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Ce gouvernement social-démocrate nous parle de justice, mais se donne-t-il les moyens de la rétablir ? Pour l'instant, pas vraiment. Il bricole ici et là des mesurettes plus ou moins symboliques — ou pathétique, comme la fameuse taxation des super-riches, aisément contournable — et tourne autour du pot à l'heure où des mesures ambitieuses doivent être prises pour redresser les finances du pays et que, face à cette énième crise du système capitaliste, la plus grave depuis 1929, il faut même oser la radicalité.
Sous Sarkozy, on stigmatisait (entre autres) les chômeurs et les RSAstes. Sous Hollande, on s'en prend aux retraités qui «sont dans une situation financière plus favorable que les actifs, notamment les jeunes», a souligné le premier président de la Cour, le socialiste Didier Migaud, rendant son dernier rapport sur la Sécurité sociale. Alors que le déficit atteint 20 milliards d'euros soit près de 5% de son budget total, il s'agit de grapiller des sous là où il y en a — ce qui, en soi, est une bonne chose : chercher à accroître les recettes est bien moins imbécile que se focaliser uniquement sur les dépenses, même s'il y a encore de quoi faire.
Les retraités, électorat qui vote majoritairement à droite, sont en ligne de mire. Ils sont mieux lotis que le reste de la population dont le niveau de vie s'est effondré — la faute à qui ? —, et ils sont les premier bénéficiaires des dépenses de l'assurance-maladie... Leur niveau de vie médian est évalué à 1.591 euros par mois (contre 1.610 pour l'ensemble de la population), soit 200 euros de plus que celui des jeunes; et ils ont plus de patrimoine que les actifs, celui-ci provenant de ce qu'ils ont pu acquérir durant leurs années de travail. En revanche, sur ces 16 millions de "privilégiés", 1 million vit sous le seuil de pauvreté; sous peu, ils seront plus nombreux encore, le chômage massif, la précarisation de l'emploi et les dernières réformes réduisant tout espoir d'accéder à une retraite décente.
Un mouvement de solidarité en sens inverse ?
Sous prétexte que la situation des jeunes est encore moins favorable et à l'heure du désendettement et du redressement des finances publiques, il paraît juste de demander des efforts aux retraités, notamment aux plus aisés d'entre eux. Un argument appuyé ici par un chercheur au CNRS, qui rappelle que «les jeunes retraités sont la catégorie sociale la plus aisée de la société française. […] Il ne s'agit pas d'opposer deux classes d'âge mais d'organiser la solidarité, la redistribution des plus aisés vers les plus pauvres. Dans les années 1950, la croissance était forte et le chômage au plus bas. Le pouvoir d'achat des ouvriers a ainsi fait un bond considérable, ce qui a permis la naissance des classes moyennes. En 1962, un homme, Pierre Laroque, le fondateur de la Sécurité sociale, alerte sur les oubliés de la croissance, les laissés-pour-compte : les vieux. S'en suit une mobilisation générale de la société française pour permettre aux retraités d'avoir un niveau de vie décent, équivalent à celui des actifs. En dix sont votées des lois qui créent le minimum vieillesse, obligent à cotiser à une caisse de retraite complémentaire et améliorent le taux de remplacement. La question est aujourd'hui de savoir si la société française est capable du même mouvement de solidarité que dans les années 1960, en sens inverse. Les retraités doivent davantage participer à la solidarité envers les plus pauvres, les jeunes. […] On comprend que la droite, majoritaire dans l'électorat retraité, ait renoncé à le faire lors de la réforme des retraites de 2010. Aujourd'hui, je crois que le dossier avance. Le gouvernement doit faire preuve de pédagogie. Après tout, cela ne choque pas les Français de taxer les plus riches. Il faut juste leur faire comprendre que les retraités en font partie. Attention : il ne s'agit pas de baisser le niveau des retraites, surtout pas, mais de supprimer des avantages injustifiés». Imparable, non ?
En matière d'avantages injustifiés, la Cour a fait ses comptes : entre des taux de CSG réduits (0%, 3,8% et 6,6% en fonction du niveau de la pension de retraite), l'abattement de 10% sur le revenu imposable, l'exonération de cotisations sociales pour les particuliers-employeurs ou encore l'exonération de taxe d'habitation, les niches dont bénéficient les retraités représentent un manque à gagner de 12 milliards d'euros par an pour l'Etat et la Sécurité sociale. Les Sages de la rue Cambon préconisent donc de supprimer l'abattement fiscal de 10% sur les pensions, ce qui rapporterait 2,7 milliards d'euros; de soumettre à l'impôt les majorations de pensions dont bénéficient les parents de trois enfants (800 millions); et d'aligner le taux de CSG des pensions les plus élevées (6,6%) sur celui des salariés (7,5%), ce qui rapporterait 1,2 milliard. Soit un coup de rabot fiscal de près de 5 milliards d'euros au total. De son côté, le gouvernement envisage une "CGS compétitivité" — nouvelle usine à gaz à surveiller — où les retraités seraient mis amplement à contribution.
