Aujourd'hui fut une «journée spéciale chômage». Partout, dans la presse et à la télévision, chacun y a été de son petit dossier truffé de solutions éculées dont voici les plus récurrentes :
• baisser le «coût du travail» alors que, depuis trente ans, grâce au chômage de masse et à la précarisation de l'emploi, étrangement, plus le travail a été érigé en «valeur», plus son prix n'a cessé de chuter. Et nous voici au dernier stade du cercle vicieux : plus les salariés s'appauvrissent, plus ils s'endettent, moins ils consomment et plus l'activité du pays ralentit, plus on détruit des emplois et plus le chômage augmente... Mais, voyez-vous, pas question d'inverser la tendance : on nous martèle qu'il faut continuer à s'aligner sur les salaires chinois ou bulgares et dire adieu à nos acquis sociaux.
• introduire plus de «flexibilité» et «déréglementer» : en clair, pouvoir faire travailler les gens à la carte (c'est le but des futurs accords compétitivité-emploi), en finir avec notre CDI trop protecteur (vive la précarité pour tous !) et les licencier encore plus facilement… comme si virer ses collaborateurs était si compliqué que ça alors que nous voyons bien que non !
• «partager le chômage le travail» : du chômage partiel pour les uns, des mini-jobs pour les autres. Et tant pis si personne n'y trouve son compte, et tant pis si cela continue de nuire à la demande intérieure.
• et, pourquoi pas, réduire les allocations chômage. Comme ça, on pointera aussi aux Restos du cœur.
Ici, les "options" aussi imbéciles que contradictoires de BFMTV (sortez vos sacs à vomir) :
Il va sans dire que tous ces éditorialistes et autres «experts» encravatés qui tentent à longueurs d'antennes de nous faire avaler leurs potions ultralibérales ne font pas partie des 50% de Français qui vivent avec moins de 1.600 €/mois, encore moins des 9 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, ni de nos 5 millions d'inscrits à Pôle Emploi. Qu'ils soient aveugles ou dénués de scrupules, ces privilégiés du PAF préconisent aux autres ce qu'ils ne voudraient pas qu'on leur fasse. Surtout, ils nous déballent des recettes déjà appliquées depuis trente ans et qui n'ont aucunement fait leurs preuves, puisque nous en sommes là ! Qu'à cela ne tienne, ils assurent qu'il faut aller encore plus loin, quitte à nous plonger dans le chaos social.
Tous ont titré : «Le seuil des 3 millions de chômeurs est dépassé» (et il l'est largement, puisqu'il y a 5,5 millions d'inscrits à Pôle Emploi) alors que c'est ce système économique qui, lui, est vraiment dépassé.
Les plus pathétiques ont osé ressortir le vieil argument des 250.000 offres non pourvues (à noter qu'en mars, selon le candidat Sarkozy, il y en avait 500.000). Or, démonstration a maintes fois été faite : cette légende, hormis l'intérêt qu'elle présente pour dénigrer les victimes de ces politiques ineptes, ne s'appuie sur rien. Et 250.000 ou 500.000 misérables emplois encore disponibles ne font résolument pas le poids quand il faut satisfaire au minimum 3 millions de personnes.
«Si on arrive à convaincre les chômeurs qu'ils sont responsables de leur situation, que c'est de leur faute s'ils ne trouvent pas d'emploi, on débarrasse du coup les politiques et les entreprises d'une responsabilité écrasante», disait l'économiste Thomas Coutrot dans l'excellent documentaire d'Anne Kunvari diffusé sur Arte en février dernier, “Le travail malade du chômage”. La vérité est celle-ci : le chômage est le meilleur ami du patronat, de la finance et des hommes politiques. Pour vous en persuader, voici trois saines lectures :
• La lutte contre le chômage est une escroquerie intellectuelle
Ou comment le chômage, outil économique par excellence, est voulu et organisé.
• La précarité a une histoire
Ou comment et pourquoi la précarisation de l'emploi a été, elle aussi, patiemment instaurée avec l'absolution de nos gouvernants.
• Chômeurs «fainéants» et «fraudeurs» : la fabrique d'un discours d'Etat
Quand les victimes sont érigées en coupables, les vrais responsables peuvent dormir tranquilles !
Pour finir, voyons un peu ce qui se cache derrière ce «choc psychologique»...
Nombre de nos concitoyens, abreuvés de mensonges mille fois répétés qui deviennent une vérité, comme disait feu Joseph Goebbels, tombent dans le panneau. Il suffit de lire les commentaires d'articles insultants à l'encontre des chômeurs postés un peu partout sur internet au cours de cette «journée spéciale». L'épouvantail du chômage agité auprès d'individus aussi ignorants que peureux fonctionne à merveille. Ignorants, ils gobent ce qu'on leur dit et s'imprègnent de fantasmes qui nourrissent leur hantise. Peureux, parce qu'ils n'osent plus tenir tête à leur patron — d'ailleurs, ils ne l'ont certainement jamais fait… — et préfèrent justifier leur servitude en la faisant passer pour du courage (ça s'appelle le masochisme des esclaves), puis déverser leur stress et leur angoisse sur ceux qui personnifient une réalité effrayante : le chômeur et le SDF, c'est "cachez-moi cet avenir que je ne saurais voir" !
Aussi lâche que cela paraisse, se défouler sur le plus faible et cracher sur celui qui incarne ses pires frayeurs est banalement humain. L'égoïsme, aussi, est banalement humain. C'est, d'ailleurs, sur ces pulsions primales qu'a toujours prospéré le capitalisme. Et c'est pourquoi nos oligarques — patronat, financiers et rentiers, politiques complices et médias aux ordres — se frottent les mains : tandis que la majorité du petit peuple passe son temps à se taper dessus, la minorité qui a l'intelligence de regarder en haut ne leur inspire aucune crainte.
Mais le vrai «choc psychologique», il est éprouvé par les chômeurs et les précaires eux-mêmes, qu'on insulte et qu'on laisse crever à petit feu en rajoutant des vigiles et des extincteurs dans les administrations déprimantes qu'ils sont obligés de fréquenter. Le désastre sanitaire qui se profile à l'horizon indiffère les pouvoirs publics : au contraire, si, à la mort sociale, peut se rajouter une mort physique, ça fera autant d'économies pour l'Unedic et la Sécu. Vive l'euthanasie sociale !
C'est pourquoi, dans un dernier élan de cynisme, nous ne pouvons que souhaiter à tous ces ignorants, égoïstes et lâches qui persistent à cracher sur les chômeurs et leur préconiser l'enfer, de faire partie de la prochaine charrette. Ils croupissaient dans la bassesse intellectuelle : tomber bien bas dans l'échelle sociale sera peut-être pour eux une expérience aussi inoubliable qu'enrichissante.
Et vous, chômeurs, n'ayez pas peur ! Vous n'êtes pas seuls, puisque vous êtes des millions.
Profitez de ce temps libéré pour voir les choses autrement.
Et s'il vous reste de la colère, alors battez-vous : c'est dans le combat qu'on se rend utile et qu'on retrouve sa dignité.
SH
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