
Dans son «calendrier social», le nouveau gouvernement prévoit en juillet la tenue d'une grande «conférence nationale pour la croissance et l'emploi» avec les partenaires sociaux (mais, visiblement, pas les associations de chômeurs…) où il sera notamment question du Smic et d'un éventuel rattrapage après cinq années de vaches maigres.
Pour l'instant, le ministre du Travail Michel Sapin a d'ores et déjà assuré qu'il y aura bien un "coup de pouce" au 1er juillet, mais pas une forte hausse qui pourrait «pénaliser les petites entreprises» [1]. Reste à en déterminer le montant, d'autant que les syndicats n'ont pas accordé leurs violons. Mardi, le premier ministre Jean-Marc Ayrault rencontrera les organisations syndicales.
La CGT souhaite un Smic à 1.700 euros bruts par mois contre 1.398 euros actuellement, une revendication jugée «irréaliste». Plus modérée en apparence, FO table sur 1.340 euros nets par mois contre environ 1.092 euros aujourd'hui, ce qui, en brut, revient au même. Quant à la CFDT, syndicat pro-patronal, elle débite le jargon habituel : son leader François Chérèque estime qu'une hausse du Smic «pénaliserait les petites entreprises dans le contexte économique actuel» et propose «un système d'aide aux entreprises qui augmentent progressivement les salaires» (il ne faut surtout pas brusquer les patrons mais les "inciter"; or, à l'image des chartes de bonne conduite, on sait à quel point les incitations sont inopérantes)...
François Chérèque n'est pas le seul à distiller la pensée unique. Sauf que ça ne marche pas à tous les coups. Admirez ici le flagrant délit de contradiction de l'éditorialiste Emmanuel Lechypre sur BFM-TV :
L'épouvantail du coût du travail qui nuit à l'emploi — alors que ce qui nuit à l'emploi, c'est avant tout le manque d'activité ! — est bien évidemment agité : «Il faut tenir compte de la situation des entreprises. On a quand même 80% des PME qui ne font pas de bénéfice aujourd'hui et les PME, c'est quand même deux-tiers de l'emploi, donc attention à ne pas trop déséquilibrer quand même le marché du travail», assène-t-il, concluant que «la règle qu'il faut avoir en tête, c'est que 5% d'augmentation du Smic, ça coûte au minimum 20.000 emplois»...
Emmanuel Lechypre élude le fait que, grâce aux allègement Fillon sur les bas salaires (de 1 à 1,6 Smic) qui coûtent chaque année 21 milliards d'euros à l'Etat, les entreprises ne versent aucune cotisation sociale pour les Smicards. Donc, en l'espèce, ceux qui prétendent qu'une hausse du Smic augmenterait le coût du travail sont des menteurs. Selon un rapport de l'Inspection générale des finances, un "coup de pouce" d'environ 1% serait susceptible de coûter 1,1 milliard d'euros en plus à l'Etat. Si le nouveau gouvernement décidait d'une réforme fiscale d'ampleur — mesure qui manque pour l'instant alors qu'elle est à la base de tout —, il trouverait de quoi financer cette hausse, et bien d'autres choses encore !
Mais que voulez-vous, il faut bien que les gens — et les jeunes — s'auto-convainquent qu'augmenter leurs salaires, donc augmenter le sacro-saint coût du travail (qui n'est donc pas une «valeur»), les mènerait tout droit au chômage ! Surtout, pendant que certains continuent à s'en mettre plein les poches, eux doivent continuer à croire que leurs sacrifices quotidiens sont indispensables à la bonne marche de l'économie (alors qu'au contraire, ce sont leurs privations incessantes qui la grippent).
En effet, la vulgate d'Emmanuel Lechypre ne tient pas. Car aussitôt, par une transition des plus loufoques, il nous cite en exemple le cas de l'Allemagne où de grandes grèves ont récemment permis d'arracher au patronat des augmentations de salaires plus ou moins conséquentes (de 6,5% chez Deutsche Telekom à 4,3% dans la métallurgie). Le chroniqueur aborde le cas de l'entreprise Bosch qui, «malgré cette augmentation du coût du travail, va embaucher 2.000 personnes dans ses usines»... Trop forts, ces Allemands.
Bah oui ! Philippe Askénazy, spécialiste de l'économie du travail et signataire du «Manifeste des économistes atterrés», nous explique dans cette vidéo pourquoi augmenter le salaire minimum ne menace pas l'emploi et la compétitivité en France :
Au contraire, redonner du "pouvoir d'achat" aux plus petits salaires, qui sont majoritairement des emplois "non délocalisables", permet non seulement d'améliorer leur ordinaire mais de relancer l'activité. Hélas, on le voit, malgré un nouveau gouvernement "socialiste", le dogme austéritaire persiste. On n'aura rien appris de l'Histoire et rien compris des erreurs d'il y a quatre-vingts ans, comme le déplore Frédéric Lordon, autre «économiste atterré».
