Dans la vraie vie, sur le marché du travail, les "seniors" sont bons pour la casse dès l'âge de 40 ans parce que, hormis le fait qu'ils sont moins malléables, «ils coûtent trop cher» aux entreprises. Entre précarité et chômage de longue durée, ceux qui sont tombés du train peuvent courir longtemps : à eux, malgré leur expérience et leur parcours, on réserve des emplois «zéro charges» (à moins de 1,6 Smic), des contrats aidés à rallonge (de 24 mois à 5 ans), une AER sursitaire (environ 980 € par mois) ou des minima sociaux (460 € voire moins). Durant les dix ou vingt années qu'il leur reste à tirer, ces actifs, rejetés et discriminés, vont subir une longue traversée du désert et n'auront aucune chance de cotiser suffisamment pour bénéficier d'une retraite digne de ce nom. Afin de ne pas sombrer dans la pauvreté absolue, ils seront donc contraints de continuer à trimer le plus longtemps possible.
Xavier Bertrand, ex ministre du Travail, a tout prévu : à partir de 60 ou 65 ans selon les cas, ils redeviennent intéressants grâce au cumul emploi-retraite "facilité" depuis le 1er janvier 2009 : les employeurs peuvent ainsi s'offrir un salarié expérimenté pour le prix d'un jeune, la rémunération qu'on leur verse ne devant pas excéder la différence entre le montant des pensions (retraite de base + complémentaire) et celui du dernier revenu d'activité; sans compter les allègements de «charges» (zéro cotisations vieillesse à acquitter, CSG et CRDS réduites). Une aubaine supplémentaire.
Voilà où nous en sommes pour des centaines de milliers de quadras et de quinquas qu'on a mis au rebut.
Mais dans les hautes sphères du pouvoir français, il en va tout autrement.
Faites ce que je dis et pas ce que je fais
D'abord, de l'Assemblée nationale au Sénat en passant par les ministères, des "seniors", il n'y a que ça ! Rares sont ceux qui, en exercice, affichent moins de 40 ans. Contrairement aux citoyens ordinaires ayant atteint cette date de péremption aux yeux du marché du travail, ceux-là sont considérés comme des "jeunes loups" pleins d'avenir… tandis qu'un âge avancé — voire très avancé — est gage de respectabilité. Se pose, encore et toujours, le sempiternel problème de la représentativité de nos élus : en plus de l'âge, il y a aussi le sexe et les origines sociales ou ethniques. Depuis des lustres, nous sommes dirigés par une oligarchie constituée d'hommes blancs de plus de 55 ans issus des classes aisées, et dont les carrières sont assurées !
Ensuite, si partout en France l'emploi se dégrade, nos gouvernants ne connaissent pas la crise : pour «un meilleur travail au service des Français», on ne lésine pas sur les recrutements et on offre de très bons salaires. Leur vision de l'emploi digne (rémunération, primes, défraiement…), de la protection sociale (précarité et retraite…) et des avantages en nature (logement, moyens de transport…) liés à leurs fonctions n'a rien à voir avec celle qui s'applique au citoyen ordinaire : les polémiques qui surgissent en ce moment le prouvent bien. Là où, partout ailleurs, la sécurisation des parcours professionnels est quasi inexistante, la récompense de l'effort et de la loyauté un miroir aux alouettes, là où les rémunérations des nouveaux emplois sont proches du Smic et les avantages inexistants, pour cette caste il n'en est rien.
Enfin, professionnellement, on ne chipote pas sur les parcours et on vous donne la chance de vous reconvertir ou de tenter une nouvelle expérience. Ainsi, on peut passer allègrement du Budget au Travail, ou de l'Industrie et du Tourisme à l'Education nationale… pas de problème ! On tolère aussi les profils "atypiques" : un entraîneur de rugby peut devenir secrétaire d'Etat aux Sports contre un traitement mensuel brut de 15.000 €. Tout le contraire de la vraie vie où pour décrocher un job, même miteux, il vaut mieux avoir un profil en totale adéquation avec le poste proposé : autodidactes et dilettantes s'abstenir.
Ces "vieux" qui nous dirigent
Alors que, sur le marché du travail, la plupart de ceux qui cumulent plusieurs emplois le font par nécessité économique, jonglant avec la précarité et des paies de misère, au gouvernement on vous autorise à occuper plusieurs postes en même temps : à la foi maires, conseillers généraux, ministres, députés ou sénateurs, ces surhommes d'un autre genre assument leurs prestigieuses missions (en or) aux lourdes responsabilités. Exemples d'abnégation, de volontarisme et de compétence pour la Nation, ces cumulards de la République — qu'ils soient retraités ou non — sont donc indemnisés en conséquence et, pour la plupart, se situent dans la tranche des 1% les mieux payés du pays.
Mais grâce à Christine Boutin, alors que les Français souffrent ou se serrent la ceinture, on comprend au moins deux choses :
• Outre le "régime spécial" des parlementaires et des élus qui revient sur la table (à côté, l'Unedic et la CNAV, c'est de la petite bière…), le "cumul emploi-retraite" qui leur est réservé semble tout aussi somptuaire. Après ça, qui ose dire encore que les chômeurs sont des profiteurs et les retraités des privilégiés ?
• Mme Boutin — qui, à 66 ans, ne fait pas son âge — nous rappelle que cette caste de cumulards, financièrement stimulés et physiquement épargnés, peut se permettre de continuer à exercer longtemps tandis qu'au même âge, la plupart des ouvriers sont cassés et se contentent d'une pension avoisinant le Smic. Pourtant, les retraités & nantis qui nous dirigent s'apprêtent demander à leurs concitoyens de travailler aussi longtemps qu'eux... Insconscience ? Cynisme ? Les deux, mon général.
SH
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