Poursuivre Pôle Emploi pour radiation abusive ou indu abusif, voire pour insuffisance d'information, voilà qui tient la route et sert à tous les chômeurs. Mais attaquer Pôle Emploi pour «violation de son obligation d'accompagnement et de suivi», est-ce bien pertinent dans le contexte actuel ?
Certes, alors qu'on nous impose toute une batterie de "devoirs", mettre pour une fois Pôle Emploi devant les siens semble légitime. Mais dans le contexte actuel et sur ce point précis, n'est-ce pas à double tranchant ?
Un privé d'emploi de 54 ans, ex gestionnaire de clientèle chez Veolia au chômage depuis plus de trois ans, a jugé bon de saisir le tribunal administratif de Paris pour faire constater que, depuis février 2009, il «n’aurait bénéficié que de trois rendez-vous en agence en dépit de ses demandes réitérées», et que son projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE) n'aurait en outre jamais été actualisé alors qu'en vertu de son «obligation de placement» figurant dans le code du travail, Pôle Emploi doit notamment actualiser les PPAE au minimum tous les trois mois. De même, «nous avons identifié des offres d’emploi qui ne lui ont jamais été proposées», accuse son avocat qui soutient qu'en ne respectant pas ses obligations, Pôle Emploi «a porté atteinte à deux libertés fondamentales, à savoir le droit d’accès effectif au travail et le droit au respect de sa vie privée et sociale» (???). Il entend ainsi dénoncer les «dysfonctionnements structurels de l’institution», engagée dans un plan stratégique visant à réformer le suivi des chômeurs...
Dans la foulée, l'avocat a par ailleurs annoncé préparer une procédure collective réunissant d'autres chômeurs afin de demander des indemnisations : c'est toujours ça de pris. La CGT-Chômeurs soutient l'initiative : on se demande dans quel but.
Cette démarche «inédite» pose au moins deux questions
1/ Elle remet sur le tapis les effets désastreux d'une fusion à marche forcée dans un contexte de grave crise économique et d'explosion du chômage, les agents du service public de l'emploi étant débordés (sous-effectif chronique) et réduits à l'impuissance (les enveloppes budgétaires sont rognées; et on rappelle que ce n'est pas Pôle Emploi qui créé les emplois).
Actuellement, il faut bien le dire, c'est la fonction "indemnisation" qui est la plus utile — elle permet aux chômeurs de survivre — alors que la fonction "accompagnement, suivi et placement" n'est qu'un pansement sur une jambe de bois, faute de formations réellement qualifiantes et, surtout, d'emplois disponibles à la clé. Ce constat est terrible pour les conseillers qui, tentés de prescrire des prestations occupationnelles afin de soulager leur charge de travail tout en se donnant l'impression de servir quand même à quelque chose, sont confrontés à une lourde perte de sens dans le cadre de leur mission.
Malheureusement, à l'instar du tout-austéritaire qui nous mène droit dans le mur, c'est l'obstination dans l'erreur qui continue de sévir. Le «Plan stratégique 2012-2015» du nouveau DG de Pôle Emploi Jean Bassères, adopté le 21 juin dernier malgré la réticence des syndicats, est tout à fait inquiétant non seulement pour ses agents (restrictions, accroissement d'une politique du chiffre, management par la compétition et obsession de la performance : autant de méthodes éculées qui n'ont pas fait leurs preuves), mais aussi pour les chômeurs (contrôle accru, répression en vue). Surtout, conformément au souhait de l'Etat, il n'est absolument pas question de donner davantage de moyens à l'organisme : au contraire, il faudra faire mieux avec moins, et aucune décision judiciaire ne bouleversera cet objectif.
Il semble donc que ce plaignant méconnaisse les dessous de ce plan et qu'il n'a pas compris qu'en France et ailleurs, la lutte contre le chômage se traduit essentiellement par une lutte… contre les chômeurs (c'est nettement plus facile). Partant de son petit cas personnel où l'amertume est forte — il est en fin de droits, ce qui est très dur à vivre —, ayant trouvé un coupable — en l'occurrence Pôle Emploi et sa nouvelle direction, à qui il offre l'opportunité de durcir ses méthodes pour nous faire croire qu'elle est utile et agit vraiment contre le chômage —, la démarche de cet homme risque fort d'avoir des conséquences néfastes pour l'ensemble de ses congénères.
2/ Ce n'est pas une blague : aucun chômeur un tant soit peu sensé et autonome ne compte sur Pôle Emploi pour lui retrouver du travail ! Comment ce quinquagénaire peut-il se présenter au tribunal et accuser Pôle Emploi sur la base de cette illusion ? Nous ne le soupçonnons pas de manquer d'autonomie (quoique), mais dans le marasme actuel de destructions d'emplois massives et d'explosion du chômage de longue durée, notamment chez les "seniors", se croit-il seul au monde, et pense-t-il qu'attaquer Pôle Emploi engendrera un miracle ?
On sait que Pôle Emploi n'a plus le monopole des offres : l'organisme ne propose désormais qu'environ 20% du total de celles qui circulent. On sait aussi que les offres recueillies par Pôle Emploi sont, hélas, les plus "bas de gamme" du marché. Quant au PPAE et à son ORE (offre raisonnable d'emploi), il n'est qu'un arsenal répressif et dégradant de plus, vainement institué par le gouvernement précédent — celui-ci ayant tenté avec succès de convaincre l'opinion que les chômeurs sont des fainéants et des profiteurs qui font trop la fine bouche.
Alors que la majorité des chômeurs se plaint d'être convoqués inutilement — Pôle Emploi n'a rien à leur proposer et brasse de l'air mais, à moins de reconnaître son inanité, que peut-il faire d'autre ? —, d'être contraints sous peine de sanction de suivre des ateliers bidons et autres prestations occupationnelles qui ne débouchent sur rien et que nombre d'entretiens se font sur un ton menaçant, le chômeur infantilisé, sommé d'être "réaliste", n'ayant plus son mot à dire, voici que cet homme — qui n'a pas eu l'occasion de goûter à cette comédie 100% kafkaïenne — en réclame... Par le biais de la justice, il veut «ordonner à Pôle Emploi de respecter ses obligations, c’est-à-dire de le convoquer mensuellement [il va se lasser !], de redéfinir son PPAE au moins tous les trois mois [même s'il n'y a rien à modifier], de lui adresser des offres d’emploi [même minables et à côté de la plaque] et de lui formuler des offres de formation» [alors qu'on les compte comme les poux sur la tête d'un chauve]. Grand bien lui fasse : qu'il expérimente !
Que voulez-vous, il faut bien désigner des responsables à la crise. Quitte à se tromper de cible et tendre le bâton pour se faire battre.
SH
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