On connaissait le ministère des marches ridicules des Monty Python. Plus banal et moins drôle est celui des idées ridicules pour lequel Xavier Bertrand semble, lui aussi, exprimer quelque velléité... Retranscrit mot pour mot par Reuters qui a pu consulter l'enregistrement avant sa programmation, voici quelques extraits du formidable charabia à savourer tout à l'heure sur M6.
«Sur l'emploi des seniors, il faut changer les mentalités parce que les seniors d'aujourd'hui ne sont plus les seniors d'il y a 15, 20 ou 30 ans», dit-il d'abord à destination des entreprises qui n'ont de cesse de s'en débarrasser, puis de les discriminer à l'embauche. Ensuite, par égard pour le dialogue social qu'il a plus d'une fois bafoué, il fait mine de se tourner courtoisement vers les organisations syndicales et patronales : «Moi, j'ai une idée, j'ai une idée qui là ne dépend pas du gouvernement. C'est une idée qui dépend des partenaires sociaux...» Et de poursuivre : «[…] Pourquoi dans ces cas-là, un salarié de plus de 60 ans — mais l'âge est à déterminer — pourquoi continuer à le faire cotiser pour le chômage, pourquoi l'entreprise continue à cotiser pour le chômage ?», s'interroge-t-il. «Parce que si ce salarié quitte son entreprise demain, il ne sera pas au chômage, il sera à la retraite» (mais encore faut-il, si c'est lui qui prend l'initiative de partir et non son patron qui le pousse vers la sortie, qu'il totalise 164 trimestres pour prétendre à une pension à taux plein).
«Donc, le système de cotisations chômage ne perd rien mais par contre, il y a un gain de 4% pour l'entreprise, d'un peu plus de 2% pour le salarié», estime le ministre. D'après les dépêches de presse, selon lui, cette mesure — qui serait «indolore» pour le système d'assurance-chômage — pourrait représenter, pour un salaire de 2.000 €, un gain de 80 € par mois pour l'employeur. Et de conclure : «C'est quelque chose qui compte, c'est une incitation».
Dérisoire, vous avez dit dérisoire ?
Effectivement, le nombre de salariés toujours en poste dans leur entreprise après 60 ans — âge légal du départ en retraite — est aujourd'hui infime, l'âge réel de ces départs étant évalué à 58,7 ans en moyenne, et le taux d'emploi des 55-64 ans à 38% de la population active. Donc, pour l'Unedic, on pourrait aisément gober le postulat de M. Bertrand consistant à dire que cette exonération (qu'il n'a même pas chiffrée) ne mange vraiment pas de pain. Mais c'est nier la coûteuse antériorité du phénomène.
Car si la plupart des salariés «âgés» sont à la retraite et ne cotisent plus, bon nombre d'entre eux sont aussi au chômage de longue, voire de très longue durée. Avant de sombrer dans l'allocation de solidarité-Etat (ASS, moins de 15 € par jour), ils sont majoritairement admissibles à la filière C de l'Unedic — salariés de plus de 50 ans ayant cotisé 27 mois au cours des 36 mois précédant la perte de leur emploi — qui leur assure une indemnisation de 36 mois (au lieu de 23 maximum pour les autres). Et actuellement, quelque 650.000 privés d'emploi de plus de 50 ans — dont 365.000 dispensés de contrôle ou «DRE» — sont inscrits à l'ANPE. On ne peut pas dire que ce soit si «indolore» que ça pour l'assurance-chômage !
Plus que jamais, vu la conjoncture, les licenciements menacent. Parmi les 41.300 privés d'emploi supplémentaires qui se sont inscrits en catégorie 1 au mois d'août, on comptait plus de 8.000 chômeurs de 50 ans et +. Une tendance inquiétante qu'une telle mesurette ne saurait inverser, à l'heure où il est question d'imposer à tout prix la baisse des cotisations chômage en contrepartie d'une hausse des cotisations vieillesse : ainsi, par un jeu de vases communicants, déplace-t-on un problème (celui du financement des retraites et, plus généralement, du déséquilibre entre les revenus du travail et ceux du capital) pour éviter de le régler.
L'incitation, ça ne marche pas
Incite-t-on les chômeurs à retrouver un emploi ? Non : on les y oblige. Ils ont des droits mais surtout des devoirs. Et pour les seniors, l'AER et la DRE, c'est fini !
Deux poids, deux mesures. Puisque les salariés sexagénaires sont si peu nombreux à être toujours en poste et que le chômage les guette, afin de dissuader les entreprises de les virer, pourquoi, au contraire, ne pas obliger celles qui s'en sépareraient à continuer de s'acquitter de leurs cotisations retraite sur la base du dernier revenu d'activité, jusqu'à ce que ces salariés retrouvent un emploi ou mettent fin à leur carrière professionnelle ? Cette proposition «gauchiste» émanait… de la présidente CFE-CGC du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, Danièle Karniewicz, au moment de l'élaboration du «Plan seniors» du gouvernement... La CFDT, quant à elle, avait même proposé d'augmenter de 0,5% les cotisations vieillesse des employeurs jusqu'à ce que notre taux d'emploi des seniors se soit hissé au niveau moyen européen, soit 45%.
Pour Xavier Bertrand, les chômeurs méritent des sanctions et leur protection sociale doit être mise à contribution pour les retraités. Tandis que les entreprises, qui les ont foutu dehors, sont des petites choses fragiles qu'il ne faut surtout pas brusquer, même si elles font la pluie et le mauvais temps de l'emploi en se dédouanant sur la collectivité quand elles décident de mettre en œuvre leurs stratégies économiques. A l'opposé des chômeurs, les entreprises ont plus de droits que de devoirs : il faut les «inciter», comprenez-vous, non les «pénaliser»... La «responsabilité sociale» ne faisant pas partie du vocabulaire, ainsi sont-elles maintenues dans un état comparable à celui des sales gosses pourris-gâtés à qui l'on permet tout. Mais dites voir, monsieur Bertrand : à la maison, est-ce que vous faites pareil avec vos enfants ?
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