Bien que les médias aient «déjà entériné la réforme, […] avalisé la communication du gouvernement et anticipé sur ce que celui-ci escompte», dénonce Acrimed qui fustige ce «journalisme d'anticipation» à la botte de l'UMP, les jeux ne sont pas encore faits.
Cependant, derrière la future «retraite à 62 ans» et les débats plus ou moins superficiels ou orientés auxquels on assiste, se cache une réalité autrement consternante pour celles et ceux dont les parcours professionnels subissent une discontinuité. Réalité que l'on pointe peu et qu'il est donc nécessaire de rappeler.
En effet, le symbole des 60 ans est celui de l'âge légal, qui donne le droit de partir en retraite et toucher une pension. A cet âge, tout salarié justifiant du nombre de trimestres/annuités requis peut choisir de cesser son activité et bénéficier d'une retraite à taux plein. Avec ce projet de réforme qui, si elle est votée, entrera en vigueur le 1er juillet 2011, même s'il a commencé à travailler tôt et cotisé amplement, le salarié sexagénaire devra trimer chaque année un peu plus, jusqu'à l'apogée des deux années supplémentaires fixée en 2018 [1], offrant ainsi son surplus de cotisations au système [2].
En ce qui concerne le salarié qui, arrivé à 60 ans, ne totalise pas le nombre de trimestres/annuités requis, soit il choisit de partir avec une retraite à taux réduit (ou décote, 5% par an), soit il poursuit son activité pour afficher une carrière complète afin de bénéficier, le moment venu, d'une pension à taux plein. Celles et ceux qui sont loin du compte sont de plus en plus nombreux. Dans le système actuel, pour ces salariés au parcours morcelé — femmes, chômeurs et/ou précaires, handicapés —, 65 ans sonne l'heure de la délivrance : c'est l'âge du taux plein où l'on peut liquider sa retraite avec les droits acquis, même incomplets, sans décote. Or, la réforme prévue par le gouvernement va repousser ce seuil de 65 à 67 ans en 2018 [3] alors que l'espérance de vie en bonne santé atteint 63,1 ans pour les hommes et 64,2 ans pour les femmes.
De surcroît, à cause du chômage, de la précarisation de l'emploi et d'un marché du travail qui rejette les jeunes et les seniors, le nombre d'annuités accumulées par les salariés ne cesse de baisser : 36,5 ans en moyenne dans le privé comme dans le public, alors que cette réforme scélérate prévoit qu'il faudra en totaliser 41,5 en 2020... Alors qu'à 54 ans, 60% des actifs sont déjà licenciés, inaptes, malades ou chômeurs, et que deux tiers des partants ne sont plus en emploi au moment où ils liquident leur retraite !
Cette réforme, outre voler ceux qui ont "la chance" d'avoir un boulot, infligera deux années de calvaire supplémentaire à ceux que le marché du travail frappe d'ostracisme. Et s'ils ne sont pas morts en route après avoir subi la crise, c'est le minimum vieillesse qui les attend.
SH
[1] L’âge légal de la retraite doit être porté à 62 ans en 2018 et concernera les générations nées après le 1er janvier 1956. Mais, si la réforme est votée, cette augmentation de la durée de cotisation s'appliquera dès l'année prochaine au rythme de 4 mois par an pour les salariés nés après le 1er juillet 1951. Lire ici...
[2] Le gouvernement a privilégié cette solution qui est la plus lucrative, puisqu'elle rapportera 20 milliards d’€ sur les 30 escomptés par Eric Woerth à l'horizon 2020.
[3] Calqué sur le même principe que le recul progressif de l'âge légal, l'âge d'annulation de la décote sera relevé de 4 mois par an à partir du 1er juillet 2011, pour atteindre 66 ans en 2019 et 67 ans en 2023.
Le report de l'âge du taux plein — et ses conséquences, notamment sur les femmes et les chômeurs — est évoqué par la CGT et FO (à partir de la 8e minute) :
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