Voici un résumé succinct des 22 propositions du rapport tant attendu et qui, selon Médiapart, aurait été écrit avec l'aide… d'un militant UMP. Il y a beaucoup à dire, notamment sur la 5e qui nous a fait hurler : elle demande, ni plus ni moins, qu'on rouvre le chantier des gaz de schiste, actuellement gelé par un moratoire ! Mais puisque le gouvernement semble vouloir enterrer cette idée, ne nous dispersons pas et concentrons-nous sur celle dont l'impact sera le plus catastrophique pour les salariés et les citoyens en général : la quatrième, intitulée «Transfert des charges sociales»...
Halte à leur novlangue de m.... ! Comme l'a très bien expliqué Christine Jakse dans Le Monde Diplomatique, il faut arrêter de parler de «charges» mais dire COTISATIONS, qui sont du salaire différé/socialisé. Réduire ces cotisations revient non seulement à réduire le salaire, déjà raboté depuis trente ans au profit de la rente mais, surtout, à détruire méthodiquement notre protection sociale.
Et puisqu'on parle de novlangue, je fais la même remarque à propos de «la gauche», terme utilisé machinalement pour désigner le PS alors que celui-ci n'est pas un parti de gauche et que ce pauvre Jaurès, depuis belle lurette, doit se retourner dans sa tombe. A la place, pour être exact, il faut dire «les Soces» pour «socialistes» voire «sociaux-traîtres», car c'est une véritable trahison qu'ils nous préparent.
Pas touche au dumping !
Le problème est le suivant : nombre d'entreprises françaises se plaignent d'être concurrencées par des entreprises étrangères — qu'elles soient chinoises… ou espagnoles ou tchèques — dont le prix du travail est très bas et le moins-disant social une norme.
Mais au lieu de réclamer des mesures douanières sur les importations hors-Europe et, surtout, une harmonisation fiscale et sociale au sein-même de l'UE afin d'en finir avec ce nivelage par le bas complètement suicidaire, le patronat et ses affidés politiciens (y compris les «socialistes» qui nous gouvernent), volontairement simplistes et inefficients, préfèrent maintenir ce dumping fiscal, social et monétaire pour mieux pointer du doigt notre «coût du travail» qui empêcherait nos entreprises de rivaliser avec tous ces paradis sociaux à faible coût de main d'œuvre, qu'ils soient européens ou asiatiques.
En fait, leur solution, c'est que la France s'aligne sur ses concurrents et devienne à son tour un «paradis antisocial». Leur rêve, c'est un retour au 19e siècle. Pour se rapprocher en douceur de cet objectif, Bruxelles a veillé au grain, inscrivant dans ses directives l'interdiction de toute préférence nationale. Ce qui, de fait, favorise les délocalisations. Sur ce point les «socialistes», qui ont voté tous les traités, sont aussi complices que la droite, l'hypocrisie en plus.
La «solidarité européenne»
Alors oui, on peut se réjouir que nos amis espagnols ravissent des marchés aux PME françaises, eux dont le taux de chômage dépasse 25%. Ça pourrait être ça, la solidarité entre pays-membres de l'UE : partager le travail, et surtout la misère. Car l'Espagne continue d'adopter des mesures d'austérité drastiques, notamment une récente «réforme du marché du travail» qui a rendu le pays plus attractif… au prix d'une flexibilité, d'un chômage et d'une pauvreté accrus.
Qu'importe ! Son déficit commercial se réduit, «la compétitivité-prix des entreprises espagnoles s'est améliorée grâce à une modération des salaires» et «le dynamisme des exportations ibériques est source d'espoir». Tant pis pour sa demande intérieure et ses populations à genoux qui ne peuvent même plus vivre décemment, donc consommer. Et tant pis pour ses voisins français qui, eux aussi, devraient s'y mettre car, «si rien n'est fait, le différentiel de coût avec l'Hexagone va s'accroître au profit de ses voisins du Sud», nous dit-on...
