Si la polémique autour de ce cauchemar de dumping social s’est calmée pour l’instant, l’affaire n’est pas enterrée. La preuve : lors d’une visite dans mon pays d’origine à l’occasion des fêtes de Pâques, le fantôme polonais a resurgi par l'entremise du quotidien que je lisais un matin en prenant mon petit-déjeuner. Vous n’allez jamais deviner le gros titre qui me sautait aux yeux : Les travailleurs saisonniers polonais boudent l’Allemagne !!!
C’était la saison des asperges, pendant laquelle depuis des lustres un peu plus de 300.000 saisonniers assurent la récolte dans nos champs, le dos courbé et les mains dans la terre. Ce travail, qui est physiquement dur et mal payé, n’est pas très prisé par les demandeurs d’emploi allemands, argument qui, chaque année, est utilisé avec joie comme LA preuve que le chômeur est un individu fainéant et méprisable. C’est devenu un rituel. Le gouvernement a même décrété qu’au moins 20% des travailleurs saisonniers agricoles doivent être Allemands - un quota qui a du mal à être atteint - pendant que les Polonais venaient chaque année bien volontiers pour arracher ce légume, si délicieux pour nous. Les gouvernants, qui ont le raisonnement court, mettaient sur un piédestal ces travailleurs de l'Est qui, d'habitude, se montrent motivés au travail pour les quelques euros qu'on leur donne, tandis qu'on culpabilise le chômeur du cru.
Seulement, il aurait suffi de regarder le salaire minimum en Pologne (qui, d’après la fiche d’information d’Eurostat, s’élève à 234 € par mois en 2006) pour comprendre que le niveau de vie n’est pas du tout le même dans les deux pays. Un Polonais qui, aux yeux d’un Allemand, a travaillé pour un salaire de misère pendant deux ou trois mois pouvait dans le passé vivre plusieurs mois chez lui avec l’argent gagné, alors que l’Allemand ne fait même pas le mois avec le même salaire. Mais tous les arguments sont bons pour fustiger "les profiteurs", n'est-ce pas ?
Alors pourquoi, cette année, les Polonais ne viennent-ils plus ?
La réponse réside dans le fait que l’Allemagne refuse avec obstination d’introduire un salaire minimum, et avec les centaines de milliers de chômeurs que l'on oblige à travailler pour 1 euro de l’heure, les salaires n'ont cessé de décroître. Dans l'article que je lisais ce matin, on parlait d’un travailleur saisonnier qui gagnerait 5,16 € de l’heure, ce qui désormais ne suffit plus au Polonais. Il est devenu plus exigeant, et il a découvert l'Europe...
En plus, depuis que leur pays a rejoint l'Union européenne en 2005, ces travailleurs saisonniers doivent payer des cotisations sociales en Pologne s'ils ont travaillé en Allemagne. Donc ils tiennent de moins en moins à revenir en Allemagne pour la récolte des asperges et prennent des charters pour filer en Grande-Bretagne ou en Irlande où les salaires sont beaucoup plus attractifs : maintenant, pour attirer nos amis de l’Est vers d’autres horizons, il leur faut plus de 8 € de l'heure. Et dans ces autres contrées, ils ont le droit d'œuvrer pour d'autres secteurs.
Voici l’Allemagne victime de sa propre politique : «Pas de salaire minimum chez nous, car ça détruit des emplois», défendent bec et ongle les politiques en toute occasion.
Et bien : pas de salaire minimum détruit les asperges, mes chers compatriotes ! On veut tout, n'est-ce pas ? Des légumes pas chers, une main-d'œuvre pour des clopinettes, maîtriser la population active et le nombre officiel de chômeurs, des salaires sans limitation vers le bas, et si possible avec un sourire pour couronner le tout !
En écrivant cette petite histoire, juste pour voir, je fais un tour sur le site de la Bundesagentur für Arbeit, l’ANPE allemande, et je cherche "Spargelstecher" (= arracheur d'asperges). La première annonce sur laquelle je tombe propose un salaire de 3,85 € de l’heure, travail 7 jours/7, semaine comme jour férié. Si vous retirez encore les cotisations sociales obligatoires payées en Pologne, plus les frais de transport (car il faut avoir le permis et venir avec sa voiture…), il ne reste rien !
Donc je me permets d’avoir quelques doutes quant aux 5,16 € mentionnés dans mon journal. Mais 3,85 €, on ne peut pas écrire ça dans un article : c'est trop la honte ! Les travailleurs des nouveaux pays de l'Est fraîchement membres de la CEE ne viennent plus travailler en Allemagne car, dans cette grande puissance économique, les salaires sont devenu trop misérables ? Moi, si j’étais Polonais, je ne viendrais pas non plus. Franchement.
Les salaires trop bas détruisent aussi l'emploi. Voire tout un secteur de production : certains légumes ne seront pas récoltés et vont pourrir. Qu’ils se l’écrivent derrière les oreilles !
Stephan M. / Les dessous de l'Allemagne
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