Aujourd'hui, patronat (Medef, CGPME, UPA) et syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) ont ouvert les négociations sur l'épineuse «réforme du marché du travail» voulue par le gouvernement. Améliorer à la fois la protection des salariés et la compétitivité des entreprises — en gros, créer une «flexisécurité à la française» qui donnerait à la fois plus de sécurité aux salariés en luttant contre la précarité, et plus de souplesse aux entreprises en leur permettant de mieux s'adapter aux "aléas conjoncturels" — est le double défi de cet accord national interprofessionnel «gagnant-gagnant», censé s'attaquer aux causes structurelles du chômage et qui devra être conclu “avant la fin du 1er trimestre 2013”, lit-on un peu partout. Le gouvernement a déjà prévenu que, s'il y avait échec, l'Etat “prendra ses responsabilités”.
Lors de ce premier rendez-vous torché en une heure, les "partenaires sociaux" ont élaboré le calendrier de la négociation. Par la suite, à raison d'une séance chaque jeudi à partir du 4 octobre, seront passés au gril contrat de génération, refonte de la procédure des licenciements collectifs, modulation des cotisations pour décourager le recours aux contrats précaires et autres sujets qui fâchent, tel le retour des accords «compétitivité emploi» initiés par Nicolas Sarkozy (bien que Jean-Marc Ayrault ait annoncé leur fin début juillet…). Autant de thèmes à suivre de près.
Par médias interposés, Michel Sapin y a été de son grain de sel. “Aujourd'hui, il y a plein de chômeurs issus de CDD ou de l'intérim” qui “payent très peu de cotisations chômage. Il y a un déséquilibre”, a dit le ministre sur RMC et BFMTV. “Ce sont les gens qui sont en CDI qui payent pour ceux qui bénéficient du chômage au titre des CDD.” Et il a raison : les fins de missions d'intérim et de CDD représentent le tiers des entrées en chômage et… 63% des allocataires. L'emploi précaire rapporte cinq fois moins en cotisations que ce qu'il coûte en indemnisation et contribue à ruiner l'Unedic. Alors que, selon ses sombres prévisions, le déficit cumulé de l'assurance chômage devrait atteindre 14 milliards d'euros à la fin de l'année et près de 18 fin 2013, la nécessité d'une taxation de l'emploi précaire, réclamée de longue date par les syndicats de l'Unedic, pourrait faire rentrer quelques milliards dans les caisses.
Le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait annoncé la couleur à l'issue de la conférence sociale des 9 et 10 juillet : les "partenaires sociaux" devront en priorité travailler à “lutter contre la précarité de l'emploi” et faire en sorte que le “recours aux CDD, à l'intérim, au temps partiel subi” soit découragé en “agissant sur les cotisations d'assurance chômage”. Michel Sapin s'y conforme.
Il aurait pu en rester là — c'était parfait ! —, mais non... Habité par le fantasme néolibéral du «coût du travail» qui serait un frein à la sacro-sainte «compétitivité» d'entreprises plus soucieuses d'arroser leurs actionnaires et de délocaliser que d'innover, contaminé par le virus du moins-disant social qui scie la branche et nous mène à la récession, Michel Sapin poursuit : “Les partenaires sociaux — ils vont en discuter — pourraient peut-être augmenter les cotisations chômage sur les CDD et diminuer les cotisations sur les CDI. On aurait un avantage à embaucher en contrat à durée indéterminée et un inconvénient à embaucher en contrat à durée déterminée”, a-t-il déclaré. En effet, c'est un problème : 90% des rares offres encore disponibles sur le marché sont des CDD, des CUI et des missions d'intérim. Les demandeurs d'emploi sont quotidiennement confrontés à cette désastreuse précarisation, promesse d'un futur sans avenir qui plombe le moral.
Inverser la tendance en rendant le CDI plus attractif semble frappé du sceau du bon sens. Sauf que ce n'est pas le cas, pour deux raisons. D'abord, une surcotisation employeur conséquente et vraiment dissuasive aurait à elle seule permis la réhabilitation progressive du CDI, tout en redistribuant des recettes à l'assurance chômage. Ensuite, envisager l'élargissement du financement de la protection sociale est incontournable. Interrogé sur le déficit galopant de la Sécurité sociale (20 milliards d'euros fin 2012), “la seule question posée”, a dit le ministre, est de savoir si “le financement de l'assurance maladie ou de la solidarité familiale doit reposer uniquement sur le travail. La réponse est non, ça doit reposer sur l'ensemble des revenus”. Pourquoi ne pas tenir le même raisonnement pour le déficit de l'Unedic, qui doit emprunter sur les marchés financiers afin de continuer à assurer sa mission, au lieu de déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Pourquoi, au lieu de toucher aux cotisations du CDI, ne pas imaginer des sources de financement inédites, comme une taxation des machines (d'ailleurs évoquée par le candidat Hollande lors de sa campagne présidentielle) ou une taxation des dividendes versés aux actionnaires des entreprises qui licencient ?
Hélas, l'idée de Michel Sapin se résume à un jeu à somme nulle. Un peu comme la risible taxation à 75% des très riches, désormais vidée de sa substance. Ainsi va cette social-démocratie qui prône le changement… pour que rien ne change.
SH
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