Compétitivité rime avec austérité
Sauf que «les efforts de compétitivité d'un pays sont peine perdue si tout le monde essaie d'accroître sa compétitivité en même temps», surtout en période de crise, avertit le professeur d'économie Alexandre Delaigue. 80% de ce qui est produit en France est destiné aux Français : si ceux-ci sont à leur tour inexorablement appauvris, ne peuvent plus consommer sinon vivre décemment, les carnets de commande des entreprises françaises vont continuer à se vider, nourrissant ainsi la spirale du chômage et de la récession économique.
Et comme le rappelle Frédéric Lemaire (Attac), les bonnes vieilles recettes de la compétitivité appliquées depuis plus de 20 ans — plus de libre-échange et de dérégulations, plus de privatisations, moins d'impôts pour les (grandes) entreprises, plus de flexibilisation et moins de droit du travail, moins de salaire et de cotisations sociales… — n'ont jamais tenues leurs promesses. Loin d'apporter des perspectives pour les économies européennes, ces mesures ont en grande partie préparé la crise de 2008, et ont même contribué à l'aggraver.
Or, disait Albert Einstein, «il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre». Mais ce n'est pas grave : on persiste et signe ! Samedi, Angela Merkel a redemandé qu'il «soit fait preuve d'un peu de rigueur», nous promettant l'enfer encore «pendant cinq ans… au moins».
L'Etat, super vache-à-lait
Revenons en France. En quoi va consister ce «transfert des charges sociales» ? «Transfert d'une partie significative des charges sociales jusqu'à 3,5 Smic — de l'ordre de 30 milliards d'euros, soit 1,5% du PIB — vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique. Ce transfert concernerait pour 2/3 les charges patronales, et pour 1/3 les charges salariales», résume L'Expansion dans la même novlangue.
Selon des rumeurs, les entreprises se verraient «encouragées» en bénéficiant d'une réduction d'environ 6% des cotisations sociales sur les salaires compris entre 1 et 2,5 fois le Smic. Cette réduction prendrait la forme d'un crédit d'impôts qui serait indexé sur la masse salariale qu'elles déclarent en France. La Tribune, qui sait déjà comment François Hollande va s'y prendre, confirme qu'il compte créer un système de crédit d'impôt pour les entreprises qui ne réalisent pas de profits, et alléger l'impôt sur les bénéfices des entreprises qui investissent, innovent et maintiennent l'emploi. Bref, encore des niches fiscales !
On rappelle à nouveau que l'Etat offre chaque année aux entreprises — surtout les grosses — plus de 170 milliards de cadeaux en niches fiscales, sociales et autres «dispositifs dérogatoires» sans contreparties notables sur l'investissement et l'emploi. Que ce montant ahurissant (9% du PIB) englobe les 30 milliards d'euros d'exonérations de cotisations patronales déjà accordées aux employeurs, notamment sur les bas salaires. Des allègements, assumés par l'Etat et la Sécu, qui ont connu une progression de près de 60% en dix ans. Et il leur faudrait 30 milliards de plus ??? Ainsi va l'«assistanat» des patrons !
D'après leurs réactions, de Laurence Parisot au PDG de France Télécom en passant par Jean-François Copé, on voit que ce rapport les ravit. C'est, évidemment, un très mauvais signe.
«L'excès de la profitation»
L'un des maîtres-mots, c'est «encourager» les entreprises à embaucher, investir et innover. Quoi de plus risible alors que la majorité de celles-ci, depuis plus de trente ans et avec la complicité de nos gouvernants successifs — qui croyaient en une France des services —, ont délaissé l'investissement, l'innovation et l'emploi !