Pourtant, il y a quelque chose de gênant dans cette histoire...
D'abord, la question de savoir pourquoi on en est arrivés là n'est jamais posée. Je reprends ici deux commentaires d'articles dénichés ici et ailleurs, qui abordent la régression sociale et le creusement des inégalités (que notre chercheur du CNRS semble oublier alors que le PIB de la France a doublé en 30 ans) instaurés depuis les années 90, quand le capitalisme s'est financiarisé, est devenu sauvage et farouchement antisalarial… avec la bénédiction des politiques :
«Le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs, certes. Mais est-ce la faute des retraités ? Ou plutôt la faute d'un système qui détruit les emplois et les précarise, favorisant depuis trois décennies la baisse généralisée des salaires et du niveau de vie des générations précédentes ? C'est toujours la même rengaine du nivelage par le bas. Ceux qui, après avoir travaillé toute leur vie, peuvent vivre à peu près normalement sont considérés comme des privilégiés et, au nom d'un soi-disant principe d'égalité ou de "solidarité", il faudrait qu'ils vivent anormalement, comme tout le monde ? C'est monstrueux. Pendant ce temps, les patrons du CAC 40 vivent de plus en plus anormalement, mais dans l'autre sens, et eux, on les plaint parce qu'ils sont obligés de se tirer en Belgique ? Ça commence à bien faire !», nous a écrit Martine.
«En 68 nous sommes descendu dans la rue pour botter le c.l à un certain bonhomme qui nous servait de président. S'il le faut aujourd'hui, nous allons défendre nos droits avec la même verve ! Il est vraiment dommage que nous ayons élevé une progéniture sans rien dans le pantalon, car il y a déjà un bout de temps qu'ils auraient du défendre leur bifteck en éjectant cette classe politique oligarchique ploutocratique ! Tout ce que cette classe biberon sait faire aujourd'hui, c'est d'aboyer derrière un clavier d'ordinateur en attendant que quelqu'un fasse le boulot à sa place ! Il y a des coups de pompes aux fesses qui se perdent», réagit un lecteur de La Tribune. Eh oui, ils sont loins, nos acquis issus du Conseil national de la Résistance et des Trente glorieuses pour lesquels tant de gens se sont battus. Et on peut replacer la célèbre phrase de Warren Buffet : «La lutte des classes existe et c'est la mienne, celle des riches, qui la mène et qui est en train de la gagner», faute d'opposition, des partis "socialistes" bon teint et des syndicats ramollos, censés l'incarner, l'ayant dénaturée.
Ensuite, à travers la réaction indignée de cette sociologue qui rappelle le rôle économique et social que jouent nombre de retraités et déplore le retour du "diviser pour mieux régner" qui fut apanage de l'UMP, on note cette conclusion pleine de bon sens : «Comment rétablir les équilibres ? Par une réforme de la fiscalité globale dans laquelle chacun, sans distinction, est amené à faire un effort proportionnel à ses revenus». Droit au but : les bidouillages, ça suffit !
Et nous voilà face à cette grande réforme fiscale que nous appelions de nos vœux en juin dernier, cet "anti-paquet fiscal" que le nouveau gouvernement aurait pu faire voter en grande pompe tout comme Sarkozy l'avait fait, donnant immédiatement, à l'été 2007, le ton de sa politique pour les cinq années à venir. Dans son projet présidentiel, le candidat Hollande affirmait clairement qu'il voulait l'engager. Qu'en reste-t-il à ce jour ? Rien, visiblement. Son équipe de gentils sociaux-traîtres tente de faire du neuf avec du vieux en restant dans la demi-mesure, quitte à décevoir les espoirs de ceux qui ont voté pour lui et à brouiller davantage les clivages politiques; comme ça, les gens seront sûrs que la droite et la gauche, c'est pareil. Ils voteront un peu plus FN au lieu de voter pour la vraie gauche. Et en 2017, grâce aux retraités stigmatisés, on aura à nouveau un président pour riches !
Parce qu'on n'est pas chiens, on espère que François Hollande va se ressaisir. Mais on en doute.