SH
[1] En réalité, seuls 10% des effectifs des PME sont rémunérés au Smic. Cette proportion est de 24% dans les entreprises de moins de 10 salariés.
Comment vit-on avec le Smic ?
Articles les plus récents :
- 02/06/2012 17:27 - A quand une grande réforme fiscale ?
- 01/06/2012 04:56 - Résister ou capituler : toujours le même dilemme
- 31/05/2012 12:05 - Chômage d'avril : l'accalmie avant la tempête
- 29/05/2012 14:02 - Du déficit persistant de travailleurs qualifiés
- 29/05/2012 11:46 - Le patriotisme économique à l'œuvre
Articles les plus anciens :
- 23/05/2012 13:19 - Pôle Emploi : compétition et performance ?
- 18/05/2012 22:53 - Harcèlements, coups bas, licenciements expéditifs : la nouvelle valeur travail
- 10/05/2012 13:08 - Mais à quoi sert l'Enquête BMO ?
- 07/05/2012 12:48 - Législatives en Grèce : rejet massif de l'austérité, l'Europe et les marchés tremblent
- 27/04/2012 02:17 - Chômage de mars : les derniers mauvais chiffres du quinquennat
Commentaires
Si on prend le secteur de la restauration, les patrons ont trouvé mieux : embaucher avec un contrat de 35 h 00 hebdo, faire travailler 50 h 00 hebdo et payer 35 h 00 hebdo sans récup.
Pour moi le combat n'est pas au niveau du smic. Répondre | Répondre avec citation |
La valorisation du travail passe aussi par une revalorisation du salaire minimum. Quand le Smic augmente, par ricochet, les autres salaires suivent. Répondre | Répondre avec citation |
Bien sûr mais est-ce que les gens sont prêts à se battre pour que le travail, en général, soit mieux payé?
Pour le moment, c'est l'apathie des élections et Hollandréou contribue à cette apathie mais quand les financiers vont lui demander d'arrêter de finasser, il va obtempérer et on va comprendre ce que vivent les grecs en ce moment et l'acronyme SMIC va disparaitre du paysage social. Répondre | Répondre avec citation |
Moi ce qui me révolte, ce sont des gens comme vous qui pensent que des diplomes se payent, mais pas la pénibilité de certains métiers.
vous avez raison : le problème c'est bien la valorisation du travail… et de n'importe quel travail, madame. Répondre | Répondre avec citation |
www.actuchomage.org/2010061711371/La-revue-de-presse/les-boulots-les-plus-utiles-sont-les-moins-payes.html Répondre | Répondre avec citation |
Je pense que l'échelle des salaires a tendance à se tasser. Lorsqu'il y a augmentation du smic, il n'y a pas automatiquement augmentation des salaires au-dessus. Répondre | Répondre avec citation |
Le problème n°1, c'est donc le chômage de masse qui, à mon avis, est volontairement instauré. C'est à cause de lui que l'échelle des salaires se tasse et le droit du travail se délite. Car le chômage n'est pas seulement une aubaine en terme de dégradation salariale : il fout la trouille aux salariés qui hésitent à se battre pour défendre leurs droits et leurs acquis. Le chômage de masse et la précarisation de l'emploi sont l'arme redoutable des capitalistes.
Mais, faute de pouvoir les éradiquer, s'intéresser à ce salaire minimum qu'un maximum d'employeurs n'hésitent plus à proposer aux chômeurs, y compris expérimentés, n'est pas inutile. D'abord pour des raisons morales (le Smic ne permet pas de vivre), puis pour des raisons économiques (en redonnant du pouvoir d'achat à ces travailleurs, il relance la demande intérieure, donc l'activité). Et quand le Smic augmente, les grilles des salaires sont en général, dans les deux ans qui suivent, révisées en fonction de cette augmentation.
Enfin, faute de pouvoir éradiquer le chômage de masse qui est à l'origine de tous ces déséquilibres économiques et sociaux, il n'est pas non plus inutile de réfléchir à un Revenu Universel… Répondre | Répondre avec citation |
Superuser : je crois aussi que les entreprises profitent de ce phénomène pour diminuer les salaires à l'embauche. Je comprends qu'on puisse verser un salaire plus conséquent lorsqu'une entreprise est confrontée à peu de demande. Par contre, je trouve injustifié qu'un salaire baisse alors qu'il y a plus de demandes. Le travail n'est pas à la baisse lui et la qualification reste identique. C'est déloyal! Répondre | Répondre avec citation |
Selon l'économiste et sociologue Bernard Friot, depuis les années 80, le salaire d'embauche a diminué de moitié. Le système capitaliste visant à diminuer les salaires pour augmenter les profits, il s'est donc mis, avec la complicité des politiques, à agiter l'épouvantail du chômage des jeunes pour inventer des formes d'emplois dégradés qui leur sont destinés (emplois aidés, stages, CPE, contrats pro, etc), ce qui a permis, en trente ans, de casser la progression du salaire d'embauche et entraîner la chute du salaire de tous :
www.attac93sud.fr/spip.php?article90 Répondre | Répondre avec citation |
Pour l'embauche d'un bac +3 l'employeur cotise à hauteur de 3 ans de minima social.
