François Fillon, qui clôturait jeudi à Saint-Malo le 65e congrès de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), s'est engagé à alléger les "charges patronales" sur les emplois permanents dans l'agriculture, une mesure attendue par la profession pour faire face à sa perte de compétitivité...
Pour bien clarifier les choses on ouvre, une fois de plus, une parenthèse :
• D'abord le mot "charges", sans cesse et partout invoqué, est une imposture sémantique visant à jeter l'opprobre sur les cotisations sociales que le Medef veut réduire au nom de la "compétitivité". Imposture car, pour l'entreprise, les véritables "charges patronales" sont les dividendes distribués aux actionnaires.
• Ensuite, on le répète, le postulat selon lequel le coût du travail dégraderait la compétitivité et contribuerait à aggraver nos déficits publics et sociaux est un mensonge, son but inavoué — et suicidaire — étant de démanteler la protection sociale.
On ferme la parenthèse, et on revient aux agriculteurs.
Pour flatter cet électorat en vue des présidentielles, François Fillon a précisé que des "mesures concrètes" en faveur d'un allègement du coût du travail permanent seraient soumises au Parlement "dès cet automne dans le cadre de l'examen de la loi de financement de la Sécurité sociale" (qui a bon dos) pour "une application au début de 2012" (ça tombe bien !).
Il faut préciser que le gouvernement a déjà supprimé, depuis le 1er janvier 2010, les "charges patronales" (mais pas salariales) sur les emplois occasionnels/saisonniers dans ce secteur — vendanges, ramassage de fruits et légumes… —, un "coup de pouce" de l'ordre de 500 millions d'euros par an, et que cette nouvelle mesure sur l'emploi permanent coûterait environ 1 milliard de plus par an à l'Etat. Quand on compare avec le gain obtenu par les suppressions de postes dans la Fonction publique, on ne sait pas s'il faut rire ou pleurer. On songe aussi à la baisse de la TVA dans la restauration, mesure ô combien corporatiste qui n'a toujours pas fait ses preuves et dont le coût pour le contribuable demeure exhorbitant. Mais revenons à nos moutons...
Alors oui, certains invoqueront que le coût du travail agricole est plus élevé en France que chez nos principaux concurrents comme l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne : Payons ces salariés avec un lance-pierre et offrons-leur une paillasse, comme à Almería, et tout ira mieux ! Quand on sait que la plupart des Smicards ne peuvent même pas s'acheter les cinq fruits et légumes qu'il faudrait, chaque jour, consommer pour rester en bonne santé, et qu'ils peuvent encore moins s'offrir un repas au restaurant, il y a de quoi se taper sur les cuisses. Pardon, mais cela s'appelle scier la branche.
Par contre, François Fillon n'a pas été en mesure de satisfaire l'autre revendication du premier syndicat agricole de France : l'indexation des prix alimentaires sur ceux des matières premières dans un contexte de flambée des cours. Selon lui, leur volatilité va "perdurer même si nous faisons tout pour en limiter l'amplitude" (???). Il s'en est tiré avec la vague promesse d’"accroître la transparence et limiter la spéculation sur les marchés", dont chacun sait qu'elle n'engagera que ceux qui y croient...
Que dire, sinon que la flambée des prix des matières premières agricoles est largement due à la spéculation ? Mais les marchés sont des dieux intouchables : le G20 en sait quelque chose, n'est-ce pas. De plus, si les agriculteurs changeaient leur mode de production en arrêtant d'acheter des produits industriels à l'autre bout du monde pour faire bouffer autre chose que de l'herbe à leurs vaches, et autre chose que du grain aux volailles et aux cochons, ils ne seraient pas si tributaires des tripatouillages des traders.
Enfin, aider les agriculteurs en réduisant leurs cotisations sociales (leurs "charges patronales sur l'emploi"), quelle imposture ! Quels sont les agriculteurs ruinés qui se suicident ? Les petits qui, de toutes façons, n'ont pas d'employés. Et quels sont les agriculteurs qui emploient un porcher ou un agent de traite, ou un conducteur de machines pour labourer et récolter ? Les gros, ceux qui ont trop d'hectares pour y arriver seuls, trop de volailles, trop de cochons. Ceux-là, ils ne sont pas malheureux : chaque fois que l'année a été bonne, ils placent leurs sous dans le CAC 40 et dans l'immobilier. Et quand l'année est "mauvaise" — traduisez "moins bonne que d'habitude" —, ils pleurent dans le giron du Conseil Général et du Ministère de l'Agriculture, qui ne connaissent rien à la campagne. Et ça marche...
Maintenant, ils vont pleurer dans le giron de l'Etat vache à lait. Ça ne mange pas de pain, surtout quand il s'agit de redorer le blason d'un "président du pouvoir d'achat" que tout le monde déteste. La "valeur travail", c'était bon en 2007. La dévalorisation du travail fera l'affaire pour 2012.
SH
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