Les sanctions contre les chômeurs visent aussi les plus démunis
- 13/01/2008 17:25 - Chômage : la dernière imposture de Laurence Parisot
- 12/01/2008 14:30 - Le plus grand plan social en France… totalement méconnu
- 12/01/2008 01:20 - Arrêts maladie : halte aux idées reçues !
- 10/01/2008 16:35 - Pourquoi allonger la période d'essai ?
Articles les plus anciens :
- 09/01/2008 17:36 - Trois ans de Smic sur les doigts
- 09/01/2008 16:10 - L'Etat, patron voyou numéro un !
- 09/01/2008 03:30 - Une reconversion réussie
- 08/01/2008 16:54 - La remise à plat de l'assurance chômage est renvoyée à fin 2008
- 08/01/2008 13:55 - Nouvelles sanctions contre les chômeurs : l'envers du projet
Commentaires
En contraignant les chômeurs à prendre n'importe quel emploi après avoir décidé que n'importe quel offre d'emploi , surtout des emplois indécents, pour un chômeur qui est inscrit depuis trop longtemps, est valable.
Ce gouvernement fait la guerre aux chômeurs, et non pas au chômage, sur tous les fronts
Répondre | Répondre avec citation |
1) Fusion ANPE/ASSEDIC pour concentrer les pouvoirs de sanctions et de suspension des allocations de chômage.
(C'est comme si on donnait les pouvoirs de justice à la police)
2) Imposer une définition de ce qu'est une "offre acceptable" (rien que l'expression traduit bien la préoccupation du gouvernement de faire en sorte qu'un chomeur ne puisse refuser aucune offre, aussi indécente soit elle, tant par le salaire, les conditions de travail et le nombre d'heures (dramatiquement bas bien évidemment) )
Au final, c'est la recréation d'un STO et aussi très probablement la violation de la convention du 27 juin 1957 sur l'abolition du travail forcé:
«Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention s’engage à supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n’y recourir sous aucune forme:
* a) En tant que mesure de coercition ou d’éducation politique, ou en tant que sanction à l’égard de personnes qui expriment certaines opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi;
* b) En tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d'oeuvre à des fins de développement économique;
* c) En tant que mesure de discipline de travail;
* d) En tant que punition pour avoir participé à des grèves;
* e) En tant que mesure de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse.»
Répondre | Répondre avec citation |
Il y a un truc que je ne vois exprimé nulle part. Que le critère d'employabilité soit un critère servant à faire baisser la valeur de l'employé futur, un fait mais quand on nous parle d'offre acceptable/valable, ici il est très clairement dit que la carrière profesionnelle de la personne, sa formation donc ses diplômes, son expérience n'entrent plus dans la prise en compte de son parcours.
Certes, on s'assurera, avant, qu'il n'y aura pas ou peu d'emplois correspondant à ses compétences et qu'il faudra qu'il réfléchisse sur la problématique.
De ce point de vue, le medef est joyeux car, effectivement, il pourra combler des emplois non pourvus et ce sera bien le marché qui décidera de la carrière professionnelle de la personne en tant que bouche trou.
Par conséquent puisque pour une certaine catégorie de chômeurs sa formation, son expérience n'entrent plus en compte étant donné que le marché décidera, à sa place, du type de travail qu'il devra faire dans le but de combler un déficit en terme de poste, autant aller jusqu'au bout de la réfléxion.
Aller jusqu'au terme de l'acceptabilité de l'emploi suivant les décisions du marché c'est poser cette question : pourquoi faire croire à de futurs chômeurs qu'ils doivent se former, qu'ils peuvent prétendre à une carrière professionnelle choisie en fonction de leurs compétences et de leurs diplômes scolaires alors, qu'en fait cela ne sert à rien puisqu'ils ne décident plus mais c'est le marché de l'emploi qui décide à leur place ?
Répondre | Répondre avec citation |
Des concertations entre partenaires sociaux doivent avoir lieu à Bercy dès le premier trimestre 2008 dans le cadre de la «remise à plat» de l'assurance-chômage. Répondre | Répondre avec citation |