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Accueil Social, économie et politique Haro sur les retraités ?

Haro sur les retraités ?

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Pour éviter une courageuse révolution fiscale qui rétablirait justice, clarté, progressivité et redistributivité, le gouvernement socialiste fait, hélas, dans le bricolage. En cela, il ne vaut pas mieux que ses prédécesseurs.

Sous la droite, c'était à peu près clair : afin de continuer à bichonner les riches, on stigmatisait les pauvres pour détourner l'attention des classes moyennes en leur désignant des boucs émissaires. Sous "la gauche" (je mets des guillemets parce que le PS n'est pas un vrai parti de gauche. J'aurais aussi pu utiliser le terme "gauche caviar"), on fait mine de stigmatiser les riches pour faire avaler des couleuvres aux classes moyennes.

Ce gouvernement social-démocrate nous parle de justice, mais se donne-t-il les moyens de la rétablir ? Pour l'instant, pas vraiment. Il bricole ici et là des mesurettes plus ou moins symboliques — ou pathétique, comme la fameuse taxation des super-riches, aisément contournable — et tourne autour du pot à l'heure où des mesures ambitieuses doivent être prises pour redresser les finances du pays et que, face à cette énième crise du système capitaliste, la plus grave depuis 1929, il faut même oser la radicalité.

Sous Sarkozy, on stigmatisait (entre autres) les chômeurs et les RSAstes. Sous Hollande, on s'en prend aux retraités qui «sont dans une situation financière plus favorable que les actifs, notamment les jeunes», a souligné le premier président de la Cour, le socialiste Didier Migaud, rendant son dernier rapport sur la Sécurité sociale. Alors que le déficit atteint 20 milliards d'euros soit près de 5% de son budget total, il s'agit de grapiller des sous là où il y en a — ce qui, en soi, est une bonne chose : chercher à accroître les recettes est bien moins imbécile que se focaliser uniquement sur les dépenses, même s'il y a encore de quoi faire.

Les retraités, électorat qui vote majoritairement à droite, sont en ligne de mire. Ils sont mieux lotis que le reste de la population dont le niveau de vie s'est effondré — la faute à qui ? —, et ils sont les premier bénéficiaires des dépenses de l'assurance-maladie... Leur niveau de vie médian est évalué à 1.591 euros par mois (contre 1.610 pour l'ensemble de la population), soit 200 euros de plus que celui des jeunes; et ils ont plus de patrimoine que les actifs, celui-ci provenant de ce qu'ils ont pu acquérir durant leurs années de travail. En revanche, sur ces 16 millions de "privilégiés", 1 million vit sous le seuil de pauvreté; sous peu, ils seront plus nombreux encore, le chômage massif, la précarisation de l'emploi et les dernières réformes réduisant tout espoir d'accéder à une retraite décente.

Un mouvement de solidarité en sens inverse ?

Sous prétexte que la situation des jeunes est encore moins favorable et à l'heure du désendettement et du redressement des finances publiques, il paraît juste de demander des efforts aux retraités, notamment aux plus aisés d'entre eux. Un argument appuyé ici par un chercheur au CNRS, qui rappelle que «les jeunes retraités sont la catégorie sociale la plus aisée de la société française. […] Il ne s'agit pas d'opposer deux classes d'âge mais d'organiser la solidarité, la redistribution des plus aisés vers les plus pauvres. Dans les années 1950, la croissance était forte et le chômage au plus bas. Le pouvoir d'achat des ouvriers a ainsi fait un bond considérable, ce qui a permis la naissance des classes moyennes. En 1962, un homme, Pierre Laroque, le fondateur de la Sécurité sociale, alerte sur les oubliés de la croissance, les laissés-pour-compte : les vieux. S'en suit une mobilisation générale de la société française pour permettre aux retraités d'avoir un niveau de vie décent, équivalent à celui des actifs. En dix sont votées des lois qui créent le minimum vieillesse, obligent à cotiser à une caisse de retraite complémentaire et améliorent le taux de remplacement. La question est aujourd'hui de savoir si la société française est capable du même mouvement de solidarité que dans les années 1960, en sens inverse. Les retraités doivent davantage participer à la solidarité envers les plus pauvres, les jeunes. […] On comprend que la droite, majoritaire dans l'électorat retraité, ait renoncé à le faire lors de la réforme des retraites de 2010. Aujourd'hui, je crois que le dossier avance. Le gouvernement doit faire preuve de pédagogie. Après tout, cela ne choque pas les Français de taxer les plus riches. Il faut juste leur faire comprendre que les retraités en font partie. Attention : il ne s'agit pas de baisser le niveau des retraites, surtout pas, mais de supprimer des avantages injustifiés». Imparable, non ?

