Les exclus de l'emploi relégués aux minima sociaux - dont je suis - n'ont pas les moyens de se procurer ces magazines qui les dénigrent régulièrement (surtout Le Point où attiser la haine du pauvre immanquablement fainéant, fraudeur et responsable de sa situation est devenu un rituel). C'est donc un ami salarié qui m'a permis d'accéder à ce long article de Bénédicte Charles et Perrine Cherchève où la vérité à peine ébauchée côtoie le non-dit total, et où les sujets traités en encadré ainsi que les médiocres illustrations fricotent avec le discours dominant. Ce qui, de la part de Marianne, est plutôt décevant.
Il y a pourtant des lueurs d'espoir quand l'article prend son envol et dit, au sujet de ces assistés tant jalousés par les salariés : "Pour déchanter, il suffir de croiser un de ces RMIstes enfermés dans un dispositif rigidifié qui les empêche de travailler ; une de ces très jeunes femmes isolées avec enfant(s) que la société préfère confiner au foyer [...]. Un de ces seniors dont on entretien l'espoir de retravailler quand on ne cherche en réalité qu'à faire durer ses allocations jusqu'à la retraite." On y dénonce les «trappes à pauvreté» que sont devenues ces aides sociales, censées à la base répondre à des situations d'urgence "mais, lorsque le provisoire dure faute de vrais emplois, il montre ses limites et l'assistance de vient l'assistanat." Comme c'est bien formulé ! Plus loin, on lit aussi les propos du fondateur du journal de sans-abris L'Itinérant : "Le RMI est une escroquerie qui exonère les patrons qui dégraissent et qui permet de faire pression sur les salariés pour qu'ils acceptent de travailler dans des conditions indécentes..." Bien !
Mais, lisons la suite : "... Attribuer le RMI à partir de 25 ans, c'est quasiment un crime contre l'humanité : les gamins sortent du lycée à 16-17 ans et attendent au pied de leur HLM leurs 25 ans. Ils deviennent alors des monstres sociaux", dit-il. Et l'article de conclure : "Le RMIste est un coupable facile à désigner, alors que le vrai responsable est le RMI lui-même. Imaginez un seul instant la force de caractère qu'il faut pour reprendre un emploi quand on sait qu'on va y perdre sur tous les tableaux…"
Désolée, mais accepter d'aller bosser à perte n'a rien à voir avec une quelconque force de caractère ! Travailler pour vivre, ou vivre pour travailler : c'est un autre débat. Mais si le RMI ou l'ASS n'existaient pas, qu'en serait-il pour ces millions d'individus que le marché du travail a rejeté massivement depuis plusieurs années ? Marianne sait-il qu'entre 2001 et 2004, l'emploi a dramatiquement chuté en France pour atteindre un solde de créations nettes historiquement négatif de 72.900 emplois détruits sous Raffarin, en 2003 ? Que ce "retournement conjoncturel" a eu pour conséquence l'augmentation et la pérennisation de ces revenus d'assistance, octroyés à des victimes tombées dans le piège de «l'inemployabilité» ?
Alors, renoncer à la «paix sociale» en supprimant ces «pièges» que sont les minima sociaux et autres aides influerait-il positivement sur le comportement des entreprises et la création d'emplois dignes de ce nom ? Certainement pas ! Par contre, à l'évidence, nous aurions encore plus de sans-abris dans les rues : Marianne souhaite-t-il un retour au 19e siècle ?
Dans cet article, rien n'est développé : au lieu de clamer haut et fort que, grâce à la pression du chômage, les salaires proposés aujourd'hui sont scandaleusement bas et ne permettent plus de vivre, que 80% des emplois proposés sont précaires (à temps partiel ou de courte durée) et que les crèches refusent les mamans sans emploi - même seules, le dossier enfile les cas particuliers, les anecdoctes croustillantes (dont les cas de fraudes - bien sûr !) sans s'interroger sur les véritables responsables - la faute au RMI, ou au chômage de masse ? - ni suggérer aucune solution intelligente. L'exemple même du titre racoleur - «Les pièges de l'assistanat», digne du Figaro - servant à faire acheter le bobo superficiel qui veut faire croire qu'en matière économique et sociale, il s'y connaît.
Pour Marianne, donc, les revenus d'assistance sont les nouveaux boucs émissaires, tout comme l'OCDE estime que les allocations-chômage créent du chômage : on croit rêver ! Pour Marianne, la CMU permet "à des petits malins de se refaire le râtelier à l'œil", ce qui est totalement faux et lui évite de parler de la discrimination médicale pratiquée à leur encontre. Pour Marianne, il y aurait 537.000 personnes à l'ASS alors que l'Assedic en comptait 458.800 à fin novembre 2006. Pour Marianne, une femme seule avec 2 enfants peut, sans travailler, en cumulant allocations, aides et pension alimentaire, se palper jusqu'à 1766 € par mois. On se croirait chez Thierry F., ex chouchou du Point : faire d'un cas une généralité pour liguer la France qui se lève tôt contre celle qui est durablement privée d'emploi.
Et c'est d'ailleurs ce qu'a retenu mon ami salarié en me parlant de ce dossier : "1.700 € par mois sans rien faire, tu te rends compte !" Voilà comment, en faisant mine d'aborder ces sujets de manière soi-disant alternative, on marque les esprits dans le sens du vent. Journalistiquement et même idéologiquement, ces procédés sont regrettables.
SH
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