«Notre précarité est soigneusement cultivée par nos employeurs, résume Sarah, vingt-neuf ans, intérimaire chez Air France. Ils refusent de nous embaucher tout en reconnaissant notre efficacité. Moi, ça fait un an qu’ils me font un nouveau contrat chaque jour, ça doit être la preuve que je bosse bien !» Début avril, des agences d’intérim avaient été occupées à Villepinte et Roissy. Sans résultat. Mercredi, la jeune femme et une vingtaine d’autres militants de l’Union syndicale interim-CGT sont passés à l'action en bloquant l'assemblée générale de la caisse de prévoyance Bayard.
1.500 € minimum
«L’idée est de séquestrer les principaux tauliers de l’intérim pour forcer le Prisme, syndicat patronal de la branche, à ouvrir de vraies négociations sur les salaires», expliquait André Fadda en début d’après-midi sur le parking de l’hôtel Evergreen de Levallois-Perret. Autour du cégétiste de Saint-Nazaire, organisateur de l’opération, des groupes prenaient position, l’air de rien. À 14 heures : «Go, go, go !» Les portes tambours sont franchies par grappes de trois personnes, le hall de l’hôtel est traversé au pas de course et les banderoles sont sorties des sacs à dos. Pas de vigile, pas de résistance. Dix minutes plus tard, la salle est bouclée. Dans les travées, des responsables de Vediorbis, d’Adia, Manpower, Adecco, Crit, Synergie, Select TT, ainsi que des représentants du Prisme et des administrateurs syndicaux. En tout, près de 75 personnes.
Yannic Poulain, secrétaire général de l’USI-CGT, a tôt fait de réquisitionner un micro. «En 2007, les entreprises de travail temporaire ont perçu de l’État plusieurs millions d’euros d’allègements de cotisations sociales, contribuant ainsi au pillage de la Sécu. Par ailleurs, elles ont attribué une prime à leur personnel permanent, allant de 200 à 1.500 €. Pour les intérimaires : rien ! Et les boîtes ont refusé toute négociation pour leur attribuer aussi une prime. Pour justifier leur refus, elles se basent sur le fait que les salaires sont liés à ceux des entreprises utilisatrices. Mais aucun texte ne les empêche de nous attribuer des primes complémentaires. Et, au pire, elles n’ont qu’à rendre cet argent à la Sécu !»
Dans la salle, les militants interpellent les patrons. Ils demandent une grille de salaire de 1.500 € minimum net par mois et la diminution du délai de carence des intérimaires en arrêt maladie (actuellement, il faut neuf jours pour toucher une indemnisation).
Des employés de seconde zone
Et les revendications ne contiennent pas toute la rancoeur. «Depuis octobre, les négociations sur notre régime sont au point mort», déplore Teddy Dewolf, de Vediorbis. Wahiba, salariée chez Manpower : «Pourquoi notre directeur toucherait une prime alors que certains d’entre nous sont payés en dessous du droit commun ?» Et d’autres encore : «Des mois qu’on essaye d’être reçus par le Prisme : impossible !», «Pour eux, on est des sous-salariés, des employés de seconde zone».
Les heures passent et l’ambiance bon enfant devient électrique. Un huissier est intercepté alors qu’il tentait de compter des voix en douce. «À l’origine, ils venaient voter la fusion du groupe Bayard avec Reunica. Mais là, c’est mort pour eux», sourit un syndicaliste. Vers 17 heures, François Roux, DG du Prisme, propose finalement une rencontre. «On veut bien… mais est-ce pour commencer à négocier ?» demande Yannic Poulain. La réponse n’arrivera jamais. «Vous nous prenez pour des billes mais on se retrouvera !» tonne le responsable syndical. Tandis que des PDG séquestrés évoquent mezzo voce la sécurité accrue qu’ils s’offriront pour leur prochaine AG, la salle est finalement évacuée, sous le regard halluciné d’une horde d’hôtesses de Nippon Airways. «On aurait peut-être dû rester plus longtemps», s’interrogeait alors Wahiba.
(Source : L'Humanité)
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