En matière d'avantages injustifiés, la Cour a fait ses comptes : entre des taux de CSG réduits (0%, 3,8% et 6,6% en fonction du niveau de la pension de retraite), l'abattement de 10% sur le revenu imposable, l'exonération de cotisations sociales pour les particuliers-employeurs ou encore l'exonération de taxe d'habitation, les niches dont bénéficient les retraités représentent un manque à gagner de 12 milliards d'euros par an pour l'Etat et la Sécurité sociale. Les Sages de la rue Cambon préconisent donc de supprimer l'abattement fiscal de 10% sur les pensions, ce qui rapporterait 2,7 milliards d'euros; de soumettre à l'impôt les majorations de pensions dont bénéficient les parents de trois enfants (800 millions); et d'aligner le taux de CSG des pensions les plus élevées (6,6%) sur celui des salariés (7,5%), ce qui rapporterait 1,2 milliard. Soit un coup de rabot fiscal de près de 5 milliards d'euros au total. De son côté, le gouvernement envisage une "CGS compétitivité" — nouvelle usine à gaz à surveiller — où les retraités seraient mis amplement à contribution.

Pourtant, il y a quelque chose de gênant dans cette histoire...

D'abord, la question de savoir pourquoi on en est arrivés là n'est jamais posée. Je reprends ici deux commentaires d'articles dénichés ici et ailleurs, qui abordent la régression sociale et le creusement des inégalités (que notre chercheur du CNRS semble oublier alors que le PIB de la France a doublé en 30 ans) instaurés depuis les années 90, quand le capitalisme s'est financiarisé, est devenu sauvage et farouchement antisalarial… avec la bénédiction des politiques :

«Le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs, certes. Mais est-ce la faute des retraités ? Ou plutôt la faute d'un système qui détruit les emplois et les précarise, favorisant depuis trois décennies la baisse généralisée des salaires et du niveau de vie des générations précédentes ? C'est toujours la même rengaine du nivelage par le bas. Ceux qui, après avoir travaillé toute leur vie, peuvent vivre à peu près normalement sont considérés comme des privilégiés et, au nom d'un soi-disant principe d'égalité ou de "solidarité", il faudrait qu'ils vivent anormalement, comme tout le monde ? C'est monstrueux. Pendant ce temps, les patrons du CAC 40 vivent de plus en plus anormalement, mais dans l'autre sens, et eux, on les plaint parce qu'ils sont obligés de se tirer en Belgique ? Ça commence à bien faire !», nous a écrit Martine.

«En 68 nous sommes descendu dans la rue pour botter le c.l à un certain bonhomme qui nous servait de président. S'il le faut aujourd'hui, nous allons défendre nos droits avec la même verve ! Il est vraiment dommage que nous ayons élevé une progéniture sans rien dans le pantalon, car il y a déjà un bout de temps qu'ils auraient du défendre leur bifteck en éjectant cette classe politique oligarchique ploutocratique ! Tout ce que cette classe biberon sait faire aujourd'hui, c'est d'aboyer derrière un clavier d'ordinateur en attendant que quelqu'un fasse le boulot à sa place ! Il y a des coups de pompes aux fesses qui se perdent», réagit un lecteur de La Tribune. Eh oui, ils sont loins, nos acquis issus du Conseil national de la Résistance et des Trente glorieuses pour lesquels tant de gens se sont battus. Et on peut replacer la célèbre phrase de Warren Buffet : «La lutte des classes existe et c'est la mienne, celle des riches, qui la mène et qui est en train de la gagner», faute d'opposition, des partis "socialistes" bon teint et des syndicats ramollos, censés l'incarner, l'ayant dénaturée.

Ensuite, à travers la réaction indignée de cette sociologue qui rappelle le rôle économique et social que jouent nombre de retraités et déplore le retour du "diviser pour mieux régner" qui fut apanage de l'UMP, on note cette conclusion pleine de bon sens : «Comment rétablir les équilibres ? Par une réforme de la fiscalité globale dans laquelle chacun, sans distinction, est amené à faire un effort proportionnel à ses revenus». Droit au but : les bidouillages, ça suffit !

Et nous voilà face à cette grande réforme fiscale que nous appelions de nos vœux en juin dernier, cet "anti-paquet fiscal" que le nouveau gouvernement aurait pu faire voter en grande pompe tout comme Sarkozy l'avait fait, donnant immédiatement, à l'été 2007, le ton de sa politique pour les cinq années à venir. Dans son projet présidentiel, le candidat Hollande affirmait clairement qu'il voulait l'engager. Qu'en reste-t-il à ce jour ? Rien, visiblement. Son équipe de gentils sociaux-traîtres tente de faire du neuf avec du vieux en restant dans la demi-mesure, quitte à décevoir les espoirs de ceux qui ont voté pour lui et à brouiller davantage les clivages politiques; comme ça, les gens seront sûrs que la droite et la gauche, c'est pareil. Ils voteront un peu plus FN au lieu de voter pour la vraie gauche. Et en 2017, grâce aux retraités stigmatisés, on aura à nouveau un président pour riches !

Parce qu'on n'est pas chiens, on espère que François Hollande va se ressaisir. Mais on en doute.

SH

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