SH
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Commentaires
On peut pas s'orienter sans constater que les prédateurs auxquels nous avons à faire face sont d'espèces variées, et donc avoir en tête ce qui caractérise le socialisme français, voir à ce propos, par exemple, Trois critiques des années Mitterrand
www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5633 Répondre | Répondre avec citation |
Pour en revenir à Jospin 1° sinistre ; toute réforme des retraite à été oculté dans des buts electoraliste et on à vu le resultat au présidentiel ( exclu du 2 ° tour par JM Lepen ) Répondre | Répondre avec citation |
C'est plutôt sa politique antisociale qui a valu à Jospin et au PS une désaffection justifiée lors de ces élections. Dire aux chômeurs qu'ils devraient travailler pour de vrai, à l'ancienne, façon "faites donc le plein emploi que je veux bandes de glandeurs", alors même que l'on organise la précarité de l'emploi, les dégrèvements de cotisations patronales, les privatisations, les exonérations fiscales,que les inégalités de revenu ont explosée durant les années 90, que les minima ne sont ni réévalués, ni ouverts à tant de ceux qui en ont besoin, c'est pas la martingale électorale. On oublie trop. Du coup je me permet d'insister, lisez donc ce petit tract rédigé sous Jospin début 1998 : À gauche poubelle, précaires rebelles
www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5374 Répondre | Répondre avec citation |
Sachant qu'en 2011 selon le magazine Challenges, les 500 familles les plus riches de France cumulent 267 milliards (milliards et non pas millions !!!) d'euros de richesses… En comparaison, les recettes nettes de l'Etat français sur cette même période étaient de 271 milliards.
Conclusion : de l'argent, il y en a, ailleurs que chez les "assistés", les retraités, les pauvres, les classes moyennes, voire même riches !!!
On prend 15% de ces richesses à ces familles sans que, pour autant, le prix de la baguette ne leur paraisse prohibitif…
Hollande & Co respecte son engagement de réduction des déficits tout en réduisant (un tout petit peu) les inégalités en ne se servant que chez les ultra-riches !!! Répondre | Répondre avec citation |
www.actuchomage.org/2012070221442/Social-economie-et-politique/plus-de-50-milliards-a-gratter.html Répondre | Répondre avec citation |
www.20minutes.fr/economie/1005079-bercy-plafonne-niches-plus-riches-echappent-plus-impot
Résultat escompté : un gain ridicule de 300 millions d'euros !
C'est du foutage de gueule. Répondre | Répondre avec citation |
Le principal intéressé a plutôt me semble t'il considéré que c'était les candidatures de Ch. Taubira etr de JP. Chevènement qui n'étaient pas forcément plus sociales que la sienne qui l'ont empêché d'être au second tour .. Répondre | Répondre avec citation |
lexpansion.lexpress.fr/economie/le-gouvernement-n-alourdira-pas-la-fiscalite-des-retraites-en-2013_337007.html Répondre | Répondre avec citation |
Ils ont échappé au pire, le gouvernement étant resté somme toute fort mesuré sur les hausses d'impôts qu'il pouvait infliger aux retraités au vu des préconisations musclées de la Cour des comptes. Pourtant, ils sont descendus roucouler dans la rue ce jeudi 11 octobre pour clamer qu'ils "ne sont pas des privilégiés, ce sont les financiers qu'il faut taxer" (ce qui, dans l'absolu, n'est pas faux).
Or, le gouvernement ne compte instaurer qu'un prélèvement de 0,15% en 2013 sur les pensions des retraités imposables pour tenter de résorber le déficit du Fonds solidarité vieillesse (FSV). Cette taxe plutôt minime concernera près de sept retraités sur dix, soit 10 millions de personnes, et représentera une ponction d'1,80 euro par mois pour une retraite moyenne de 1.200 euros bruts, a assuré le gouvernement.
En 2014 viendra s'ajouter un prélèvement supplémentaire de 0,15% (ce qui fera 0,3% au total). De fait, il s’agit de soumettre certains retraités à la contribution solidarité autonomie (CSA), créée en 2004 pour financer la dépendance des personnes âgées, alors qu’ils en sont actuellement exemptés. Seront assujettis à cette taxe ceux qui sont imposables à la CSG au taux réduit — et inchangé — de 3,8% (ceux qui ne payent pas l’impôt sur le revenu mais s’acquittent de la taxe d’habitation), soit 15% des retraités ; ainsi que les retraités imposables à la CSG au taux — également inchangé — de 6,6% (qui payent l’impôt sur le revenu), soit 55 % d’entre eux, a-t-on indiqué au ministère.
Vu comme ça, on se dit que ce n'est pas grand chose, sachant que l'abattement fiscal de 10% sur les pensions et toutes les autres niches ont été maintenus, que les plus pauvres ne seront pas touchés, et que le niveau de vie des retraités est désormais supérieur à celui des actifs…
http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20121010.OBS5196/16-millions-de-retraites-ce-qui-les-rapproche-ce-qui-les-separe.html Répondre | Répondre avec citation |