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A Bruxelles, on ne mollit pas. Les technocrates de la Commission européenne distribuent les mauvais points, serinant leurs préconisations à chacun. Pour la France, ils conseillent de revoir notre CDI, jugé trop protecteur, donc nuisible «au marché du travail et à la qualité du capital humain»; ils s'affichent en faveur d'une baisse des «charges» salariales pesant sur les entreprises, nouvelle étape indispensable au dépeçage de notre protection sociale; ils proposent de créer des Smic à géométrie variable suivant les branches d'activité, étape indispensable pour éclater le salaire minimum et accentuer la concurrence de tous les travailleurs entre eux… on en passe et des meilleures. Enfin, pour «résorber la dette» (dont une bonne part est illégitime), la Commission appelle à des réformes «structurelles», «sous peine de sanctions»...
A Paris, on ne mollit pas non plus. Médiacrates et éditocrates s'empressent de dénigrer la revalorisation du Smic : l'idée, c'est que les intéressés (et les salariés en général) intégrent le mensonge du caractère, jugé néfaste, d'une telle mesure pour l'économie. On est toujours dans la même logique où les victimes les plus innocentes doivent se sacrifier pour redresser le pays — bien que ces sacrifices soient contreproductifs — tandis qu'une poignée de coupables continue de s'enrichir. Tant pis pour l'injustice : bravement, le Figaro titre «La hausse du Smic, une mesure dangereuse mais populaire», et cette propagande plus ou moins appuyée pullule dans la presse comme à la télévision (par exemple, l'émission “C dans l'air” de mercredi, intitulée «Exigences syndicales et réalité économique», nous balançait la même soupe).
Autre trouvaille remise sur le tapis : le contrat de travail unique, exhumé à l'occasion des injonctions de Bruxelles sur le CDI. Alors que la mise en place d'un CTU n'est pas une exigence de la Commission européenne, le journal 20 Minutes a pris les devants ! Ainsi, l'idée fait-elle son petit bonhomme de chemin parmi les victimes de la précarité, exclues du CDI et de conditions de travail décentes, qui finissent par croire que le CTU est peut-être une solution plus «égalitaire» tant le nivelage par le bas, la chanson de Tina (“There is no alternative”, chère à Mme Thatcher) et le moins-disant social nous sont martelés.
La mayonnaise finit par prendre. Ainsi le salarié tend-il à croire qu'il doit s'adapter aux régressions qu'on lui impose et aux violations du droit du travail, de plus en plus courantes. Ainsi le chômeur se replie-t-il sur lui-même, supportant dans son coin les coups de bâton qu'on lui assène. C'est pourquoi, au contraire de ce qu'on pourrait imaginer, les périodes de crise ne sont pas nécessairement propices aux révoltes : les gens sont surtout déboussolés, laminés; au lieu de se battre, ils se laissent faire en se disant qu'il vaut mieux ne pas se plaindre parce que ça pourrait être pire. Sauf que la résignation et la logique du moins pire mènent toujours au pire, inexorablement.
Voyons comment les choses fonctionnement et s'articulent entre elles. D'un côté, on assiste à l'offensive de ceux qui veulent faire croire à l'opinion, outre le fait que le CDI et le Smic sont des privilèges à abolir, que les chômeurs sont des fainéants responsables de leur situation : politiques et médias, amis du patronat… sachant que, pour ce dernier, le chômage et la précarisation de l'emploi ne sont pas un fléau mais une véritable aubaine. De l'autre, une majorité écrasante de salariés qui ont peur du chômage et de privés d'emploi & précaires qui veulent travailler : coincés entre la nécessité financière et le désir de prouver leur bonne volonté (désir transformé en question de «fierté» ou de «dignité»), tous acceptent un chantage permanent. Et plus on cherche à les culpabiliser, plus on leur prêche le «C'est mieux que rien» — parce que «le rien», quoiqu'il arrive, est le seul avenir qu'on nous propose ! —, plus ils vont succomber à l'indigne.
Tout ça, c'est fait exprès ! Or en y succombant, il est clair que les victimes de ce chantage, de façon plus ou moins conscientes, déroulent un tapis rouge à tous les abus : salaires, conditions de travail, lois, éthique, acquis sociaux… D'acceptations en renoncements, tout s'effrite et part en lambeaux; c'est logique, et c'est voulu.