Histoire de payer le futur bac +3 qui rame pendant ses études. Répondre | Répondre avec citation |
Faut pas rêver …
Bac + 3, signifie au mieux que tu sais t’adapter à l’évolution du marché du travail et que tu as acquis une certaine autonomie pour te former et à fortiori chercher du taf.
Parce qu'en terme de revendication de salaire, un bac + 2 ou 3 ça ne vaut plus rien ou presque : là aussi on compte trop d'offre et pas assez de demande. Quant au bac, il est pratiquement devenu la norme pour espérer trouver du travail aujourd'hui. Même en contrat aidé, on le voit de plus en plus exigé !
Bref, … les gugusses sus cités plus haut, n'ont franchement pas grand chose à envier en terme de puissance comique, à la gauche qui prétend " remettre l’éducation au cœur de l’action publique ". Car en bons gauchistes qu'ils sont, obsédés par la " conscientisatio n des masses ", ils ne voient pas que c'est aussi l'inflation des diplômes qui fait baisser les salaires !! Répondre | Répondre avec citation |
Admettons que cette "inflation de diplômes", comme vous dites (qu'il y ait trop de gens éduqués, ça me dépasse…), y soit pour quelque chose. On aurait alors éventuellement assisté à un tassement des salaires, mais pas à une baisse aussi vertigineuse !
De plus, la France n'a rien fait de ce vivier de "têtes bien faites". Elle a certes augmenté sa productivité (le progrès technologique a d'ailleurs été source de destructions d'emplois), mais elle a abandonné toute stratégie d'avenir, sacrifiant son industrie pour se tourner vers "les services" et reculer dans sa position internationale.
Sachez que, depuis les années 80, nous avons basculé dans un capitalisme antisalarial qui s'en fout plein les poches et n'investit quasiment plus — en France, avec 2% du PIB, les dépenses de R&D sont trop faibles et loin de l'objectif fixé à 3% par le sommet européen de Barcelone, loin des taux allemand (2,82%) et américain (2,8%) :
www.actuchomage.org/200905084609/Mobilisations-luttes-et-solidarites/le-capitalisme-antisalarial.html
Le chômage et son corollaire, la précarisation de l'emploi, est voulu et organisé. Car le plein emploi est l'ennemi des profits :
www.actuchomage.org/Les-dossiers/la-lutte-contre-le-chomage-une-escroquerie-intellectuelle.html
Ce capitalisme antisalarial, mu par les théories ultralibérales de Milton Friedman adoptées par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ont contaminé toute l'économie mondiale. Y compris en France malgré un gouvernement "de gauche" :
www.actuchomage.org/2011112818082/Mobilisations-luttes-et-solidarites/un-zoom-indispensable-sur-le-grand-tournant-des-annees-80.html
Ce capitalisme sauvage s'est arrangé pour prospérer sans le travail.
Et là où il y en a, il s'arrange pour le faire exécuter dans des pays où il ne coûte rien.
Ce n'est pas à une "inflation de diplômes" que nous assistons, mais à un immense gâchis.
Sinon, il y aurait une autre explication : le surnuméraire. Nous sommes devenus trop nombreux, il y a trop de diplômés, trop de non diplômés, trop de chômeurs, trop de vieux, etc… En admettant que nous sommes arrivés à un stade où il n'y a plus assez de place pour tout le monde, faut-il euthanasier ceux qui sont en trop ? Répondre | Répondre avec citation |
Vouloir que les jeunes aient une " tête bien faite " pour les envoyer à l'usine, ou comment conscientiser une vache avant l’abattoir !
A se demander qui de nous 2 est la plus sadique ?
Je note aussi que vous avez une vision bien conservatrice de l'éducation qui à vous entendre, ne devrait passer que par l'école. Répondre | Répondre avec citation |
L'industrie, ce n'est pas que le travail à la chaîne en usine, et vous le savez bien.
Et non, l'éducation ne passe pas que par l'école. Quand j'utilise l'adjectif "éduqués", vous savez très bien ce que je veux dire.
Vous venez juste ici faire le troll, comme d'habitude.
Passez votre chemin. Répondre | Répondre avec citation |