Depuis trois ans, la vraie vie de millions de Français est niée par une profusion d'écrans de fumée, divers et variés. Une fois de plus, avec la complicité des médias, le gouvernement fait en sorte de jeter le voile sur l'ampleur du chômage grâce à sa polémique sur la burqa. Et quand il s'agit de parler des Français en grande difficulté, on s'arrange pour leur jeter l'opprobre.
L'étude «inédite» et soi-disant «confidentielle» de la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales, branche "famille" de la Sécu) qui occupe les médias aujourd'hui tombe à pic pour condamner ces pauvres qui, non contents de ne pas pouvoir travailler plus pour gagner plus, fraudent aux allocs. De la même façon qu'on prétend que le chômage recule, des titres à l'emporte-pièce avancent que ces fraudes sont en hausse alors qu'il n'en est rien.
2,15% de fraudeurs
D'abord, le rapport de la CNAF précise que, jusqu'ici, fautes d'indicateurs et de moyens suffisants, la fraude était sous-évaluée. Ce qui ne signifie pas qu'elle a augmenté.
Grâce à Eric Woerth, les dispositifs de contrôle ont été puissamment renforcés : «Depuis deux ans, nous sommes en droit de demander certains documents directement aux assurés, mais aussi à certains organismes : relevés de comptes bancaires, factures EDF, opérateurs téléphoniques, etc. Cela nous permet de connaître le train de vie réel d’un allocataire ou encore de nous assurer du caractère avéré, ou fictif, d’un célibat déclaré. Nous avons également mis sur pied des comités de lutte départementaux contre la fraude, qui permettent aux caisses d’allocations familiales de recouper rapidement leurs données avec le fisc, Pôle Emploi, la gendarmerie, etc. Enfin, nous attendons l’accord de la CNIL pour pouvoir utiliser un fichier national interne à notre réseau, qui répertoriera tous les fraudeurs», explique Daniel Buchet, le "Monsieur Fraude" de la CNAF. Sans oublier les 300.000 contrôles à domicile effectués, principalement chez les RSAstes. C'est une affaire qui marche !
Ensuite, relativisons. La CAF, c'est 65 milliards d’€ de prestations annuelles versées à quelque 11 millions d'allocataires, dont le taux de «bon droit» (prestations versées à bon escient) atteint 96,16%. Ce qui signifie que la quasi totalité des bénéficiaires ne gruge pas. Mais ce qui fait sensation, ce sont les 200.000 tricheurs ainsi quantifiés.
Selon cette étude, en 2009, l'impact financier théorique des fraudes serait compris entre 0,91% et 1,36% des prestations, soit une fourchette de 540 à 808 millions d'€.
Sortons notre calculette. En fourchette basse (540 millions d’€ pour 200.000 voleurs), on trouve un montant moyen de 2.700 € par fraudeur. En fourchette haute (800 millions), on atteint 4.000 €. Ça, c'est du grand banditisme ! Quand on pense que les 200 «cadres expatriés, dirigeants ayant réalisé des transactions avec des partenaires étrangers», «évadés» français du Liechtenstein épinglés en 2008 ont à eux seuls détourné 1 milliard d’€, on imagine ce dont sont capables d'autres délinquants en col blanc qui ne se sont toujours pas fait gauler...
Quant aux montants fraudés, «il faut relativiser, ce n'est pas 800 millions de manque à gagner puisque nous récupérons quasiment 90%» des sommes indument versées aux familles, a expliqué à l'AFP Jean-Louis Deroussen, président de la CNAF.
Fraude sociale, fraude fiscale : deux poids, deux mesures
Rappelons qu'en France, la lutte contre la fraude fiscale (évaluée en moyenne à 45 milliards d’€ de manque à gagner annuel pour les caisses de l'Etat) et les délits financiers ne fait pas l'objet du même volontarisme que la lutte contre la fraude sociale, nettement moins coûteuse (un manque à gagner de 5 à 8 milliards, selon Brice Hortefeux) => Lire ici les explications du Syndicat national unifié des impôts (SNUI).
Si, grâce à la crise, tout le monde y passe dans les médias (traders, spéculateurs, évadés fiscaux, grands patrons…), reconnaissons que les montants en jeu ne sont absolument pas les mêmes et que s'il faut lutter contre toutes les fraudes, de la petite à la grosse, autant le faire équitablement ! Mais en France, alors que la délinquance en col blanc est plus lucrative et surtout plus néfaste pour l'économie, on préfère mettre le paquet sur ce qui rapporte le moins. Cette lutte disproportionnée contre le chômeur, la mère célibataire ou le RMIste, cette stigmatisation des faibles ne visent qu'à enfumer les classes moyennes.
Et les erreurs de la CAF ?
Le rapport n'en dit rien. Pourtant, la fraude est loin d'expliquer tous les "indus" qui se multiplient. La complexification de la règlementation, jumelée aux effets de la crise qui charrie toujours plus de demandes, est source de graves erreurs que la CAF refuse de reconnaître et dont les conséquences sur les allocataires peuvent être dramatiques, financièrement et psychiquement.
A l'instar de Pôle Emploi qui n'arrive plus à faire face et fait de l'abattage en se débarrassant des chômeurs, au lieu d'aider ceux qui en ont besoin, la CAF est devenue créatrice de détresse sociale. Mais, chuuuuut : ça, faut pas le dire.
SH
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