Cas d'école : la direction d'une entreprise propose une régression inadmissible au nom du chantage à l'emploi et du «C'est mieux que rien». Les salariés ont deux options : refuser et résister (au risque de tout perdre… mais aussi de gagner), ou accepter (mais en acceptant, ils ont ouvert la porte aux régressions suivantes). Que faire ? Autre exemple : dans le cadre du contrat… de mariage, une épouse est battue par son mari. Si elle le quitte, elle va échapper aux coups et à la torture morale, mais devoir affronter des difficultés financières. Si elle reste avec lui, elle continuera à vivre l'enfer mais conservera une sécurité matérielle. Que faire ? Nombre de femmes capitulent, optant au final pour la violence conjugale; certaines prennent le risque de partir sans demander leur reste; d'autres vont jusqu'à saisir la justice, voire militer pour les droits des femmes.
Qu'est-ce qui est le plus important : l'impératif économique, ou l'intégrité personnelle (et donc universelle) ?
Certes, on n'a jamais vu les moutons se rebeller contre les loups. Mais nous ne sommes pas des moutons juste bons à finir en kébab : nous sommes des êtres humains capables de réfléchir sur notre condition et de l'améliorer. Il devient urgent de se ressaisir !
Pour conclure cette réflexion, voici trois citations. La première est de Rosa Luxembourg : «Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes». Ainsi définissait-elle la servitude dans laquelle demeurent ceux qui ne s'insurgent pas contre leurs exploiteurs. La seconde est de Bertold Brecht : «Ceux qui se battent peuvent perdre; ceux qui ne se battent pas ont déjà perdu». La troisième, provocatrice mais justifiée, est de la Coordination des Intermittents et Précaires (CIP-IdF) : «Crachons dans la soupe, elle est dégueulasse»...
Hauts les cœurs !
SH
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Commentaires
Cet article est fort pertinent et réaliste.
J'ose espérer qu'il sera non seulement lu par un très grand nombre de personnes mais qu'il engendrera des sursauts de dignité et de résistance…
Pour ma part, je vais en faire écho auprès d'un grand nombre de personnes. Répondre | Répondre avec citation |
Ce que je sous entends chère MartineG, c'est qu'après 4 ans de RSA, j'en ai légitimement un peu raz le cul des conseilleurs en " résistance " qui répondent aux abonnés absents quand leurs plans tournent mal.
Car comme je l'ai déjà dit 1000fois à ma grande amie SophieH : nous sommes loin d'être tous égaux fasse au flicage du pôle emploi. Répondre | Répondre avec citation |
Sinon, pour le reste je ne sais pas de quoi vous parlez et je ne connais pas votre grande amie SophieH… Répondre | Répondre avec citation |
Je disais qu'il va de soit qu'il est plus facile de résister au discours culpabilisant et sectaire du pôle emploi avec un bac+5,6, etc … ou avec une bonne expérience dans le domaine recherché que sans aucune qualif et avec une dernière expérience qui remonte à loin. Répondre | Répondre avec citation |
C'est l'une de nos hôtes, auteure de l'article ci-dessus.
Résister, cela passe par l'information, la vraie, l'échange, la recherche de solutions. Actuchômage est une poche de résistance. Répondre | Répondre avec citation |
SH Répondre | Répondre avec citation |
concernant le fameux "droit au logement" :-) dans le cadre du RSA.
Dans certains pays comme l'Allemagne, le locataire a droit à un logement, c'est-à-dire un studio ou un appartement, les autorités ne lpeuvent pas l'envoyer dans un hôtel sordide ou dans un foyer. C'est le cas des lois "Hartz" (Allemagne): chaque chômeur a droit a un domicile, pour une personne seule environ 50 m2 sont autorisés.
Quelle est la situation en France? Répondre | Répondre avec citation |
En France, la pénurie de logement a atteint un seuil tout à fait catastrophique. Dans ce contexte, il n'existe absolument aucun droit au logement et encore moins pour les bénéficiaires du RSA qui sont considérés comme des pestiférés, autant par les propriétaires privés que par les bailleurs sociaux.
Beaucoup de jeunes précaires incapables de se loger, se débrouillent désormais comme ils peuvent en essayant de faire autrement :
http://www.dailymotion.com/video/xku7ch_une-generation-sur-la-route_news?start=1359 Répondre | Répondre avec citation |
http://www.rts.ch/archives/tv/culture/histoire/3449601-la-montee-du-fascisme.html
passez rapidement à la 3 ème minute pour rentrer dans le coeur du sujet avec l' histoire de ce paradoxe qui dure et que nous continuons à endurer .
Comment une minorité de possédant se fait élire par une majorité qui la supporte . Répondre | Répondre avec citation |
http://www.youtube.com/watch?v=sCCpmDp6XcA Répondre | Répondre avec citation |