Dans son essai paru en mai 2009, “La Crise de trop. Reconstruire un monde failli”, l'économiste Frédéric Lordon dénonçait «le capitalisme antisalarial» qui, au tournant des années 80, a fait basculer le partage de la valeur ajoutée — autrement dit, la part des salaires dans le produit intérieur brut par rapport aux profits, qui sont censés servir à la fois à l'investissement de l'entreprise et aux dividendes de ses actionnaires — de 10 points au bénéfice de l'actionnariat et de la rente, tandis que les investissements n'ont cessé de chuter.
Dès 1985, note-t-il, la part des profits commence à sérieusement déraper dans «l'excès de la profitation». A partir de là, «tout ce que le capital va rafler, il va le prendre de la plus improductive des manières» : pas pour investir davantage, mais pour enrichir toujours plus le pouvoir actionnarial au détriment des salariés et de l'emploi. Un constat confirmé simultanément par le rapport Cotis qui a reconnu que, depuis vingt ans, les entreprises ont privilégié la distribution de leurs profits — d'abord les dividendes, multipliés par 20, puis les très hauts salaires (elles sont là, les véritables charges patronales pour l'entreprise !) — par rapport à leur autofinancement : investissements, trésorerie. Depuis 2003, le montant des dividendes dépasse celui des investissements réalisés : tel est le «coût du capital» !
«Encourager» les entreprises à revenir sur le droit chemin, tenter de les éduquer en leur parlant de «patriotisme» tout en agitant une nouvelle carotte est aussi insensé que récompenser des enfants gâtés et mal élevés pour qu'ils se comportent enfin correctement : comme ces sales gosses ont toujours été récompensés à mal agir, on ne voit pas comment cette énième gratification corrigerait leurs vices encouragés, eux, dès leur plus jeune âge.
Les salariés, éternels pigeons
Qui va payer ces 30 milliards ? Comme d'habitude les ménages, et pas les plus fortunés, comme ont pu le prétendre Jean-Marc Ayrault ou Pierre Moscovici.
Des rumeurs ont circulé sur un rétablissement de la TVA à 33% sur les produits de luxe — secteur qui a le vent en poupe et c'est normal, les riches, malgré la crise, étant devenus encore plus riches. Un autre bruit de couloir dit que la TVA réduite dans les HCR (hôtels, cafés, restaurants) devrait remonter… à seulement 10% au lieu de 12%, voire 19,6% : quelle honte !
Mais ce qui nous pend au nez d'ici peu, c'est une hausse de la CSG ou du taux normal de TVA qui passerait de 19,6% à 20% (et pour faire glisser la pilule, la TVA sur les produits et services de première nécessité serait réduite de 0,5 point, à 5%). Foutaise ! C'est bien une version édulcorée de la TVA sociale de Nicolas Sarkozy qu'on essaie de nous faire gober par petites touches prudentes et vicelardes.
L'Etat, c'est NOUS : salariés ou chômeurs, retraités, citoyens contribuables et consommateurs. C'est donc NOUS qui allons rembourser via ces impôts le nouveau cadeau fait au patronat sur le dos de nos cotisations sociales. Et quand l'Etat — NOUS — ne pourra plus payer, quand, comme ironise le tabloïd allemand Bild, la France sera devenue «une nouvelle Grèce», ces 6% de cotisations sociales — subtilisées au nom d'une «compétitivité» qu'on ne retrouvera de cette façon, bien au contraire — ne seront plus compensées par l'impôt, elles vont disparaître définitivement (et hop! 6 points de moins dans les caisses de la Sécu. Et hop! Des économies à faire en supprimant des droits).
Quand on vous dit que notre protection sociale est menacée, ce n'est pas un délire de complotiste. C'est ce que nos oligarques/ploutocrates veulent depuis des lustres, et c'est ce qu'ils obtiendront, qu'ils soient ouvertement ultra-libéraux ou se cachent derrière l'étiquette «socialiste». Et nous, «bourreaux-victimes», les laisserons-nous faire sans broncher ? C'est, hélas, fort à craindre.
SH
Lire => L’«anti-rapport Gallois» d'Attac et la Fondation Copernic
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